Prédication du 6 avril, Éclats d'origine 5/5, "T'es né.e à quel âge?"

 

Éclats d’origine 5/5

« T’es né.e à quel âge ? »

 

Nicodème et Jésus, c’est l’art du dialogue qui se fait quiproquo. Ou peut-être l’inverse. De quiproquo en quiproquo, un chemin de dialogue s’ouvre, timidement.

 

Quoi qu’il en soit, je les imagine assez bien tous les deux, dans la pénombre, à se faire face. Et chacun de se dire en lui-même : « Mais qu’est-ce qu’il me veut ? ».

Et cette question d’alors, « Qu’est-ce qu’il me veut ? » ricoche jusqu’à nous, devenant : « Qu’y a-t-il à comprendre dans ce dialogue si âpre, complexe, et compliqué ? ». 

 

Autant vous le dire tout de suite, je ne suis pas sûre de répondre à la question d’ici la fin de la prédication, mais pour nous donner une chance de comprendre cet étrange dialogue, j’aimerais commencer par revenir sur le contexte de la rencontre entre les deux hommes.

 

Cette apparition de Nicodème, c’est la première de trois dans l’évangile de Jean.

 

La troisième fois, on le retrouvera, de nuit, lorsqu’avec Joseph d’Arimathée, il se rendra au pied de la croix de Jésus. Apportant avec lui un mélange de myrrhe et d’aloès. Les deux hommes, ensemble, prendront le corps de Jésus pour l’emmener au tombeau.

 

La deuxième fois, Nicodème se fend d’une prise de parole publique, de jour, au sein du Sanhédrin et contre le Sanhédrin pour défendre Jésus. À un moment où les grands prêtres et les pharisiens songent à l’arrêter sans preuve et sans l’entendre préalablement. Ce qui serait une entorse à la loi.

Nicodème rappelle le cadre de la loi, évitant ainsi une arrestation qui aurait été abusive mais qui aurait probablement quand même eu lieu. En termes d’arrangement avec la justice, l’actualité n'a rien inventé.

 

Pour cette première apparition, Nicodème s’en va trouver Jésus, de nuit. Un déplacement, en catimini, qui fleure la clandestinité.

Qu’est-ce qui le pousse à se déplacer ainsi, à l’insu de tous, notamment de ses collègues du Sanhédrin ? Vous l’imaginez, les commentaires vont bon train.

 

Peut-être a-t-il peur.

 

Peur qu’on le voie lui, le pharisien, le notable, se déplacer vers ce Jésus atypique qui ne fait rien comme les autres et ne ménage pas ses critiques à l’égard des pharisiens.

 

Ou peur qu’on le découvre, porteur d’un questionnement, d’une interrogation, alors qu’il était sans doute réputé pour briller dans l’art d’apporter des réponses.

 

Peut-être encore est-il en chemin. Peut-être se sent-il titillé. Non pas agacé ou fâché, mais titillé par Jésus, et qu’il en vient à interroger sa tradition, sa compréhension des lois et des coutumes. Ce qu’il avait considéré comme une évidence jusque-là.

 

Ou alors, fait-il nuit ? Non seulement à ce moment-là du récit, mais dans sa vie ? Et Nicodème est-il en quête de repères nouveaux, d’interprétations inouies, pour éclairer son existence et en renouveler le sens ? Avec la même perplexité que j’ai éprouvée devant l’une des photos d’Olivier Christinat, sur le bas-côté nord. Allez y voir. Un escalier dont je suis incapable de dire dans quel sens il va.

 

Ainsi en est-il parfois de nos vies. Le sens que nous pensions avoir trouvé vacille.

 

Derrière tous ces « peut-être », impossible de savoir précisément ce qui motive la démarche de Nicodème. Peut-être un peu de tout cela. Mais ce qui apparaît d’emblée, quand il arrive près de Jésus, c’est qu’ils ne sont pas au même niveau. Ils ne parlent pas du même lieu. On a même l’impression qu’ils ne parlent pas la même langue.

 

Nicodème, en bon pharisien, s’adosse à sa science, à son savoir : « Rabbi, nous savons que tu es un maître qui vient de la part de Dieu, car personne ne peut opérer les signes que tu fais si Dieu n'est pas avec lui. »

 

Nicodème a observé. Il en a tiré une conclusion et il la partage. Il affirme quelque chose. Il n’y a pas de question dans sa phrase. Mais ce constat doit tout de même le titiller puisqu’il fait le voyage de nuit pour en parler directement avec Jésus. C’est comme si Nicodème disait un savoir qui, paradoxalement, lui échappe.

