Prédication du 30 avril: La circoncision, blessure et cicatrice originaire.

Connaissez-vous Gaby, Sarah, Renée, Andreia, Sabrina,

Shani ?

 

Le visiteur peut entendre leurs témoignages dans le cadre de l’exposition « les cicatrices » que l’on peut voir à la Cathédrale.

 

Lu par une comédienne, leurs témoignages sont autant de coup de poing dont certains ont parfois manqué de me laisser KO.

 

Vous me direz … « Rien de nouveau sous le soleil ».

Et vous avez sans doute raison.

Mais je ne m’y fais pas.

 

Dans ces témoignages, il faut distinguer ce qui est de l’ordre du malheur et ce qui est de l’ordre du mal.

 

Nul n’est à l’abri du malheur.

Le malheur au carré, c’est JOB.

Il est atteint par une maladie, vit deuil sur deuil, perd tout et doit affronter ses amis qui, pour le réconforter, lui assurent qu’il y est pour quelque chose.

 

Il y a du malheur dans les témoignages de l’exposition les cicatrices.

Malheur de la maladie diagnostiquée au détour d’un contrôle de routine. Si l’annonce laisse sans voix, souvent la chirurgie laisse une signature indélébile dans la chair.

 

Et parmi ces témoignages, il y a aussi ceux des victimes du

mal.

 

La violence domestique.

Les coups et blessures.

Les humiliations, les injures.

Le viol, l’abandon.

Le mépris.

Tout cela dans le désordre.

 

Nous savons que le malheur peut nous frapper, tant notre

vie est complexe et vulnérable.

Mais le mal !

On se croit à l’abri.

C’est pourquoi les témoignages qui en font état sont sidérants. On touche à l’indicible. A l’impensable.

 

Ces témoignages relatent des situations, des circonstances particulières, mais en les écoutant, on se doute bien que les tourments, les souffrances, les angoisses, les supplices évoqués sont universels et hélas monnaie courante.

 

La sidération vient aussi de cela.

Du constat que le mal est endémique, chronique et qu’il ne cesse de ravager la vie de tant d’hommes, de femmes et d’enfants dans le monde.

 

Lorsqu’une victime du mal témoigne de ce qu’elle a vécu, c’est parfois tellement fort que l’on peine même à y croire.Beaucoup de femmes victimes de viol se taisent de peur de ne pas être crues ou pire soupçonnées de l’avoir « cherché ».

C’est pour cela que beaucoup de survivants d’Auschwitz se sont longtemps tus … ils craignaient qu’on ne les croie pas.

 

A l’écoute de ces témoignages, je tombe des nues.

Il faut dire que les entendre dans une cathédrale, leur confère une gravité : ils questionnent notre foi.

 

Misère, comment Dieu cela est-il possible ?

Dans le biotope de ces voûtes et nef où résonnent psaumes et cantiques, ces témoignages viennent percuter de nombreux textes bibliques.

 

J’ai déjà parlé de JOB pour ce qui est du malheur.

 

Pour ce qui est de l’énigme du mal, un texte m’es venu à l’esprit : le fameux texte d’Adam et Eve dans le livre de la Genèse.

 

Sidérés par l’existence du mal, des hommes ont inventé ce récit, moins pour dire l’origine du mal, que pour tenter de comprendre pourquoi et comment l’humain le relaie avec complaisance.

 

Parce qu’il est écrit par des hommes, des mâles dans une société et une religion organisée par eux et pour eux, il n’est pas étonnant d’y lire que la femme y tient le mauvais rôle.

Selon les auteurs de ce texte, c’est par la faute de la première femme que le mal est inoculé à l’humain.

 

Cette croyance est– avouons-le – fort de café.

 

Car à bien y regarder, s’il paraît évident que ni l’homme, ni la femme ne sont à l’abri de commettre le mal, en termes statistiques, l’homme mâle remporte largement la palme.

 

Les grands chefs de guerre, les conquérants sanguinaires, les dictateurs, les tortionnaires et les bourreaux sont dans leur grande majorité des hommes.

 

Et n’allez pas croire que c’est là une question de testostérone ou de force physique naturelle ; ça n’a rien à voir !

La domination de l’homme sur la femme, la perméabilité à la violence et à la force est une question culturelle, de croyance, de vision du monde.

 

Les hommes qui rédigèrent ce texte, non seulement se défaussent sur Eve, mais justifient la mainmise de l’homme sur la femme : « voyez comme on ne peut pas faire confiance aux femmes ».

 

Ce récit va être – hélas - survalorisé dans la foi chrétienne.

 

Quand je dis « ce récit », c’est pour rappeler que dans la Bible qu’il y en a d’autres. Notamment cet autre récit de la création où il est dit que « Dieu créa l’homme à son image, mâle et femelles il les créa ».

 

Ce récit-là n’a pas eu le même succès dans la foi chrétienne que celui du jardin d’Eden, parce que le prendre au sérieux oblige à remettre en cause les fondements mêmes de notre organisation sociale, économique et religieuse.

 

Il y a donc dans les écritures bibliques des courants de pensée différents.

Certains courants sont traditionalistes, conservateurs et font la part belle à l’homme-mâle dominant.

