Il arrive que des conceptions différentes du monde se côtoient voire même se heurtent. À la violence qu’un tel choc peut engendrer, certains préfèrent l’indifférence. La règle d’or est une réponse possible à ces deux dérives.
D'après Matthieu 7: 6 à 12 et Lévitique 19: 1 à 3 + 15 à 18
« Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux. »
Cette exhortation, vous le savez sans doute, on l’appelle “la règle d’or“. Et c’est l’idée de dire que, si tout le monde accepte ce principe et l’applique, “faire pour les autres ce que l’on voudrait pour soi“, alors on pourrait tous avoir une vie en or. Ça paraît logique.
Pourtant, je dois vous avouer que cette règle d’or, elle me gêne aux entournures…
Qui peut m’assurer que ce que je suis prête à faire pour vous, parce que j’y crois pour moi, correspond à ce que vous voudriez pour vous-mêmes ?
Et réciproquement ? Que savez-vous de mes envies et même de mes besoins ?
Alors bien sûr que si on pense avec des concepts très larges, du style amour plutôt que haine, justice et non iniquité, gentillesse en lieu et place de méchanceté ; bien sûr que la sentence rallie tout le monde.
Mais concrètement, au fil de nos jours et de nos vies personnelles, je doute que ce soit si simple.
Ce qui est vrai pour les uns ne l’est pas forcément pour les autres. C’est une histoire de goût personnel, d’habitudes familiales, de culture aussi...
… Pensez, par exemple, à la bienséance : on sait combien ses codes varient d’un pays à l’autre : mains sur la table ou sous la table durant le repas ; regarder son interlocuteur en face ou détourner le regard lorsqu’il s’adresse à nous ; reconnaître son ignorance lorsqu’un étranger nous demande son chemin ou dire n’importe quoi pour ne pas perdre la face ; ouvrir un cadeau dans l’immédiat ou attendre le départ de celui qui nous l’a offert.
Si les choses en termes de bienséance sont si variées, il n’y a pas de raison, a priori, pour que la notion de bien-être ou de bonheur ne connaissent pas les mêmes aléas.
Voilà pourquoi l’idée d’une règle valable pour tous me fait douter.
Pourtant, je dois le reconnaître aussi, cette règle d’or a quelque chose, si ce n’est d’universel, du moins de très répandu. On la connaissait déjà dans le zoroastrisme, le bouddhisme, le confucianisme. Qu’elle apparaisse dans le nouveau testament n’est donc guère étonnant. À une particularité près.
Alors qu’ailleurs on la connaît sous une forme négative : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse », elle est ici positive : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux. ». Et Jésus de rajouter : « Telle est la Loi et les Prophètes ».
C’est dire que Jésus voit dans cette règle d’or le coeur de la pensée biblique. Un résumé possible, sans doute pas le seul, mais un résumé possible de la loi et des prophètes.
Ayant réalisé cela, je me suis dit qu’il fallait peut-être mettre mes réticences de côté… Pour m’y aider, j’ai regardé de manière plus globale dans quel contexte ces mots sont prononcés.
Cette règle d’or, elle apparaît dans le sermon sur la montagne, plus particulièrement, après différentes paroles par lesquelles Jésus nous encourage à ne pas juger les autres et où il nous rappelle la nécessité du pardon pour vivre des relations saines. On est donc dans un registre de non jugement et de pardon.
Et puis, juste avant cette exhortation, nous avons redécouvert l’importance de demander pour recevoir.
Oser demander ce qui nous est utile, oser en appeler à Dieu pour notre quotidien… car sa bonté et sa générosité sont inconditionnelles. « Si donc vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est aux cieux, donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui le lui demandent. »
Par ces mots, Jésus nous rappelle la fidélité du Père qui est attaché à notre bien.
Absence de jugement et pardon humain d’un côté ; bonté et fidélité de Dieu d’un autre côté ; voilà qui préparent, en amont, cette fameuse règle d’or.
Elle n’est donc pas un simple impératif éthique tombé du ciel. Elle est au centre d’une dynamique entre les humains et Dieu.
Du coup, si cette règle insuffle du dynamisme plus qu’elle ne fige les relations, je m’interroge : Pourrait-on vraiment imaginer des relations humaines, mais aussi des systèmes politiques, sociaux ou économiques basés sur cette règle d’or ?
C’est-à-dire, basés sur une réelle et pleine attention aux autres. En entendant ces mots que Jésus dit positivement non pas en se mettant soi-même au centre du monde, “faire aux autres ce que je voudrais qu’il fassent pour moi“. Mais en portant aux autres une attention telle que je pourrais toujours envisager, sans crainte, d’être à leur place ?
En mettant l’autre au centre, les questions prennent une dimension tout autre dans tous les domaines de nos vies.
Nous pouvons penser à nos habitudes de consommation : produits équitables ou pas ? Consommation locale ou non ? Quoi ? Sous quelles conditions ? Dans quel équilibre ?
En plaçant l’autre au sens, nous pouvons penser à notre avidité de visiter le monde. Qui révèle une curiosité saine mais qui conduit parfois à dénaturer les lieux de vie de certains peuples.
Pensons encore à la notion d’évangélisation si chère à nos institutions : Peut-on tout dire et tout faire au nom du Christ ?
Vivre dans le monde, avec une attention aux autres telle que je pourrais toujours envisager, sans crainte, d’être à leur place. Voilà qui me parle en termes de spiritualité et de questionnement critique sur ma manière d’être.
Comme chrétienne, je sais qu’il y a des pages de l’histoire inadmissibles. Qu’il y a, aujourd’hui encore, des comportements dont j’ai, dont nos communautés, ont à se défaire. Les premières paroles de l’évangile entendues tout à l’heure nous y aide.
« Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré, ne jetez pas vos perles aux porcs, de peur qu’ils ne les piétinent et que, se retournant, ils ne vous déchirent. »
Les chiens et les porcs représentent, ici, ceux qui ne peuvent pas reconnaître dans l’Evangile une perle, une bonne nouvelle, et qui donc ne changeront pas en l’entendant.
Jésus nous encourage à prendre acte du rejet possible de l’Évangile et à accepter cette limite posée par la liberté d’autres êtres humains. Et même si nous pourrions être tentés de taxer certaines personnes de chiens, elle n’en demeurent pas moins des personnes humaines. Des êtres que nous n’avons pas à juger. Des personnes pour le bien desquelles Dieu œuvre aussi dans sa fidélité.
Il arrive que des conceptions différentes du monde se côtoient voire même se heurtent. À la violence qu’un tel choc peut engendrer, certains préfèrent l’indifférence.
La règle d’or, posée en équivalence de la Loi et des Prophètes, m’apparaît comme une réponse possible à l’une et l’autre de ces attitudes de violence ou d’indifférence.
… Vivre dans le monde, vivre à côté d’autrui en toute circonstance et en toute occasion, avec une attention telle que je pourrais toujours envisager, sans crainte, d’être à sa place.
Et, comme nous le rappellent l’évangile de Matthieu et le livre du Lévitique, l’au-delà de cette limite et son franchissement ne relève ni de la foi ni de la bonne volonté du croyant, mais de Dieu et de lui seul.
Amen