Le récit de la transfiguration revisité. La transfiguration ne serait-elle pas cette petite fenêtre sur le ciel qui nous parle de notre terre ?
D'après
2 Pierre 1, 16 à 19 et Luc 9, 28b à 36
Je ne sais pas pour vous, mais j’aurais besoin d'un temps un peu glorieux dans notre monde et dans l’Eglise.
Un de ces moments qui me fait croire à la bonté de l’homme,
à sa capacité d’être plus grand et plus fort que les apparences,
à sa puissance de créativité, d’audace, de partage pour que les choses se fassent plus belles, plus justes, mieux à même d’être au service des humains.
Aujourd’hui, je veux dire ces jours-ci, nous avons un peu le nez sur le guidon à cause de cette chaleur étouffante et à ses conséquences sur notre avenir, à cause de cette mare de violence en Ukraine, cette corruption endémique au Liban, à cause de nos angoisses quant à nos réserves énergétiques pour l’hiver qui vient,
et la liste continue.
Nous baignons dans les soucis.
Quant à l’Eglise, elle nous fait peine à voir. Nous l’aimerions rayonnante, prophétique et un peu dodue.
C’est cela, dodue, remplie, généreuse, ne manquant de rien, prête à partager.
Joyeuse et un peu insouciante.
Aujourd’hui, nous nous comptons un peu, nous nous réorganisons, nous nous demandons quelles sont nos priorités et de quoi demain sera fait.
Nous baignons dans les soucis.
Les apôtres baignaient dans les soucis.
Pas seulement eux d’ailleurs. Celles et ceux qu’ils rencontraient et qui traversaient des temps de tempête parce qu’ils étaient malades, parce qu’ils avaient faim, parce qu’ils n’avaient plus de place dans la communauté humaine, parce qu’ils se demandaient quel pouvait bien être le sens de leur vie.
Beaucoup baignaient dans les soucis.
Et voilà qu’au milieu de la vie, leur vie, notre vie, Luc nous raconte cet épisode un peu surréaliste d’une transfiguration du Christ sur une montagne de Galilée. Un épisode qui nous raconte quelque chose de sa vie, mais qui s’inscrit dans une réalité autre, dans une manière de croire le monde, et de le contempler nos paupières closes.
L’affaire est un peu contrastée. Une semaine après des bains de foule et des enseignements certainement harassants, Jésus choisit trois disciples - ce qui a dû un peu chiffonner les 9 autres, pour une affaire hautement confidentielle. L’objectif était de prier. Rien à redire jusque là.
Mais la prière endort, c’est bien connu.
Alors que les disciples tombent dans un profond sommeil, le Christ change d’aspect et s’entretient avec deux monuments de la foi d’Israël: Moïse et Elie.
De quoi parlent-ils ?
Des événements futurs, à savoir de la passion et de la mort du Christ, dans un contexte de gloire. C’est ce que nous rapporte Luc.
Les trois amis, eux, sont exténués et manquent cet épisode-là. Ils se réveillent lorsque c’est presque fini, et comme Pierre, le leader de l’équipe, ne veut pas que les choses s’arrêtent. C’est tellement inattendu, impensable, tellement glorieux qu’il propose une stabilisation dans cette réalité qui a été donné à voir.
Combien d’entre nous avons connu cela ? Les trente glorieuses, les années folles où l’Eglise était encore une communauté généreuse, prête aux engagements abondants, aux dons réguliers, aux vocations régulières.
Une histoire que nous aimerions garder, cultiver, et pourquoi pas, enjoliver. Une de celles qu’on finit par se demander si elle est bien réelle.
Comme une folle envie d’arrêter le temps.
