Prédication du 27 juin

Quand l'identité se dit au travers d'un dessaisissement de soi. D'après Marc 5: 21 à 43
Ceux qui étaient là il y a 15 jours s’en souviennent peut-être, nous avons repris le texte de la mise en route d’Abraham et nous nous sommes interrogés sur ce qui fait notre identité. Découvrant grâce à ce patriarche qu’elle ne se donne pas tant dans nos origines, nos ancêtres, ce qui est en amont de nous, que dans nos actes et dans la capacité que nous avons à nous laisser mettre en route par Dieu, à nous laisser sortir du lieu de notre naissance.
 
En parallèle, nous avions l’affirmation de Jésus : « Je suis le chemin » qui est elle aussi une invitation à un lâcher-prise et à un élan confiant. L’itinéraire de nos vies se découvrant pas à pas dans la suivance du Christ.
 
Dans le récit d’aujourd’hui, nous allons découvrir que paradoxalement, l’identité profonde de Jésus, ce qui donne sens à sa vie, ce qui le fait arpenter Israël-Palestine de long en large se révèle à lui quand il réalise qu’une part de lui, lui échappe : « La femme se disait : « Si j’arrive à toucher au moins ses vêtements, je serai sauvée. » 
À l’instant, sa perte de sang s’arrêta et elle ressentit en son corps qu’elle était guérie de son mal. 
Aussitôt Jésus s’aperçut qu’une force était sortie de lui. Il se retourna au milieu de la foule et il disait : « Qui a touché mes vêtements ? »
 
Jésus se sent dessaisi d’une part de lui-même, et c’est ce qui permet à une autre personne d’accéder à sa véritable identité. Il y a là quelque chose de passionnant à découvrir. Avant d’y revenir plus longuement, quelques éléments généraux.
 
Le passage que nous avons réentendu, entremêle l’histoire de deux femmes qui voient leurs projets de vie contrariés par des questions de santé. La première est presqu’encore une enfant ; la seconde subit depuis trop longtemps une vie adulte dénuée de sens, dénuée de liens, dénuée de reconnaissance.
À côté de ces considérations physiques qui nous apprennent qu’elles vont mal, ces deux femmes ont un point commun :

  • L’une a douze ans ; l’autre souffre d’hémorragies depuis douze ans.

Ce n’est évidemment pas un hasard. De fait, vous le savez probablement, le nombre douze est symbolique. Il apparaît dans de nombreux récits bibliques. Et selon la symbolique la plus classique qui remonte à des milliers d’années, il évoque l’alliance entre Dieu et les hommes, le 12 résultant de la multiplication du 3 et du 4.
 

  • Dans la plupart des civilisations en effet, le 3 est un chiffre qui évoque Dieu notamment parce que le triangle est une figure géométrique qui ne se déforme pas. Un cercle peut devenir ovale, un carré se muer en rectangle, un triangle reste un triangle.
  • Le chiffre 4, lui, évoque la terre avec ses quatre points cardinaux, les quatre éléments, les quatre pattes des animaux terrestres.

Voilà pourquoi 12 est un nombre qui évoque l’alliance entre Dieu et les hommes.
 
Sachant cela, et pour en revenir à notre récit, cela signifie qu’au-delà de la maladie et de la mort, ces récits de la fille de Jaïros et de la femme souffrant d’hémorragies nous parlent de notre relation à Dieu. Des alliances entre lui et nous. Pour essayer de décrypter ce qu’ils en disent, j’en reviens à la femme souffrant d’hémorragies.
 
Du fait de sa maladie, elle est exclue de toute vie sociale. Une femme perdant son sang était considérée comme impure durant les quelques jours en question. Comme elle saigne non seulement quelques jours par mois mais chaque jour, cette femme est devenue une intouchable, ignorée de tous. Personne ne pose son regard sur elle. Chacun l’évite soigneusement. Sa vie ne ressemble plus à rien.
 
Ce jour-là, elle ne devrait pas être dans la foule. Elle n’en a pas le droit. Du coup, c’est elle qui fait tout pour passer inaperçue. Son seul espoir, un peu magique, c’est de parvenir à toucher l’habit de Jésus espérant ainsi être guérie.
 