 

Mais on y trouve aussi des textes qui reflètent d’autres courants de pensée bien plus progressistes pour leur temps.

Il faut leur rendre justice.

Ces courants essaient de promouvoir des relations pacifiées entre l’homme et la femme. Des courants qui croient en l’égale dignité de l’homme et la femme devant Dieu.

 

Les Écritures sont traversées par la question de savoir comment réconcilier l’homme avec la femme.

 

Dans la foi juive et chrétienne, on affirme que ce souci est celui de Dieu.

 

Comment humaniser l’homme et plus particulièrement l’homme mâle ?

 

Dans le premier testament, cette humanisation de l’homme-mâle passe par la loi, mais aussi par le rite de la circoncision, cette pratique rituelle que Dieu impose à Abraham pour qu’il n’oublie pas l’Alliance que Dieu a conclue avec lui et sa descendance.

 

La circoncision fait en quelque sorte de l’homme-mâle, un

juif. Autrement dit un homme devant Dieu et avec Dieu.

 

Vous me direz, mais comment la circoncision contribue-t-elle à l’humanisation de l’homme ?

 

Ce rite touche l’homme dans son organe sexuel qu’il aime investir symboliquement de sa toute-puissance.

 

La circoncision, cette coupure, cette cicatrice à même sa

chair rappelle à l’homme-mâle qu’il n’est pas Dieu.

 

De son côté, la femme sait qu’elle n’est pas dieu ; elle qui perd chaque mois du sang, c’est-à-dire une part de son énergie vitale, mais sans en mourir. Le sang perdu, comme une blessure originaire, rappelle à la femme qu’elle n’est pas Dieu.

 

L’homme-mâle, lui, n’a pas ce repère et il n’est donc pas étonnant qu’il se leurre si pitoyablement et si souvent en se croyant (même inconsciemment) l’égal d’un dieu.

 

Et l’égal non pas de n’importe quel dieu, mais d’un dieu tout puissant à l’image de ceux qui peuplent son inconscient.

L’égal d’un dieu tout puissant à l’image de ceux de la mythologie et des panthéons grec et Romains, dieux jupitériens qui ne manquaient jamais une bonne occasion de violer des déesses ou des mortelles.

 

La marque de la circoncision – en ce qu’elle renvoie l’homme à l’Alliance que Dieu a conclue avec Abraham - lui rappelle que son humanité se joue là : dans sa capacité à se tenir devant un Autre que lui.

Dieu dans son altérité radicale, mais aussi l’autre comme vis-à-vis.

L’humanité de l’homme se joue dans sa capacité à se décentrer et à entrer en relation avec autrui.

 

Lorsque la relation devient possession, domination, manipulation, lorsque la relation efface toute altérité … c’est alors qu’il y a déshumanisation.

Désumanisation de la victime comme du coupable.

 

La circoncision est donc une cicatrice, une blessure originaire essentielle qui rappelle l’homme à son statut de créature devant Dieu et avec Dieu.

 

Il n’est pas anecdotique de rappeler ici que, huit jours après sa naissance, Jésus a été circoncis.

 

Et Jésus a fait quelque chose de sa circoncision.

 

Lui qui, sa vie durant, de manière audacieuse et inédite pour l’époque, a su accueillir les femmes sans réserve comme nul autre maître spirituel, comme nul autre sage ou philosophe de son temps.

 

A sa suite, l’apôtre Paul n’aura de cesse d’organiser les premières communautés chrétiennes de manière à ce que l’homme et la femme puissent s’y côtoier en égale dignité.

 

« il n’y a plus ni homme, ni femme … tous sont un en Jésus-Christ » écrira-t-il plusieurs fois dans ses lettres.

 

Paul militera pour l’abandon de la circoncision, mais la circoncision du cœur demeure écrira Paul.

La circoncision du cœur, ce n’est plus une question rituelle et identitaire réservé au judaïsme, mais la circoncision du cœur revêt pour l’apôtre une dimension universelle, non pas réservée aux seuls hommes, mais aux hommes et aux

femmes.

Dans la pensée hébraique, le cœur est le lieu non pas des sentiments, des affects, mais de l’intelligence.

 

Il faut comprendre la circoncision du cœur, comme le consentement éclairé de l’humain qui accueille sans réserve son statut de créature, le vit et se revendique de ne pas être « comme des dieux ».

 

Dans les témoignages relatés dans l’exposition « cicatrices », c’est peu dire que l’homme mâle est bien peu à son avantage.

Le voilà tout à tour violeur, manipulateur et castagneur.

 

Rien de très nouveau, hélas.

 

Je m’interroge.

 

La principale victime de l’expulsion de Dieu hors de notre culture, la principale victime de l’indifférence de notre société à l’égard de Dieu, ce n’est évidemment pas Dieu, mais c’est l’humain et la création.

 

Un homme incirconcis, que ce soit du prépuce ou du cœur … un homme incirconcis, c’est un homme qui ne sait pas s’empêcher.

 

Ces quelques mots maladroits pour Gaby, Sarah, Renée, Andreia et en mémoire de tous ceux et celles, femmes, hommes et enfants, trop nombreuses victimes de l’homme incirconcis.

 

Amen