Vivre par-delà les frontières 2/3, "Étrangers et voyageurs sur cette terre", par Jean-François Ramelet

 

 

Étrangers et voyageurs sur cette terre

 

Vous avez appris que les Rochat venaient de la Vallée !

Et moi je vous dis qu’ils sont étrangers et voyageurs sur cette terre !

 

Vous avez appris que les Dépraz venaient de la Vallée !

Et moi je vous dis qu’ils sont étrangers et voyageurs sur cette terre comme vous l’êtes toutes et tous.

 

Vous avez appris que Jésus venait de Bethléem ou de Nazareth, c’est selon.

Et moi je vous dis qu’il était étranger et voyageur sur cette terre.

 

Selon les auteurs des écritures, ces deux mots caractérisent fondamentalement la condition du croyant devant Dieu et plus largement de l’humain.

 

Cette façon de penser le croyant, n’est pas le fruit d’études anthropologiques ou ethnologiques, mais elle est de l’ordre d’un credo, d’une conviction, d’un choix conscient, d’un choix assumé dirait-on aujourd’hui.

D’un choix qui est répété tout au long de l’Ancien et du Nouveau Testament.

 

Aussi le croyant d’hier et d’aujourd’hui répètera-t-il avec le psalmiste : 

 Je ne suis qu'un hôte chez toi, un passant, comme tous mes pères.

 

Ce credo traverse toutes les écritures et nous sommes ici parce que nous lui faisons crédit.

 

Les écritures nous aident à penser Dieu, un peu.

Mais elles nous aident surtout à nous penser, nous, croyants et humains devant Dieu. A penser notre rapport au monde et notre manière de l’habiter.

 

Ouvrir le Livre, c’est donc s’exposer à se laisser déchiffrer par une autre Parole que la nôtre.

 

 « Étranger et un voyageur sur cette terre » !

 

Alors ces deux mots, vous les prenez ?

Voyageur, c’est plutôt bath « voyageurs ».

C’est cool !

Ça nous met en bonne compagnie, voilà le croyant rangé au côté de Nicolas Bouvier, d’Ella Maillard, de Paul-Émile Victor et de tant d’autres, en plus modeste évidemment.

Voyageur, on le prend, ce mot.

 

Mais « étranger » ?

Est-ce que vous le prenez ce mot ?

Est-ce que vous le faites vôtre, est-ce que vous vous reconnaissez dans ce mot ?

Ce mot est bien moins fun que l’est « voyageur » !

Il est même péjoratif.

Dans la Grèce antique, un étranger était un métèque.

 

Ça me fait penser à ces juges de la Cour européenne des droits de l’homme, ces juges étrangers comme aiment à les qualifier les aficionados de Guillaume Tell.

Ces juges étrangers qui ont eu l’outrecuidance de dire que la Suisse n’en faisait pas assez en matière de protection du climat.

Dire d’un juge qu’il est étranger, c’est le disqualifier.

 

Et puis le mot « étranger » parle de lui-même, un étranger c’est quelqu’un d’étrange, parfois de bizarre, et même de suspect.

 

Les étrangers : « on les repère tout de suite » : c’est ceux qui ne sont pas comme nous.

 

Et les étrangers on en a assez, non ?

On en a trop.

Des migrants.

Des demandeurs d’asile.

Des frontaliers.

Des expatriés

Des réfugiés.

 

Alors si en plus les chrétiens – même s’ils sont en voie de d’extinction - se revendiquent « étrangers », et cochent cette case … où va-t-on ?

 

Et pourtant c’est bien à cela que m’invite l’évangile :

Non seulement à me reconnaître « étranger et voyageur sur cette terre », mais à vivre tel un étranger et un voyageur.

 

Comment comprendre ces mots ?

 

Il faut commencer par préciser que si le chrétien est étranger, il n’est pas un apatride.

 

Abraham – cet araméen errant – n’était pas un apatride.

