J’adore ce récit de la fête de Pentecôte.
Il y a un tel foisonnement, une telle richesse dans ces quelques lignes qu’en le relisant année après année, j’ai à chaque fois l’impression de découvrir des détails qui jusque-là m’avaient échappé.
Et puis, à côté de ces découvertes, de ces surprises toujours renouvelées, c’est un récit qui joue très subtilement sur les contrastes.
- Il commence à l’intérieur, dans la maison où les disciples sont réunis.
Il se termine à l’extérieur avec une foule compacte rassemblée dans la ville.
- Il débute avec ce grand bruit qui vient du ciel, des langues de feu qui descendent et rendent les disciples soudainement capables de parler d’autres langues que la leur.
À cette soudaine capacité de parler autrement, répond le miracle de l’écoute. Chaque personne de la foule entendant ce qui est dit dans sa langue maternelle.
- Il y a le désarroi, mais un désarroi teinté d’émerveillement de ceux qui assistent à l’évènement.
- Et ce jeu permanent entre l’individuel et le collectif.
Parmi toutes ces richesses, j’aimerais ce matin revenir sur 2 expressions du récit.
« Ils furent tous remplis d’Esprit Saint. »
Et « Chacun les entendait parler sa propre langue. »
« Ils furent tous remplis d’Esprit Saint. »
Quand on sait que Pentecôte, c’est la fête de l’effusion de l’Esprit, comme on dit dans les Églises, on ne réagit pas à cette petite phrase. On aurait même tendance à penser que c’est une tautologie. « Ils furent tous remplis d’Esprit Saint. » : Merci de nous rappeler le sens de Pentecôte. Mais on savait…
Pourtant, en bonne logique, il convient de noter que l’Esprit Saint ne peut remplir que ceux qui ne sont pas déjà pleins. Sous-entendu ceux qui sont en creux, ceux qui sont en attente, voire en manque.
On a longtemps enseigné qu’avoir la foi, c’était avoir la réponse à toutes les questions. Ou la confiance que Dieu aurait réponse à toutes les questions.
Les grands catéchismes traditionnels en témoignent, eux qui sont constitués d’une succession de questions auxquelles des réponses, souvent doctrinales, sont apportées.
Les formes ont certes évolué, mais ce schéma existe encore qui défend le fait que le catéchisme, c’est apprendre des choses sur Dieu. C’est emmagasiner du savoir.
Alors, oui, pour une part, bien sûr. Mais notre relation à Dieu ne se satisfait pas de cela. Elle ne se réduit pas à du catéchisme.
Que les réponses aux questions ne viennent plus ou ne nous convainquent plus tout à fait. Que les certitudes se lézardent. Et voilà qu’on entend dire « j’ai perdu la foi ». Malheureuse expression qui révèle un cruel malentendu.
La foi ne se perd pas comme on perd son sac ou son manteau.
La foi se cultive, comme une relation.
Et Pentecôte nous rappelle à juste titre que la foi, comme toute relation, est parmi d’autres choses aussi faite d’aspiration. Et qu’il faut être tendu par le désir pour recevoir le souffle.
Pour la faire courte, à Pentecôte, Dieu souffle et nous sommes comme des ballons gonflables.
Parce qu’il y a du vide en nous, du désir, des aspirations non encore assouvies, Dieu peut nous gonfler. Agrandissant ainsi notre intériorité. Donnant de l’envergure à nos vies.
En ce jour, j’ose donc cette béatitude : Heureux les dégonflés. Ceux qui ne sont ni imbus d’eux-mêmes ni gavés de certitudes. Dieu les gonflera de son Esprit !
J’en viens maintenant à cette autre précision du récit : « chacun les entendait parler sa propre langue. »
Je l’évoquais tout à l’heure, au début du récit, les disciples sont ensemble, entre eux, enfermés dans une maison.
La venue du souffle de Dieu les bouscule. Elle les sort de leur léthargie, de leur enfermement, de leur entre-soi.
Elle les pousse à aller là où une foule bigarrée se rassemble et à parler à toutes ces personnes. « Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici, tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes. »
Face à ce nombre et cette diversité de personnes, il y a sans doute de quoi avoir peur. Mais les disciples consentent à cet appel, à ce mouvement. Ils vont au-devant de la foule. Ils s’expriment. Et voilà que chacun les entend dans sa langue maternelle.
Qu’est-ce que cela dit de l’Église naissante ? Qu’est-ce que cela implique pour nous ? Dans le fond, c’est assez simple.
Si la langue de feu qui s’est emparée des disciples avait pour but, ce jour-là, de leur permettre de communiquer avec des personnes étrangères. Qui ne faisaient pas partie de leur groupe constitué. Qui n’avaient ni la même langue, ni les mêmes codes qu’eux.
Alors aujourd’hui, en ce jour de Pentecôte, nous sommes pareillement appelés à sortir de nos murs et de l’entre-soi qui nous guette. À nous défaire de notre patois de Canaan pour communiquer avec celles et ceux qui ne sont pas ( ou pas encore) de notre groupe, qui n’ont ni le même langage ni les mêmes codes que nous.
C’est ce à quoi l’Esprit nous pousse.
C’est ce dont il nous rend capables.
Cette langue de feu qui abrase de fait toute langue de bois, révèle notre capacité à parler vrai.
Elle nous encourage à ne pas nous cacher derrière des formules catéchétiques qui ne parlent pas à d’autres que nous ou derrière des concepts fourre-tout vidés de leur sens.
Elle nous rend capables de passer par le feu toutes nos paroles qui ne sont ni claires ni compréhensibles.
C’est donc à une langue exigeante que nous devons nous exercer. Mais on sait bien que l’apprentissage de toute langue comporte son lot de difficultés.
La langue de feu est une langue exigeante. Qui requiert de la précision et la capacité de dire la complexité du monde et des choses.
La langue de feu ne saurait être ni banale ni ordinaire. Elle ne supporte pas la paresse. Elle sait, depuis toujours, que l’affaiblissement du langage entraîne ou manifeste un appauvrissement de la pensée.
La tâche n’est donc pas si simple qu’il y paraît. Mais le but ultime de cela le vaut bien : « annoncer les merveilles de Dieu ».
Il ne s’agit pas de faire un concours d’éloquence pour se découvrir beaux parleurs. Il convient de trouver les mots justes pour dire au monde d’aujourd’hui les merveilles de Dieu.
À l’origine, Dieu a créé le monde par la parole. Lui donnant ainsi sens et pertinence.
Aujourd’hui, Dieu a besoin de nos paroles pour donner sens au monde. Pour l’humaniser. Pour lui rendre un visage plus juste, plus amical.
C’est peut-être cela le plus grand défi de la foi : humaniser le monde à l’image de Dieu.
Amen