Prédication L'habit ne fait pas le moine 3/3, "Voir le monde comme dans un miroir."

  • « Voir le monde comme dans un miroir »

 

Entre Paul et moi, il y a une différence de genre et 20 siècles d’écart.

 

« A présent, nous voyons dans un miroir et de façon confuse, mais alors, ce sera face à face. »

 

Moi, quand je regarde dans un miroir, je vois plutôt net. C’est sans concession, un miroir. Ça réfléchit strictement mes rides, mes cernes de fatigue. Parfois aussi mon incroyable forme.

Il n’y a qu’un miroir sans tain pour éviter le face à face. 

 

Et pourtant ce soir, à la lecture du texte de la bible, l’impression que Paul dit tout juste l’inverse.

 

Ça n’est pas peut-être pas tant une question de genre que d’époque.

 

 

Puisqu’à l’époque de Paul, les miroirs n’avaient rien à voir avec ceux que nous utilisons aujourd’hui.

 

C’était des plaques métalliques qui étaient polies au mieux pour permettre un reflet. Pas de quoi s’admirer des heures des heures ; pas de quoi non plus rectifier le maquillage ou le rasage. L’image renvoyée était effectivement confuse et floue…

 

Cela dit, c’est étrange que Paul utilise cette image-là. Elle n’est pas du tout courante dans la Bible.

… Le mot “miroir“ n’apparaît que 2 fois dans le Nouveau Testament.

 

Il a donc sans doute une intention bien précise en utilisant ce langage. Et je fais l’hypothèse que s’il amène le questionnement sur le reflet, sur ce que l’on voit ou ce que l’on croit voir, la netteté, le flou, la confusion, c’est pour nous renvoyer, fondamentalement, à notre rapport au monde et à l’autre.

 

À la manière dont nous observons, appréhendons, décryptons, entrons en interaction avec le monde et autrui.

 

La formule de Paul est assez jolie. Il dit littéralement « À présent, nous voyons à travers un miroir, comme en énigme. ».

 

Comme en énigme, ou “de manière confuse“ pour reprendre la traduction. Mais j’aime bien “comme en énigme“.

 

Par ces mots, l’apôtre commence par nous rappeler que le monde ne se lit pas comme une évidence.

Il est complexe.

 

On le sait, bien sûr. On l’a su.

 

Mais j’apprécie de le réentendre aujourd’hui, à une époque où l’entre-soi généré par les réseaux sociaux, le culte du paraître, la tyrannie de la transparence, la simplification outrancière de la réalité veulent nous faire croire que décrypter le monde est un jeu d’enfant.

Que les limites sont claires entre le bien et le mal, le vrai et le faux, le blanc et le noir. Que c’est normal et quasi naturel d’être pour les uns et contre les autres. De pleurer les uns en maudissant les autres.

 

À quelques jours du 7 octobre, je pleure les uns et les autres. J’enrage devant la folie guerrière et meurtrière des uns et des autres.

 

Mais je comprends aussi que c’est tentant de vouloir croire à une simplification du monde. Parce que l’actualité nous use. Et quand on a l’impression d’être soi-même capable du meilleur, et pas du tout du pire, on pourrait imaginer que c’est pareil pour tous et que c’est simple.

 

Un regard éclairé sur l’actualité nous montre la complexité du monde dans lequel nous vivons. Si c’était si simple que cela d’être en paix, le monde le serait.

 

Les conflits d’aujourd’hui génèrent des polarisations, des approches unilatérales, des compréhensions exclusives (excluantes) qui ruinent d’elles-mêmes tout espoir pour que les unes et les autres s’entendent et s’écoutent.

 

Lire le monde n’a jamais été un jeu d’enfant.

 

Paul va plus loin : lire le monde ne doit pas devenir un jeu d’enfant.

 

Lorsque j'étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant.

Devenu homme, j'ai mis fin à ce qui était propre à l'enfant.

 

C’est intéressant de relire ces mots. Parce que, dans notre culture, on entend souvent que l’âge d’or de l’humanité c’est l’enfance. Qu’on affuble de pureté et d’innocence. Une pureté et une innocence qu’il faudrait retrouver tel un graal.

 

Paul, lui, nous dit que le monde est une énigme que nous devrions nous engager à résoudre. Précisément en sortant de l’état de l’enfance. Pour accéder à l’âge où le sens devient accessible et que la vision s’éclaire.

 

Pour réussir cette mue, il nous livre quelques indices.

 

J’en relève 3.

 

Paul nous dit tout d’abord qu’au temps de la perfection, 

Les prophéties seront abolies.

Les langues prendront fin.

La connaissance sera abolie.

 

On pourrait s’étonner de ces 3 catégories. Pourquoi parler de prophéties, de langues et de connaissance, pour parler du monde et de nos vies ?

