Ne te retourne pas?
Partir sans se retourner ?
Ou partir sans pouvoir, sans vouloir, se défaire de ses origines ?
En lisant les récits de vie restitués par Nicole von Kaenel, j’ai trouvé l’une et l’autre voie.
Des envies de tout quitter. D’apposer un point final à une histoire avant d’en écrire une toute nouvelle.
Mais aussi des besoins de plonger régulièrement dans ses racines pour ne pas se perdre en terre étrangère.
Dans la bible, il y a pas mal de récits qui évoquent des migrations, forcées ou volontaires.
Avec, là aussi, des départs joyeux qui ne donnent pas envie de se retourner ou des émigrations douloureuses. Avec des arrivées mortifères ou des immigrations salvatrices.
En m’appuyant sur les récits de la Genèse dont le choix m’a été dicté par les trajectoires de nos 3 invitées, j’aimerais revenir sur 2 points auxquels elles donneront un écho.
Dans le premier récit, Abram qui deviendra Abraham, est appelé par Dieu à quitter la terre qui l’a vu naître pour le pays qu’il lui fera voir. Abram doit quitter un endroit connu, celui de sa famille, de sa culture, de sa tradition, pour un pays dont il ne sait même pas le nom à l’avance. Un itinéraire à l’horizon flou, comme c’est le cas pour beaucoup de migrant.e.s aujourd’hui.
S’il fallait présenter Abraham en 6 mots seulement, je dirais de lui qu’il est le père du peuple des Hébreux.
Or, ce qu’il y a de paradoxal, de surprenant, avec ce père du peuple des Hébreux, c’est qu’il n’est pas né hébreu sur la terre des Hébreux.
Il l’est devenu suite à un long périple.
Cet ancêtre lointain nous apprend ainsi que notre identité profonde et notre terre promise, ne sont pas seulement à chercher dans le passé. Elles ne sont pas uniquement un retour à l’origine ou à l’identique. Mais que l’une et l’autre peuvent se révéler par un saut dans l’inconnu.
À la suite d’Abraham, nous sommes invité.e.s à penser notre identité, non seulement dans nos racines, dans ce que nous connaissons, dans ce qui nous a fait jusqu’à aujourd’hui, mais aussi dans ce qui va arriver.
C’est en ayant cela à l’esprit que je passe la parole à Sayanthini.
Elle est arrivée en Suisse, à la Chaux-de-Fonds en 1997, depuis le Sri Lanka. Tout ne fut pas facile au départ. Dans le livre « Migration, voix de femmes » elle dit notamment : « Par la fenêtre, je voyais des gens : que font-ils ? Où vont-ils à marcher si vite ? Tout est gris. Partout du bitume. J’ai peur. Je me sens comme un arbre que l’on a arraché. Mes racines n’arrivent pas à trouver un sol propice pour reprendre vie. »
Sayanthini, la situation décrite à votre arrivée a heureusement évolué. Parlez-nous, si vous le voulez bien, de votre périple géographique, de votre cheminement intérieur aussi. Et nous, en l’écoutant, soyons attentifs à cette question de l’origine, des racines.
Bonjour à toutes et à tous,
Aujourd’hui est un jour inoubliable pour moi. Je le prends comme une opportunité que dieu m’a donnée. Pourquoi sommes-nous rassemblées ? Et qui sommes-nous ? Je suis sûr que nous sommes tous béni par Dieu. Dieu nous choisit chacun chacune pour faire quelque chose mais parfois nous vivons en l’oubliant. Parfois nous avons des imprévus qui nous ne laisse pas faire ce qu’on désire.
À mon arrivé en Suisse, la vie était comme un challenge pour moi. Je devais tirer un gros bagage :
1. La responsabilité de la famille
2. S’occuper et élever les enfants correctement
3. Travailler
4. Apprendre le français
5. Contacter les amis et la famille
6. Communiquer et s’intégrer avec d’autres communauté
7. Aider à la société
8. Aider les personnes dans mon pays d’origine au Sri Lanka
9. Continuer la religion et l’apprendre aux enfants
10. Atteindre mes objectifs
11. Être vrai à soi même
J’ai utilisé de manière réfléchie toutes les opportunités que j’ai eu jour après jour. J’ai pu rencontrer des bonnes et incroyables personnes. Leurs aides m’a permis d’aller de l’avant.