Jésus – ce prédicateur galiléen toujours en chemin – n’était pas un apatride.

 

Le chrétien n’est pas un apatride.

Nos cartes d’identité et nos passeports nous identifient comme des Suisses, mais en réalité notre patrie n’est pas d’ici.

 

Alors si « étranger » ne signifie pas apatride, que signifie-t-il ?

 

Je crois que l’on pourrait remplacer le mot étranger par le mot « hôte ».

 

C’est un beau mot, le mot « hôte ».

 

Nous sommes des voyageurs et des hôtes sur cette terre.

 

Se tenir devant Dieu.

Accorder notre attention au Christ, c’est affirmer que bien que nous vivions dans ce monde, dans ce pays, nous sommes d’ailleurs.

 

Pour paraphraser l’évangile de Jean : être chrétien c’est être dans le monde, c’est contribuer à ce monde, prendre sa part dans les débats de ce monde, c’est agir dans ce monde, c’est aimer ce monde, ce par quoi il faut entendre : prêter une infinie attention au monde, mais sans être du monde.

 

En d’autres termes, « être voyageur et hôte » sur cette terre, c’est chercher à nous intégrer sans retenue dans le monde, mais sans nous y assimiler.

Vivre dans le monde, en sachant que je n’y suis pas chez moi, mais chez LUI.

Hôte de Dieu.

Convive de Dieu.

 

Le chrétien n’est défini ni par son ADN, ni par la matière qui le compose, ni par son état civil, mais ce qui le définit, c’est cette Parole qui vient de plus loin que de lui-même et que nous venons écouter ici.

 

Une Parole qui nous appelle.

Une Parole qui nous interpelle.

Une Parole qui nous met en crise, c’est-à-dire qui nous place devant des choix de vie.

 

Lorsque nous nous laissons travailler par cette Parole, lorsque nous la prenons au sérieux, lorsque nous essayons de la vivre, vient tôt ou tard le moment où nous éprouvons comme un écart, un intervalle, un interstice entre nos convictions et celles de ce monde.

Car ce monde, avec ou sans Dieu, ne manque pas de convictions ni de croyances.

Car ce monde fier de se prétendre émancipé de Dieu est rempli de dieux.

 

Je pense à toutes ces injonctions, ces prescriptions et ces conventions distillées inlassablement par la pensée dominante de ce monde et que les publicistes, tels des apôtres, relaient dans leurs spots et leurs slogans.

 

Se reconnaître étranger et voyageur sur cette terre, c’est consentir à ce décalage.

Attention, ne nous méprenons pas, se reconnaître étranger et voyageur sur cette terre, ce n’est pas vivre à l’écart de ce monde.

Vivre à l’écart du monde, s’en retirer, c’est une posture de rupture.

Être voyageur et étrangers sur cette terre, ce n’est pas se tenir à l’écart, mais c’est se tenir DANS cet écart.

 

Voici quelques écarts dans lesquels la Parole nous invite à nous tenir.

Dans un monde où tout s’accélère, la Parole nous invite à la lenteur, celle qui permet la contemplation, la disponibilité, l’étonnement.

 

Dans un monde où l’apparence est devenue une priorité, une idole, la Parole nous invite à cultiver notre intériorité.

 

Dans un monde qui a peur de manquer de tout, la Parole nous invite à nous réjouir de peu, car même le peu est don.

 

Dans un monde où la réussite se mesure aux signes extérieurs de richesse et de performances que l’on se plaît à exhiber sans complexe, la Parole nous rappelle que nous sommes des nantis ; des nantis de la reconnaissance et la grâce que Dieu nous accorde. Voilà notre richesse.

 

Dans un monde où l’on cherche à profiter de la vie, la Parole nous exhorte à protéger la vie sous toutes ses formes, à être en quelque sorte des hommes et des femmes, non pas qui profitent de la vie, mais sont profitables à la vie.

