Prédication du 28 mars, Rameaux

Série de cultes musicaux sur les 7 paroles du Christ en croix.
"Tout est achevé", Jean 19:30,
À ma mère
« Je crois que c’est fini… » C’est le texto que j’ai envoyé à mon mari, il y a quelques mois. J’étais près de ma mère en écoutant le Requiem de Mozart. Elle venait de rendre son dernier souffle.
« C’est fini… » ces mots sont régulièrement prononcés pour l’annonce d’un décès… À travers eux résonnent la fatalité d’un ultime diagnostic : Aujourd’hui, la mort frappe et se montre la plus forte. En fauchant un être aimé, elle referme la parenthèse d’une vie et oblige les survivants à user de l’imparfait pour évoquer celle ou celui qui est décédé.e.
« C’est fini… » c’est avec ces mots ou des mots proches que commencent la plupart de nos deuils. Par deuils, entendez non seulement la mort physique mais tous les renoncements définitifs que nous devons concéder durant notre vie… ces événements de rupture que l’on appelle d’ailleurs souvent « des petites morts ».
Sur la croix, Jésus, lui, n’évoque pas tant la fin que l’achèvement ; ou même l’accomplissement si l’on veut rendre au mieux ce terme en français.
Du coup, je me suis demandé ce que signifiaient ces différences de vocabulaire. En quoi est-ce que la mort de Jésus est comparable, ou non, à celle de ma mère. Tant il est vrai que jamais je n’aurai eu l’idée d’écrire à mon mari : « je crois que tout est achevé » ou « je crois que tout est accompli ».
Le premier élément qui me frappe en relisant le récit de l’évangile, c’est que cette notion d’achèvement, d’accomplissement, elle est verbalisée par Jésus lui-même.
Ce ne sont pas ses disciples, sa mère, Marie-Madeleine, Pilate, l’un des deux malfaiteurs exécutés à ses côtés ou je ne sais qui qui s’exprime. C’est lui-même. Sans doute relit-il sa vie une dernière fois et s’apprête-t-il à mourir en sachant qu’il a fait ce qu’il avait à faire.
Il ne rumine pas ce qui lui a échappé, là où il a pu se tromper, ce qu’il aurait pu faire autrement.
Il prend acte positivement de sa vie accomplie.
Le deuxième élément que je relève, il est lié à l’usage des temps verbaux que j’évoquais tout à l’heure. « Tout est fini » ou « tout est achevé, tout est accompli »…
… Et si la différence fondamentale entre ces manières d’exprimer une même réalité tenait au fait que de nos morts on en parle effectivement au passé alors que de Jésus, on en parle encore au présent ?
La fin donc qui condamnerait à se tourner vers le passé.
L’accomplissement qui encouragerait à regarder devant soi ?
Il y a là, je pense, une sérieuse piste de réflexion sur le choix des termes.
Reste néanmoins à savoir, ce qui a été accompli. Car force est de constater que si tout a été accompli, rien n’a véritablement changé.
La vie charrie toujours son lot de souffrances, de douleurs, d’injustices…  Les guerres n’ont pas cessé. Aujourd’hui pas plus qu’hier, la charité dicte les décisions des autorités politiques.
Alors, quel est cet accomplissement ? En quoi consiste-t-il ?
Posant la question, je ne peux m’empêcher de repenser à cette histoire juive. L’histoire d’un rabbin qui, chaque matin au réveil, sortait de chez lui et regardait le monde alentours. Parlant du Messie, il s’exclamait alors déçu : « Il n’est pas venu ; le monde n’a pas changé ». Et il rentrait chez lui.
Cette histoire, tout comme notre difficulté à saisir de quel accomplissement Jésus parle, nous apprennent, je crois, le grand écart qu’il y a entre la vision que Dieu a pour le monde et les attentes que nous autres avons pour le monde.
Ce que Jésus a accompli - et parfaitement accompli - c'est aux yeux de Dieu qu'il l'a accompli et non aux yeux des hommes.
Et lorsqu’il dit « tout est achevé », c’est à Dieu qu’il s’adresse ; dans ce constant dialogue qui a animé sa vie ; il ne s’adresse pas à ceux qui le regardent agoniser.
Or, la mission que Dieu lui avait confiée, manifester sa gloire auprès des hommes - comme nous l’a rappelé Jean -, cette mission Jésus l'a parfaitement réalisée jusqu'à la toute fin de sa vie, y compris sur la croix.
En s'abreuvant à un puits avec une Samaritaine, en logeant chez des pécheurs, en soignant les exclus de la société, en aimant les moins que rien, en bousculant les traditions religieuses et sociales de l’époque, en confiant sa mère au disciple bien-aimé, en buvant la coupe jusqu'à la lie, Jésus a répondu à l'attente de Dieu.
Mais cela correspond mal à nos attentes. En fait, cela ne correspond pas à ce que nous attendons d’un Messie.
De tous temps, les hommes ont attendu du Messie des actes extraordinaires pour être sûrs que c’était lui, sans aucun doute possible.
On a beau savoir que Dieu n’est pas un magicien qui agite sa baguette et nous convainc à coup de tours de passe-passe… il y a quand même des fois où on le voudrait bien.
C’est tellement inconfortable de se dire que le Messie est venu mais qu’on voit si peu la différence entre avant et après.
Mais c’est sans doute là que nous nous trompons de sujet. Ce qui a trouvé son achèvement, son accomplissement, sur la croix, c’est bien la vie de Jésus. Et pas l’histoire du monde.
L'histoire du monde ne s'est ni achevée ni accomplie en ce Vendredi-Saint, 14 Nizan de l'an 33 à Jérusalem.
L'histoire de l'humanité s'est poursuivie jusqu'à nous. Elle se poursuivra encore durant des générations après la nôtre pour autant que la nature survive à son exploitation par les humains.
L’histoire va continuer. Et le monde ne changera pas.
Tel est le défi de la foi qu'il nous faut relever, l'inconfort avec lequel il nous faut vivre sans céder ni au découragement ni au fatalisme :

  • Jésus a fait son œuvre.
  • Il a modifié en profondeur la vie de beaucoup de personnes et il continuera à le faire.
  • Mais ce n’est pas l’histoire du monde qui est accomplie.

Ce vendredi, sur la croix, c’est pour la vie de Jésus que tout est accompli. Et notez bien que c’est ce jour-là que tout est accompli et pas le dimanche suivant devant la pierre roulée.
Tout est accompli quand le ciel pleure sur Jérusalem, quand l'obscurité a envahi le pays, quand la violence a atteint son paroxysme.
C'est au cœur de cette réalité que, pour Jésus, tout est accompli et pas au cœur d'un monde sans faille.
Ne soyons donc pas plus royalistes que le roi et n'imaginons pas que nous aurions à accomplir aux yeux des hommes mieux ou plus que ce que Jésus lui-même a accompli.
Sa mission, Jésus l'a accomplie en marchant sur quelque 60 kilomètres de long et 30 de large.
Notre mission, nous avons à l'accomplir là où nous sommes, avec conscience, humilité et détermination.
Nous n'avons pas à changer le monde ; nous avons à l’habiter avec amour et humanité et à y accomplir ce que Dieu attend de nous.
Pour le dire autrement, et j'emprunte les mots au réformateur Luther, « chacun de nous doit désormais être un Christ pour l'autre »…
… Telle est notre mission à chacune et chacun qui attend son accomplissement, être un Christ pour l’autre, un Christ pour les autres là où nous sommes.
Réflexion faite et en ce sens, oui, j’aurais pu dire de ma mère que, pour elle, tout était accompli.
Amen