Ce qui est donné de voir aux trois disciples choisis par le Christ, c’est une réalité différente, radicalement autre, certainement accessible que par les yeux de la foi. Mais en même temps une réalité qui parle de notre histoire, de nos misères, de nos trahisons. Cette gloire-là ne parle pas des réalités ultimes, transformées, embellies, mais elle désigne l’histoire tourmentée du Christ, comme partie prenante de Dieu dans notre monde. La loi, symbolisée par Moïse, et les promesses, symbolisées par Elie, sont bien entendu inscrites dans le projet de vie de Dieu pour le monde, mais les enseignements, les guérisons, les miracles ne prennent sens que parce qu’ils annoncent la passion et la mort du Christ.
D’où le silence des disciples qui se tairont jusqu’à la Résurrection. Parce que les choses ne peuvent se comprendre qu’à partir de cette mort vaincue par Celui qui l’a vécue pleinement.
Alors comment cet épisode peut-il faire sens pour nous ?
Est-il autre chose qu’une tentative visuelle de nous faire voir les choses au-delà de ce monde ?
La clé de lecture de cet épisode réside dans ces quelques mots du verset 31: « …ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem ».
Moïse, Elie et le Christ ne s’interrogent pas sur le sexe des anges, mais ce vers quoi marche le Christ. La pleine et totale révélation que le monde n’en veut pas, et qu’il va mettre en place une stratégie d’instrumentalisation et de manipulation pour éliminer ce porteur de Dieu.
Dieu vient dans nos noirceurs, dans nos misères, dans ce qui conteste notre propre humanité. La gloire - certainement radieuse, éclatante - n’est ni un somnifère, ni un stupéfiant qui nous feraient déserter les réalités du monde. La gloire de Dieu se donne pleinement dans ce que nous vivons, jusque dans l’impensable, la propre mort du Christ.
La gloire de Dieu se donne en nous, par nous, à travers nous. Non pas dans l’impossible tentative d’être un exemple insurpassable de vie et de foi. Mais en reconnaissant nos limites, nos fatigues, nos détresses aussi.
Dans les difficultés et les batailles que nous traversons ces jours, nous avons besoin d’entendre et de croire que Dieu n’y est pas indifférent.
Bien au contraire, il y est totalement présent. Dans les angoisses de ceux qui voient leurs récoltes détruites, et donc des revenus qui ne seront pas au rendez-vous, dans les angoisses d’être victimes de guerre, dans les angoisses d’être déplacés, arrachés à une terre nourricière, dans les angoisses de voir de simples sécurités disparaître parce que l’économie l’exige, parce que les rendements ne sont pas assez importants, parce que la couleur de peau ou l’apparence sont sujets de moqueries.
Dans l’angoisses de voir mourir une relation, un être cher, un projet auquel on tenait tant.
Dans toutes nos déconstructions, dans nos limites que nous nous imposons et que nous imposons à d’autres, dans les souffrances - c’est-à-dire les passions - que tant d’humains traversent à travers le monde, Dieu est.
Dieu est totalement. Et ce qui se vit au sein de la communauté humaine se trouve être concerné dans la réalité divine dont nous ne sommes pas témoins, mais dont certains en parlent.
Pendant longtemps nous avons cru qu’il fallait mobiliser nos énergies pour grimper plus haut, et installer des tentes pour arrêter le temps. Alors que Dieu se tue, au sens propre, à nous rejoindre.
Ce qui est bon, ce n’est pas le camping des disciples dans un environnement de gloire. Ce qui est juste et bon, c’est la présence du Christ partout où des humains sont assoiffés de sens, de lumière, de respect.
Transfiguration: ne serait-ce pas l’invitation de nous laisser traverser par cette gloire que nous avons peine à discerner et à laquelle nous participons ?
Transfiguration: ne serait-ce pas cette petite fenêtre sur le ciel qui nous parle de notre terre ?
D’une terre qui n’est pas laissée à l’abandon de ses démons, mais bien aux engagements de ceux qui témoignent de la force créatrice de la parole de Dieu.
Plus que jamais, mieux que jamais, il nous faut sortir de notre sommeil et retrousser nos manches et nous remettre à la construction d’un monde plus juste, plus vrai, plus digne.
Amen.