Prédication du 29 aout 2021 , Jonas 1, Jonas mène Dieu en bateau, par Line Dépraz

À vouloir fuir Dieu, Jonas commence par se perdre lui-même.
Jonas, c’est un sacré filou. Mais je dois vous avouer que j’aime bien son côté rebelle et frondeur.
Dans le fond, il est le contre-exemple absolu du parfait petit prophète : il tient tête à Dieu, il lui raconte des salades, il dort quand il faudrait se bouger les fesses, il est bougon, ronchon, jaloux. C’est dire que si on cherche un modèle d’exemplarité, mieux vaut aller voir ailleurs…
… Mais en même temps, en même temps Jonas me rejoint ; et, sans vouloir présumer de vos vies, de vos personnes, je serais tentée de dire qu’il nous rejoint. Il nous rejoint dans nos doutes, nos peurs, nos réticences, nos coups de gueule… il vient mettre en lumière nos contradictions, notre rapport parfois difficile aux autres, les images tout humaines que nous prêtons à Dieu. Alors, même si comme prophète, il détonne la moindre ; c’est un bon prof en humanité. D’où l’intérêt de se replonger dans son histoire.
 
On a peu d’éléments concrets sur sa vie. Mais ce que l’on découvre dans le premier verset du premier chapitre de son livre n’est pas anodin.
À commencer par son prénom, Jonas, qui signifie « colombe » … Nous voilà illico replongés dans l’histoire du déluge avec le rameau d’olivier rapporté à Noé, signe que la fin des turbulences est proche ; que la vie « normale » va reprendre. Ce prénom de Jonas, porte donc en soi une promesse. Celle d’une vie pleine et joyeuse après une période de crise.
Et puis, une colombe, et bien c’est léger, aérien ; ça sait prendre de la hauteur et viser un horizon lointain. À ce titre, Jonas est donc potentiellement aussi un homme d’envergure.
 
On apprend encore qu’il est le fils d’Ammittaï, c’est-à-dire, le fils de la vérité. Et c’est bien la vérité sur leurs attitudes que Dieu demande à Jonas de révéler aux habitants de Ninive. Ce sont des mécréants, Dieu ne peut plus laisser faire. Il veut les en avertir. Alors, il a besoin d’un porte-parole.
Plus précisément, il a besoin d’un lanceur d’alerte, non pour condamner sans appel les Ninivites mais pour susciter un changement de leur comportement. À ce titre, Jonas est potentiellement encore un homme de poids, vecteur d’espérance pour les habitants d’une mégapole en perdition.
 
C’est dire qu’à l’appel de Dieu, il aurait pu décoller, s’élever haut, dénoncer des attitudes mécréantes, annoncer le salut. Mais alors que Dieu le sollicite en lui demandant : « Lève-toi … va … profère un oracle… », Jonas se lève et fuit à Tarsis.
Partant de là, je choisis de revenir aujourd’hui sur trois éléments du récit : Tarsis / la dégringolade de Jonas / sa mission.
 
Tarsis. Il n’y a pas de consensus pour savoir où se situe cette ville même si de nombreuses suggestions ont été faites au cours de l’histoire. Mais ce qui est certain, c’est que Dieu attendait son prophète à Ninive, soit à l’Orient et qu’en mettant les voiles de Jaffa à Tarsis, Jonas se dirige vers l’Occident.
Or, vous le savez, l’Orient, c’est le lever du soleil, le début du jour, la vie naissante. L’Occident, c’est le soleil couchant, la vie finissante, la mort. Raison pour laquelle les cathédrales sont axées ouest – est pour signifier symboliquement la vie nouvelle promise à quiconque vit sous le regard de Dieu. Le cheminement à l’intérieur d’une cathédrale faisant écho au croyant qui, rencontrant Dieu en chemin, se découvre un surplus de vie non dans le calcul des années données mais dans la qualité et la plénitude de ce qui peut être vécu.
Le lecteur sait donc très vite que le choix de Tarsis comme lieu de fuite ne représente pas une option de vie. Jonas va à l’ouest. Il est à l’ouest, comme on dit chez nous. Et il va le payer cher.
 