 

Peut-être parce que les prophéties, c’est ce qui nous rend attentifs à l’impact de nos actions dans le futur.

 

Les langues, c’est ce qui nous permet d’exprimer notre lien aux autres et au monde, dans le présent.

 

La connaissance, c’est ce que nous retenons du passé.

 

En convoquant ces 3 catégories, Paul convoque notre passé, notre présent, notre avenir. Il nous invite à penser notre vie en ce monde dans la globalité de son déploiement temporel.

 

La fuite en avant (on peut penser à quelques dirigeants), le refuge dans le passé (là encore, on peut penser à d’autres dirigeants), la seule conscience du présent sont autant d’attitudes qui témoignent d’une vision étriquée, partielle et limitée du monde.

 

En se focalisant sur l’une ou l’autre, on ne peut que voir flou.

Paul nous invite à nous décentrer, pour voir large.

 

Et puis, en ayant conscience du déploiement de nos vies dans le temps, il nous invite à faire un pas de plus en y ajoutant un double surplus, si j’ose l’expression : l’amour et la connaissance.

 

L’amour, qui ne disparaît jamais. L’amour sans lequel je ne suis rien. Si je parle aux humains de ce temps, sans amour, je ne suis qu’un métal qui résonne. Si j’ai le don de prophétie, ou la connaissance des mystères, sans l’amour, je ne suis rien.

 

L’amour, ainsi présenté, c’est la reconnaissance de notre besoin impérieux de l’A-autre, avec et sans majuscule. C’est l’antidote de la complétude, de la suffisance, du totalitarisme. 

 

L’amour, par sa quête d’infini, ruine tout système qui se voudrait clos. Il est cette porte ouverte, cette aspiration vers ce qui nous dépasse et ouvre tous les possibles.

 

Et puis la connaissance.

Le français rend mal la finesse de la pensée de Paul.

 

Lorsque Paul dit :

« La connaissance ? Elle sera abolie…

…À présent, ma connaissance est limitée…

… Alors, je connaîtrai comme je suis connu. »

Il utilise des mots différents.

 

Il y a tout d’abord le mot γνῶσις (gnosis), qui vient du verbe γινώσκω (ginosko).

Qui évoque, si je la fais très courte, le savoir académique, le savoir encyclopédique. Le cumul de tout ce que l’on a retenu.

 

C’est donc une sorte de savoir, à distance, parce qu’on sait, mais on n’a pas expérimenté.

Ce savoir-là, partiel, sera aboli.

 

Mais, quand Paul dit ; “je connaîtrai comme je suis connu“, il utilise le verbe ἐπιγινώσκω (epiginosko).

ἐπιγινώσκω plutôt que γινώσκω, 3 lettres qui font toute la différence.

 

ἐπιγινώσκω, c’est littéralement, “savoir par-dessus“. C’est une connaissance par le haut. Qui, tout comme l’amour, donne une finalité, une aspiration, un sens au « simple » savoir entre guillemets.

 

Se laisser guider par un surplus d’amour et de connaissance.

Se laisser décentrer.

Aspirer à l’infini.

Refuser le totalitarisme.

Développer un savoir expérimental qui se frotte à celui des autres.

 

Voilà ce qui peut nous aider à décrypter le monde et à y donner sens. Pourquoi pas à en infléchir la marche.

 

Je crois qu’il en a un urgent besoin.

 

Amen

 

  • Lecture de 1 Corinthiens 13 : 1 à 3 + 8 à 13

Quand je parlerais en langues, celle des hommes et celle des anges, s'il me manque l'amour, je suis un métal qui résonne, une cymbale retentissante.

Quand j'aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et de toute la connaissance, quand j'aurais la foi la plus totale, celle qui transporte les montagnes, s'il me manque l'amour, je ne suis rien.

Quand je distribuerais tous mes biens aux affamés, quand je livrerais mon corps aux flammes, s'il me manque l'amour, je n'y gagne rien…

L'amour ne disparaît jamais.

Les prophéties ? Elles seront abolies.

Les langues ? Elles prendront fin.

La connaissance ? Elle sera abolie.

Car notre connaissance est limitée, et limitée notre prophétie.

Mais quand viendra la perfection, ce qui est limité sera aboli.

Lorsque j'étais enfant, je parlais comme un enfant,

je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant.

Devenu homme, j'ai mis fin à ce qui était propre à l'enfant.

A présent, nous voyons dans un miroir et de façon confuse,

mais alors, ce sera face à face.

A présent, ma connaissance est limitée,

alors, je connaîtrai comme je suis connu.

Maintenant donc ces trois-là demeurent,

la foi, l'espérance et l'amour,

mais l'amour est le plus grand.