Jésus, elle ne le connaît pas personnellement, mais elle a entendu parler de lui. Et la rumeur qui a précédé son arrivée, lui donne une force inouïe : celle de braver tous les interdits.
 
Et du coup, comme Abraham, elle ose ! Elle ose sortir de chez elle, quitter sa maison devenue sa prison, s’extraire de son désespoir. Elle, l’intouchable, ose toucher l’habit de Jésus. Quel retournement de situation. Littéralement, c’est ce qu’on appelle une conversion !
 
C’est son audace, suscitée par la douleur, le ras-le-bol, la détresse et l’espoir d’un avenir différent, vivable, porteur de sens qui lui permet d’oser et, par là, d’accéder à sa véritable identité. Ou, plus exactement, de la retrouver. L’inconnue sans nom sera désormais reconnue pour qui elle est : une femme, aimée de Dieu, considérée par Jésus et à ce double titre digne d’être respectée par tous.
 
Au-delà de la guérison de la femme, ce qui arrive à Jésus est particulier. Et je pense que pour lui aussi, on peut parler de conversion.
 
Alors qu’il traçait son chemin dans la foule, se rendant chez Jaïros, voilà qu’après avoir été touché, il se sent dessaisi d’une partie de lui-même.
 
Sa première réaction s’apparente à celle d’un propriétaire dont le bien serait spolié ou abîmé : « Qui m’a touché ? » Et bien que ses disciples lui fassent comprendre que vu la foule ambiante, tout le monde peut l’avoir touché, il ne lâche pas le morceau.
 
Guérie, mais pas encore sûre de son bon droit, la femme s’approche humblement et lui raconte ce qu’il s’est passé. Et c’est alors que s’opère une conversion en Jésus lui-même.
 
Il réalise que ce qui s’échappe de lui ne lui manque pas mais permet à une autre de vivre pleinement.
 
Depuis ce geste, depuis cette rencontre, la liberté de Jésus, c’est désormais de concevoir que son identité profonde à lui n’a de sens que parce qu’elle permet à d’autres de découvrir ou de recouvrer leur propre identité. Que ce qu’il est n’a de sens que si c’est donné et partagé.
 
Voilà qui pourrait nous encourager à réaliser qu’être des adultes responsables au XXIème siècle, ce n’est pas protéger une prétendue identité autonome souveraine, ce n’est pas défendre son intégrité, c’est se rendre vulnérable, précaire, amputé d’une part de soi au profit de ceux qui sont dépourvus de tout ce qui permet une vie libre, digne et reconnue.
 
Quelques mots encore sur la fille de Jaïros.
 
Selon la tradition de l’époque, c’est à douze ans que l’on devient femme. En mourant juste avant, elle demeure donc une enfant. Et nous savons toute la souffrance, toute l’injustice que représente la mort d’un enfant.
 
À son arrivée dans la maison de Jaïros, alors qu’on lui a annoncé le pire, d’un geste simple, quotidien, comme lorsque quelqu’un est tombé et qu’on veut l’aider à se relever, Jésus prend la main de l’enfant et lui dit : « Talitha kum. » « Jeune fille, lève-toi. »
 
Se relevant, elle n’est plus une enfant, mais une jeune fille. « Talitha », cette jeune fille, cette adulte en devenir est appelée à se lever, à marcher, à manger, à avancer dans la vie pour devenir celle qu’elle est aux yeux de Dieu.
 
Tout espoir avait été perdu, Jésus étant arrivé trop tard. Et voilà que la vie est à nouveau accessible pour cette jeune fille. Voilà qu’il y a des perspectives d’avenir pour elle, pour ses parents, pour sa famille.
 
Plus personne n’y croyait. L’impensable s’est produit.
 
De ces deux récits entremêlés et de ce qu’ils disent de la relation à Dieu, de ses alliances avec les humains, je retiens aujourd’hui avec la femme souffrant d’hémorragies qu’il faut oser sortir de soi pour accéder à sa véritable identité.
 
Je retiens avec la fille de Jaïros qu’il faut se lever et prendre des forces car avec Dieu et contrairement aux apparences, il n’est jamais trop tard.
 
Je retiens à la suite de Jésus que la grandeur d’un homme, d’une femme, se révèle dans la capacité à se dessaisir de soi au profit de ceux qui sont dépourvus d’une vie digne.
 
Amen