 

Alors oui nous sommes bel et bien des étrangers et des voyageurs sur cette terre.

 

Il ne faut pas se le cacher, ce décalage est parfois très inconfortable.

Il est difficile de tenir sa position dans cet écart.

Il arrive que l’on se décourage, et que l’on se dise « à quoi bon » ! 

 

Mais plus que le découragement, la pire tentation (et il n’est pas rare que nous y cédions en Église) est de penser que ce décalage nous autoriserait à juger le monde.

 

Mais, à nouveau, sur ce point, la Parole ne manquera pas de nous bousculer et de nous embarrasser, elle qui nous interdit de juger le monde et les autres.

Ni à lui donner des leçons.

 

Comment tenir dans cet écart sans amertume ni découragement ?

 

Peut-être en découvrant que c’est lorsque nous nous tenons dans cet écart, au plus près de nos convictions, ajustés à elles, que nous trouverons ce que nous recherchons le plus : notre bonheur, notre sérénité et notre paix alors même que nous vivons au cœur d’un monde troublé et tragique. 

 

Notre monde n’a pas besoin de possédants, mais simplement d’hommes et de femmes qui consentent à vivre en ce monde tels des hôtes heureux de l’être.

 

Et cela, il faut le dire et le redire haut et fort en ces temps !

 

Et plus encore aujourd’hui, en ce dimanche des réfugiés.

 

Ici, nous croyons, ici, nous affirmons la dignité de tout être qui vit.

Quelle que soit sa couleur de peau.

Quelle que soit son origine.

Quelle que soit sa religion.

Ici nous croyons que notre commune dignité d’être humain est d’être un hôte en ce monde.

Mais plus encore qu’un simple hôte, un hôte bienvenu … un hôte bienvenu.

 

Et ce commun-là, personne ne pourra nous le ravir.

 

Il faut le redire en ces temps où, en Europe, en Suisse et ailleurs dans le monde, les propos haineux, racistes, antisémites se multiplient.

 

Il faut le dire et le redire en ces temps où d’aucuns sans vergogne tendent les bras bien droits, renouant avec un salut de sinistre mémoire, au lieu de tendre des mains.

 

Cette conviction, il faut la dire et la redire alors que des voix se font entendre pour dire que certains sont de trop.

 

Oui, nous sommes des étrangers et des voyageurs sur cette terre, mais vous l’aurez compris, ces mots ne nous autorisent pas à vivre notre foi en touristes.

 

Amen

 

DEUTERONOME 10,10-12

Quand le SEIGNEUR ton Dieu t’aura fait entrer dans le pays qu’il a juré à tes pères Abraham, Isaac et Jacob, de te donner – pays de villes grandes et bonnes que tu n’as pas bâties, de maisons remplies de toute sorte de bonnes choses que tu n’y as pas mises, de citernes toutes prêtes que tu n’as pas creusées, de vignes et d’oliviers que tu n’as pas planté – alors, quand tu auras mangé à satiété, garde-toi bien d’oublier le SEIGNEUR qui t’a fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude

 

 

HÉBREUX 11,13-16

 

Dans la foi, ils moururent tous, sans avoir obtenu la réalisation des promesses, mais après les avoir vues et saluées de loin et après s’être reconnus pour étrangers et voyageurs sur la terre. 

Car ceux qui parlent ainsi montrent clairement qu’ils sont à la recherche d’une patrie ; et s’ils avaient eu dans l’esprit celle dont ils étaient sortis, ils auraient eu le temps d’y retourner ; en fait, c’est à une patrie meilleure qu’ils aspirent, à une patrie céleste.

 

LUC 9,57-58

Comme ils étaient en route, quelqu’un dit à Jésus en chemin : « Je te suivrai partout où tu iras. » 

Jésus lui dit : « Les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids ; le Fils de l’homme, lui, n’a pas où poser la tête. »