Mon mari m’a donné toute la liberté que je voulais. Ensuite à chaque nouveau challenge j’ai donné toute mon énergie et j’ai fait du mieux que je pouvais, ce qui a donné confiance aux autres. C’est pourquoi j’ai eu beaucoup d’opportunités.
Maintenant je fais partie d’une association pour femmes tamils dans laquelle je suis nommée présidente. À l’aide de cette association, j’ai la chance de faire connaissances avec pleins de personnes de communauté différente. Nous parvenons également à aider des personnes blessées par la guerre au Sri Lanka avec les différents événements que nous proposons. Nous faisons des événements culturels comme des danses et des chants tamils qui permettent de gagner quelques sous pour des personnes de notre communauté au Sri Lanka.
De nos jours, nous faisons aussi des événements dans les cantons de Bern et Fribourg.
Jusqu’aujourd’hui je vis comme une étudiante. J’ai commencé à apprendre le français dans l’association de Recif. J’ai également participé aux activités de cette association car j’avais l’impression que j’apprenais le français lentement. J’ai également été bénévole pour ces différentes activités. Maintenant nous sommes partenaires. L’association nous contacte pour leurs événements afin de préparer soit des apéritifs soit des dance culturelles.
Pour continuer en 2022, j’ai reçu le prix salut l’étranger. Ce prix m’a été donné pour mon intégration dans le canton de NE ainsi qu’à toutes les activités que j’ai fait. En 2024, je suis élue au élection communale dans le parti socialiste. Je suis 13ème sur la liste au conseil général. Mon parcours continue encore.
Je remercie infiniment Nicole pour m’avoir donné cette opportunité. Grâce à elle, en participant dans ce livre, j’ai pu rencontrer des personnes de communes différentes. Je remercie également Madame Line pour ce vernissage dans ce lieu si spécial dans une cathédrale à Lausanne.
Après Abraham et Sayanthini, nous retrouvons Loth et sa famille.
Loth habitait Sodome. Une ville qui a fait l’objet d’un marchandage entre Abraham et Dieu ; Abraham suppliant Dieu de ne pas détruire cette ville même si ses habitants se comportaient mal.
Au final, Sodome sera détruite. Mais Loth et sa famille seront épargnés. Parce que Loth est le neveu d’Abraham et que Dieu s’est engagé vis-à-vis d’Abraham et des siens.
Dieu protège Loth en envoyant des anges, comprenez des messagers, qui le pressent de partir et de se mettre à l’abri avant que le ciel ne leur tombe sur la tête.
Après quelques tergiversations, Loth finit par prendre sa famille et ils se rendent à Soar.
Comme ça, ça ne dit pas grand-chose. Mais souvent, en hébreu, la signification des noms propres nous permet de comprendre ce qui ne vient pas spontanément à l’esprit.
Soar, ça veut dire petit, insignifiant.
Loth a été épargné par Dieu. Mais il doit se réfugier dans un lieu plus petit, parce que selon une interprétation possible, il n’a pas répondu à l’espérance que Dieu avait mise en lui. Il aurait pu changer le sort de Sodome en changeant la mentalité de ses habitants. Il ne l’a pas fait.
En le laissant aller à Soar, Dieu le laisse aller vivre dans un endroit à sa mesure. Sans le forcer à prendre sur ses épaules plus qu’il ne peut porter.
Fondamentalement donc, ce récit nous dit combien Dieu compte sur les humains.
Dieu compte sur nous et il nous croit capables de réformer le monde quand c’est nécessaire… Telle est la bonne nouvelle de ce récit.
Là où Loth a échoué, d’autres ont réussi, même si leurs plans ont parfois pris du temps avant d’être réalisés. Je pense tout particulièrement à Zoraida et Danilo.
Zoraida est née au Venezuela, elle est arrivée en Suisse en 2017 avec son mari.
Depuis longtemps, Zoraida veut être missionnaire ; elle veut apporter la parole de Dieu et prendre soin des plus démuni.e.s. Elle a réussi dans cette mission.
Mais pour cela, il lui a fallu la ténacité qui a manqué à Loth.