De fait, et j’en viens à sa dégringolade, de fait en tournant le dos à Dieu, Jonas perd pied. Il perd toute l’ampleur que son prénom lui confère. Plutôt que de prendre de la hauteur, d’habiter sa stature, d’assumer son identité, c’est la chute libre. Il se retrouve à terre, rampant, se recroquevillant dans les entrailles inhospitalières d’un navire qui ne seront pas le lieu d’une nouvelle naissance. Mais celui d’une expulsion au plus profond des flots pour atterrir dans le corps d’un poisson. Nouvelle matrice, cette fois-ci. Mais ça, c’est au chapitre 2.
Alors que nous dit cette dégringolade de Jonas ? J’y vois personnellement deux pistes de réflexion.

  • La première, c’est de nous souvenir que nous sommes créés à l’image du créateur et que, de ce fait, il y a en chacune et chacun, un éclat de Dieu. Or, s’il y a en chacun de nous un peu de Dieu, alors il est illusoire de vouloir fuir Dieu sauf à se renier soi-même. C’est l’expérience douloureuse qui attend Jonas. À vouloir fuir Dieu, il commence par se perdre lui-même.
  • La deuxième piste de réflexion, je la dois au poète français, juif, décédé il y a quelques mois, Claude Vigée. Il a cette magnifique réflexion sur nos origines, sur ce qui fait notre identité d’êtres humains lorsqu’il écrit : « Nos racines ne sont pas semblables à celles de ces grands arbres plantés profond dans le sol givré, aux troncs noirs et rigides comme la fatalité historique qui nous paralyse. Nos jambes qui courent et qui trottent, voilà nos racines véritables, les seules qui soient dignes d’une existence d’homme. »

Il y a dans ses mots une invitation au mouvement. Une exhortation à sortir de nous, à nous déconfiner de nos représentations de nous-mêmes pour découvrir l’horizon que Dieu nous promet. Et celui qu’il promet à d’autres, à travers nous. « À l’obsession d’être soi s’oppose, ici, l’urgence de vivre au-delà de soi »[1] en étant curieux des autres, en construisant des ponts et en tissant des liens.
 
J’en viens maintenant à la mission de Jonas : « Lève-toi, va à Ninive la grande ville et profère contre elle l’oracle que je te communiquerai. »
La mise en route de Jonas présente un but géographique précis, Ninive, mais ne dit encore rien du contenu de la prophétie. À ce moment-là de l’histoire, c’est donc ce que représente Ninive qui pousse Jonas à la désobéissance et non pas le cœur du projet de Dieu pour cette ville.
Ninive, vous le savez peut-être, a été un réel oppresseur pour le peuple de Jonas puisqu’en 722 avant Jésus-Christ, le puissant Royaume assyrien dont elle est la capitale a opprimé et dispersé les 10 tribus du Royaume du Nord d’Israël.
Cela dit, au moment où le livre de Jonas est écrit, le 3ème siècle avant Jésus-Christ, Ninive, ne constitue plus une menace. Elle n’existe même probablement plus.
Du coup, il faut lire la référence à Ninive non comme un fait historique avéré basé dans un lieu-dit mais comme la représentation générique d’une mégapole symbolisant un monde fort et puissant qui se détourne de la volonté de Dieu.
Si Ninive est à lire symboliquement, il y a peut-être aussi à interpréter symboliquement ce qui est dit à Jonas. Et ce qui frappe alors, c’est l’injonction première de Dieu « Lève-toi ».
Se lever… dans les Évangiles, c’est l’impératif de la guérison. Le verbe qui rend aux paralysés leur verticalité intérieure et leur place dans la société. C’est un verbe qui dit la vie. Dieu voudrait-il offrir de la vie à Jonas ?
Lorsque ce même verbe est utilisé au passif, on le traduit « être ressuscité ».
Se lever, un geste simple du quotidien qui offre en même temps un surplus de sens.
Dans la tradition juive, la Amida, c’est la prière qui est prononcée trois fois par jour, vit de cette même dynamique du redressement car, vous le savez peut-être, elle est récitée debout.
Si Dieu demande à Jonas de se lever, de déployer son envergure, d’habiter son identité, il lui demande aussi de se faire tout entier prière. Et que sa vie témoigne par elle-même, au-delà des mots, de la relation qui l’unit à Dieu. De la spiritualité qui fait de lui un Vivant.
 
Je me dis que cela pourrait aussi nous parler : parmi toutes les voix qui retentissent autour de nous, discerner la voix de Dieu qui nous appelle et nous redresse. Habiter pleinement notre identité pour que notre vie entière rayonne du lien divin qui fait de nous des Vivants.
Amen
[1] Francine Carillo, Jonas comme un feu dévorant