« Le grand mystère de Dieu n’est pas qu’il habite l’inaccessible lumière, mais qu’il s’enfonce là même où l’homme n’a pas d’autres compagnes que les ténèbres ».
Dans la série Jonas, épisode deux
C’est le chapitre deux du prophète Jonas qui retient notre attention aujourd’hui.
Pour y entrer et en recevoir quelques lumières (et pour ceux qui n’étaient pas là dimanche passé), il est nécessaire de rappeler quelques grandes lignes du premier chapitre.
Jonas, vous le savez, est un prophète chargé par Dieu d’aller à Ninive pour inviter ses habitants à changer de comportement, et il n’y va pas. L’inverse, il fuit de l’autre côté. Il devait aller vers l’est et il va vers l’ouest, vers Tarsis.
Il prend un bateau qui va vers Tarsis… et crac, une formidable tempête éclate menaçant de briser le navire. Chaque marin crie vers son dieu, appelle au secours, en vain.
On s’aperçoit alors que Jonas dort au fond du bateau. On le réveille, on le supplie d’invoquer lui aussi son Dieu… et par tirage au sort, on découvre que c’est lui le responsable de la tempête, parce qu’il fuit hors de la présence de Dieu, il fuit sa mission. La tempête devient de plus en plus terrible, Jonas demanda alors d’être jeté à la mer, ainsi s’apaiserait la tempête, ce qui arriva.
Il y a dans ce premier chapitre toute quantité de richesses, d’enseignements, de sagesse dont Line Dépraz vous a entretenu dimanche passé…
Et nous arrivons à notre chapitre deux.
Chapitre deux donc.
Tout aurait pu s’arrêter là ! Vocation divine, refus de l’appel, tempête, interrogatoire et finalement mort du coupable. Le premier chapitre nous montre qu’il y a eu déjà pas mal d’effets si on peut dire. Jonas s’est sacrifié lui-même : « hissez moi et lancez moi à la mer pour qu’elle cesse d’être contre vous »… Ce qui s’est passé, et le texte nous dit que les marins ont été fortement impressionnés par le dieu de Jonas et lui ont offert un sacrifice… question témoignage, c’est déjà pas mal.
Mais tout ne s’arrête pas là (si ça s’était arrêté là, on ne parlerait sans doute pas 2500 ans après).
Que dit le texte ?
Alors le Seigneur dépêcha un grand poisson pour avaler Jonas
(petite note écologique au passage : le fait que Dieu utilise les animaux montre leur dignité et leur rôle dans cas création).
Le voilà, le fameux poisson de Jonas. Sans doute pas une baleine (malgré la grandeur de l’animal on n’y voit guère la place pour y loger un humain, sans compter les fanons et les sucs gastriques. ). En fait, rien n’est dit de plus que ce mot : un grand poisson. Francine Carrillo (à qui cette prédication doit beaucoup) mentionne qu’un midrash (un commentaire juif) dit qu’il s’agit d’une synagogue, un lieu d’intériorité propre à la réflexion et au recueillement, à l’action de réunir ce qui est dispersé… C’est pas inintéressant, mais un peu anachronique…
Et le texte nous donne quelques indications qui vont éclairer cela. Il nous est dit que Jonas entre dans les entrailles d’un grand poisson. Les entrailles, dans la tradition biblique les entrailles sont le lieu de la miséricorde. Avant l’épisode du poisson, Jonas était dans le ventre froid de la cale d’un bateau. Il entre ici dans le ventre chaud et accueillant du « poisson » tel un fœtus, dans le ventre maternel. Il y a dans cette image un utérus, une matrice, un lieu de maturation et de préparation à la naissance. Cette affirmation est confirmée par une fantaisie grammaticale surprenante : à sa troisième mention, le poisson change de sexe et devient une « poissonne » ! Image féminine et de naissance donc, et c’est ce qui se passera.
On nous dit que Jonas demeura trois jours et trois nuits dans les entrailles. Pourquoi trois ?
Il y a dans le « trois » un anti dualisme. On n’est plus dans le « ou bien, ou bien » ?
.
C’est dans les entrailles de la poissonne (chaleur et bienveillance) qu’il nous est dit que Jonas « pria ». Lui qui s’était tu, lui qui avait refusé d’aller à Ninive et était entré dans un grand silence, le voilà qui se met à parler à Dieu dans une sorte de psaume qui crie à la fois et en même temps l’angoisse et la délivrance.
Que dit-il ?
Dans l’angoisse qui m’étreint, j’implore le Seigneur, …… il me répond.
Au fil du psaume, on va voir Jonas accéder au statut de sujet. Pour ce faire il va passer du « Il » à propos de Dieu, à un tu : « Il me répond » à tu entends ma voix ! Je-tu, la conversation qui va lui permettre de dire « je » à 8 reprises et de se relever
Regardons-en quelques-uns :
« du ventre de la mort j’appelle au secours tu entends ma voix
Le ventre de la mort, du shéol (ce n’est plus les entrailles de miséricorde c’est la bouche ventre digérant et terrible de la mort. Mais la confiance pointe le nez. « Tu entends ma voix ». Le dialogue est renoué, la parole circule… « De profundis clamavi ad te Domine ». « Des profondeurs je crie vers toi, écoute moi Seigneur, écoute mon appel soi attentif à ma prière » (Ps 130) (cantique « du fond de détresse » 130)
Mais ça ne va pas vite.