Alors Zoraida, si vous le voulez bien, racontez-nous vous aussi votre périple géographique, votre cheminement intérieur. Et nous, en l’écoutant, gardons à l’esprit cette foi que Dieu a en nous, qu’il a en Zoraida, pour transformer le monde.
J'ai toujours pensé que la persévérance était l'une des vertus qui nous a accompagnés, mon mari et moi, dans notre processus d'intégration, et je n'avais pas pensé à la ténacité comme faisant partie des compétences dont nous avons besoin pour aller de l'avant, mais après avoir écouté la Pasteure Line utiliser ce mot pour décrire notre performance en tant que réfugiés, je me suis rendu compte que la ténacité a été extrêmement nécessaire pour atteindre notre objectif d'intégration.
Nous sommes arrivés en Suisse il y a presque sept ans et avons été accueillis par le canton de Genève, après avoir souffert de persécutions politiques et religieuses dans notre pays. Nous sommes très reconnaissants de cette nouvelle opportunité de continuer à vivre en liberté. Nous avons traversé un processus d'apprentissage, d'adaptation et d'efforts considérables. Nous avons essayé de valider nos diplômes et avons poursuivi nos études pour obtenir un diplôme suisse et trouver un emploi, mais jusqu'à présent nous n'avons pas réussi à en trouver un, et nous avons donc décidé de suivre la voie de l'entrepreneuriat.
Aujourd'hui, nous nous trouvons dans une nouvelle phase en tant qu'entrepreneurs. Nous développons le projet de création d'une association de coaching pour accompagner les migrants et les aider à surmonter leurs blocages mentaux et leurs luttes internes pour leur intégration.
Nous sommes accompagnés par des associations d'incubateurs d'entreprises et, Dieu merci, nous avons déjà passé la phase d'incubation et achevé la phase pilote qui est en cours d'évaluation. Dans notre rapport sur la phase pilote, nous avons pu mettre en évidence l'évaluation positive des associations auxquelles nous avons offerte l'atelier « Victoire sur vos limites ».
Revenant au texte où est racontée l'histoire de Lot, je suis extrêmement reconnaissant à Dieu de nous avoir donné la force et la concentration pour ne pas nous perdre, pour ne pas abandonner nos valeurs et notre passion d'aider, et pour nous maintenir sur la bonne voie.
À côté de Zoraida, une autre femme se distingue de Loth par sa ténacité. Elle est née en Suisse, de parents italiens venus s’installer ici en 1961.
Très jeune enfant, elle a été responsabilisée dans la vie notamment en s’occupant de sa petite sœur.
Sa mère lui a, très tôt aussi, appris l’autonomie.
Quand elle n’avait pas les moyens de partir loin, elle allait avec son futur mari à la gare de Lausanne pour regarder passer les trains. C’était là leur évasion.
Elle n’a pas pu faire les études supérieures qu’elle aurait souhaité faire mais elle n’a jamais baissé les bras. Elle sait depuis longtemps que l’important, ce n’est pas tant ce qui nous arrive que ce que nous faisons de ce qui nous arrive.
Il y a 63 ans, ma maman quittait son pays, ses parents, ses sœurs pour un monde meilleur. Elle partait de son plein gré d’ailleurs pour rejoindre un pays qu’elle ne connaissait pas mais qui promettait, aux yeux de mon père, prospérité et bonheur.
Je suis fière d’être née dans ce pays la Suisse qui a permis à mes parents, grâce à leur travail acharné, d’évoluer d’une part, même s’ils sont restés des ouvriers d’usine toute leur vie, et qui nous a permis à nous, cette 2ème génération d’émigrés de vivre décemment sans peur du lendemain. Ils n’avaient pas beaucoup de moyens certes mais nous n’avons manqué de rien ma sœur et moi.
J’ai été privilégiée à l’école, je n’ai pas souffert de discrimination ou ressenti que j’étais une étrangère : j’avais de bonnes notes, j’étais studieuse et curieuse et je ne parlais pas italien. J’étais complètement intégrée, mon père avait tout fait pour qu’on ne sache pas que nous étions italiens. Je suppose qu’il avait dû souffrir de ça à son arrivée en Suisse et ne souhaitait pas qu’on vive la même chose.