 

Jésus réplique : « En vérité, en vérité, je te le dis : à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu. » 

Le lien avec ce que Nicodème vient de dire ne saute ni aux yeux ni aux oreilles, ni même à l’esprit.

 

Mais j’en retiens que Nicodème pense savoir. Il est dans le registre de la théorie.

Jésus, en parlant de naissance, affirme de son côté l’irruption de l’inattendu propre à toute naissance. Il propose une immersion dans l’existentiel.

 

Je ne peux m’empêcher de lire ce décalage entre les deux hommes à l’aune des 3 moments où l’évangile fait apparaître Nicodème. 

 

Quel chemin parcouru par cet homme dans la narration de l’évangile.

Tout l’opposait à Jésus.

Il se risque néanmoins à une rencontre, de nuit.

Il le défendra publiquement devant le Sanhédrin.

Finalement, il prendra soin du corps de celui qui était en croix et le déposera au tombeau.

 

Alors, je m’interroge.

N'y a-t-il pas, entre les lignes, une invitation qui nous est faite, à nous ?

 

Invitation à suivre Nicodème. À le prendre pour modèle.

 

Et qui sait, à sa suite, passer de la nuit à la lumière.

 

Dépasser les certitudes qui bloquent et découvrir les interrogations qui mettent en mouvement. Pensez à la manne de la semaine dernière.

 

Envisager, à notre tour, qu’à notre mise au monde terrestre peut succéder une “nouvelle naissance“ ou une “naissance d’en haut“.

 

C’est difficile de dire précisément ce qu’est cette nouvelle naissance. Mais plus j’y pense, plus j’y vois un parallèle avec ce que je vous disais le premier dimanche à propos de la double notion d’image et de ressemblance entre l’humain et Dieu.

 

Souvenez-vous, les deux termes sont utilisés lorsque Dieu évoque le projet créateur. Dieu dit : « Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance…

 

Mais lorsque l’humain est créé, ne reste que le fait qu’il est à l’image de Dieu. La ressemblance a disparu.

Dieu créa l'homme à son image.

 

Et je vous disais que cela pouvait signifier que sommes, chacune et chacun, créés à l’image de Dieu. C’est un donné, un fait. 

 

Par contre, pour ce qui est d’être à sa ressemblance, nous avons à y travailler, jour après jour. Pour acquérir et déployer l’amour, la vérité, la justice, la paix dont Dieu est capable et dont il nous rend.

 

En prenant ces deux récits en parallèle ce matin, je ne dirais pas que la boucle est bouclée. Ce serait faire injure aux Écritures. Mais je pense que ce dialogue entre Jésus et Nicodème, l’évocation d’une nouvelle naissance, nous place dans la même dynamique que le récit de la création de l’humain.

 

Cette nouvelle naissance, due au souffle de Dieu, est une invitation à prendre conscience que la vie, toujours, est plus qu’il n’y paraît.

 

Qu’il y a plus à penser, à espérer, à vivre que ce que nous avions imaginé. Parce que l’éclat divin en chacune et chacun de nous, autorise l’irruption de l’inattendu, le surgissement de la grâce.

 

Quiconque est né de l’Esprit est toujours plus qu’il n’y paraît parce que l’élan de Dieu ne se laisse pas contenir et qu’il se plaît à réserver des surprises.

 

Je le crois, l’élan de la grâce de Dieu en nous, est la promesse d’une nouvelle naissance.

 

Je le crois aussi : Il n’y a pas d’âge pour une telle naissance. Et peut-être même qu’une telle naissance n’est pas d’un jour mais de chaque jour.

 

Amen

 

  • Lecture de Genèse 1 : 26 à 27

Dieu dit : « Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il soumette les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre et toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre ! »

Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa.

 

  • Lecture de Jean 3 : 1 à 8

Or il y avait, parmi les Pharisiens, un homme du nom de Nicodème, un des notables juifs. Il vint, de nuit, trouver Jésus et lui dit : « Rabbi, nous savons que tu es un maître qui vient de la part de Dieu, car personne ne peut opérer les signes que tu fais si Dieu n'est pas avec lui. » Jésus lui répondit : « En vérité, en vérité, je te le dis : à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu. » Nicodème lui dit : « Comment un homme pourrait-il naître s'il est vieux ? Pourrait-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère et naître ? » Jésus lui répondit : « En vérité, en vérité, je te le dis : nul, s'il ne naît d'eau et d'Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit.  Ne t'étonne pas si je t'ai dit : “Il vous faut naître d'en haut”. Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d'où il vient, ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l'Esprit. »