Curieusement, Il va accuser Dieu de l’avoir jeté là où il est :
Tu m’as jeté dans le gouffre au cœur des océans où le courant m’encercle ; toutes les vagues et tes lames déferlent sur moi, alors que c’est lui qui s’est mis dans cette position.
(cela ne nous arrive-t-il pas parfois, d’accuser Dieu ?) et (très subtil) de retourner cela contre nous ? Si bien que je me suis dit je suis chassé de devant tes yeux ?
Les yeux représentent ici le regard bienveillant de Dieu..
(qui de nous n’a pas pensé une jour par devers lui qu’il n’était plus en faveur de Dieu)
Mais là il ne se laisse pas aller au découragement. Son « Je » ‘affermit et il dit : pourtant je continue à regarder vers ton temple saint.
L’espérance est là
Dans le psaume il y aura encore un assaut de découragement. Le plus fort, le plus terrible :
Les eaux (qui incarnent le malheur) m’enserrent jusqu’à m’asphyxier tandis que les flots de l’abîme m’encerclent <les joncs sont entrelacés autour de ma tête. Je suis descendu jusqu’à la matrice des montagnes à jamais les verrous du pays de la mort sont tirés sur moi.
Est-il un texte qui exprime mieux la déréliction ? Difficile à dire, mais là on touche des sommets ou des abîmes.
Ca pourrait s’arrêter là… Ce serait terrible. Mais ça ne s’arrête pas.
Plus même, c’est là que tout bascule !
Mais de la fosse tu me feras remonter vivant
Je sais que mon rédempteur est vivant et qu’il se lèvera sur la terre » dira Job
O Seigneur mon Dieu Jusque-là, c’était le Seigneur, cela devient le Seigneur MON Dieu. Relation personelle
Et comment cela est-il possible ?
Parce que Jonas SE SOUVIENT
Alors que mon souffle défaille et me trahit : je me souviens
Le souvenir. Se rappeler de tout ce qu’il y a eu avant.
De ce qu’il a appris et célébré quand il était petit.
Faire appel à son intériorité…
Une des grandes composantes de la spiritualité est de se souvenir. De pouvoir se reposer sur ce qu’on a reçu, d’une certaine manière sur sa culture. Avoir des mots, trouver des mots pour exprimer ses émotions, ses sentiments, son malheur (ou son bonheur car le psaume exprime à la fois la douleur et l’espérance)
ZQR. Le Dikh des soufis : se rappeler des 99 noms de Dieu
Je me rappelle d’une personne que je visitais voici bien longtemps à l’hôpital qui avait perdu la parole et qui ne disait plus qu’une chose : le Notre Père !
Le chapitre se termine sur le fait que le Seigneur commande au poisson de vomir Jonas et qu’il se retrouve sur la terre ferme, loin du péril des flots…
Bon. Un sacré chemin qu’on a fait là !
D’aucun pourront dire qu’est-ce que cela a de chrétien toute cette histoire ? Eh oui, il faut bien se poser la question. On est en plein Premier Testament…
La réponse éclate avec force : C’est un récit de résurrection. C’est même étonnamment proche de ce qu’a vécu le Christ lui-même. Différemment de Jonas, il n’a pas fui sa mission, mais comme lui il a donné sa vie pour ramener un calme dans la vie de ceux qui croient en lui. Comme lui il est resté 3 jours dans la mort pour aller visiter ceux qui étaient dans les profondeurs (il est descendu aux enfers).
Comme Jonas le Christ est remonté de la fosse…
Et par la foi il nous entraîne tous dans cet élan de vie, de communion et de joie !
On l’a entendu dans l’évangile de Luc, Jésus lui-même à dit de lui : « Il y a ici plus que Jonas !)
Bon, il faudrait développer, mais on n’a guère le temps.
Reste une question, et pas des moindres, y a-t-il une actualisation possible de ce texte ?
A-t-il un message pour aujourd’hui ?
La réponse est oui, terriblement oui. Vous le savez (on l’expérimente avec nos sens) le réchauffement climatique et la perte de biodiversité sont de réalités qui nécessitent un changement très important de comportement. Une conversion écologique à vivre soi-même et à inviter chacun et chacune tout du moins à y penser et à s’y mettre…
Or Jonas nous ouvre un chemin. Il incarne en quelque sorte les trois grandes attitudes que l’on rencontre devant la problématique du climat (ces trois attitudes étant en nous).
- Nous pouvons fuir en disant qu’il n’y pas péril en la demeure : le déni, départ pour Tarsis).
- Nous pouvons entrer dans la déprime (éco-anxiété) : Jonas dans le poisson.
- Nous pouvons entrer dans la dynamique résurrectionnelle, nous souvenir des libérations passées, vivre différemment et espérer qu’il se passe quelque chose.
Que se passera -t-il ?
Pour le savoir nous sommes tous invités à suivre les épisodes 3 et 4 dès dimanche prochain ici même