Cette éducation s’est inscrite dans mes gènes, à savoir être discrète, ne pas se faire remarquer, s’adapter à la situation, ne pas revendiquer un droit, être passe-partout en somme. Ce qui m’a conduite à ne pas oser demander de faire des études supérieures lorsque je le souhaitais, à ne pas me défendre dans des situations difficiles. Aujourd’hui, avec le livre « Migration, voix de femmes », j’ai pris conscience que c’est le résultat d’un malaise que mes parents ont connu à une époque de leur vie.
J’aimerais terminer par quelques mots en lien avec le récit de la fuite de Marie, Joseph et Jésus peu après la naissance de Jésus.
Vous le savez peut-être, l’exil de cette famille a été rendu impératif parce que le roi Hérode, ayant entendu parler de la naissance d’un nouveau roi pour les Juifs, craint fébrilement pour son trône et sa puissance.
Il essaie de dire aux mages, qui ont croisé son chemin : Quand vous aurez trouvé ce roi, venez me faire savoir où il est pour que je puisse aller l’adorer.
Il a évidemment un but caché qui n’est pas d’adorer, mais de détruire toute concurrence potentielle. Ça se vérifiera tragiquement. Parce que les mages vont retourner chez eux sans repasser par la case Hérode. Et alors, ce despote, saisi d’une grande fureur, fera tuer tous les enfants juifs de 2 ans et moins habitant sur « son » territoire.
Cette décision aussi cruelle que disproportionnée montre que la force non maitrisable de la vie effraie les dictateurs au plus haut point.
Quand les enfants, les femmes, les hommes contraints à l’exil gardent cette force de vie en eux, elle leur permet de tenir au-delà du raisonnable.
Et quand ils arrivent dans une terre qui les accueille et leur permet de construire ou de reconstruire une vie, alors cette force de vie, ils ou elles peuvent la transmettre tout autour d’eux.
De retour dans son pays, une fois devenu adulte, c’est ce que Jésus a fait. Et on sait tout le bien qu’il a fait.
À votre manière, vous agissez comme lui à la Chaux-de-Fonds, à Genève, à Épalinges, maintenant dans cette cathédrale.
Vous nous transmettez une force de vie et de joie qui est bienfaisante et qui donne de l’élan.
Merci Sayanthini, Zoraida, Maguy et par vous merci aux autres femmes dont les récits de vie ont imprégné ces murs depuis fin mai.
Merci d’avoir croisé nos chemins. Et bonne suite de route.
- Lecture de Genèse 12 : 1 à 4
Le SEIGNEUR dit à Abram : « Pars de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir.
Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai. Je rendrai grand ton nom. Sois en bénédiction.
Je bénirai ceux qui te béniront, qui te bafouera je le maudirai ; en toi seront bénies toutes les familles de la terre. »
Abram partit comme le SEIGNEUR le lui avait dit, et Loth partit avec lui.
- Lecture de Genèse 19 : extraits
Les deux anges dirent à Loth : « Y a-t-il encore ici d'autres membres de ta famille, un gendre, des fils, des filles, n'importe quel parent ? Emmène-les hors de la ville, car nous allons la détruire.
Loth alla trouver ses gendres, ceux qui devaient épouser ses filles, pour leur dire : « Vite ! Partez d'ici, car le Seigneur va détruire la ville. » Mais ils s'imaginèrent qu'il plaisantait.
Aux premières lueurs du jour, les anges pressèrent Loth de partir : « En route ! disaient-ils. Prends ta femme et tes deux filles, sinon vous perdrez la vie quand la ville paiera ses crimes ».
Loth hésitait encore. Il finit par dire à l’un des anges :
« Tu vois cette petite ville ? Elle est assez proche pour que je puisse courir jusque-là. Laisse-moi m'y réfugier puisqu'elle est si petite et insignifiante, et j'aurai la vie sauve. » – « Eh bien, dit l'ange, je t'accorde cette faveur. Va vite t'y réfugier, car je ne puis rien faire avant que tu y sois arrivé. » – C'est pourquoi on a appelé cette ville Soar. –
Le soleil se levait quand Loth arriva à Soar.
C'est alors que le Seigneur fit tomber des cieux sur Sodome et sur Gomorrhe une pluie de soufre enflammé.
- Lecture de Matthieu 2 : 13 à 15
Après le départ des mages, voici que l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte ; restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. »
Joseph se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte. Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode.