Prédication du 27 août, Martin Luther King: un rêveur, un illuminé ou un prophète?

Dieu vous a -t-il parlé récemment ? L’avez- vous entendu ? Avez- vous eu l’intime conviction qu’il vous demandait de… ? Ce genre de questions n’est pas de celles qu’on pose habituellement en milieu réformé. On se méfie bien trop des croyants qui passent pour illuminés. Je vous invite pourtant à garder cette question en mémoire. Et ce d’autant plus qu’un homme du XXe siècle, Martin Luther King (MLK) devenu icône, celui-là même qui un 28 août, cela fera 60 ans demain, partagea largement une vision, « I have a dream. »

Car ce pasteur pourrait bien passer pour un illuminé si l’on se souvient, qu’en janvier 1956 – il a alors 27 ans –, il prie au milieu de la nuit, seul dans sa cuisine : « Seigneur, je dois avouer qu’aujourd’hui je suis au bout du rouleau, je suis en train de craquer, de perdre courage. Je ne peux pourtant pas laisser les gens me voir ainsi, parce que s’ils me voient faible et découragé, eux aussi vont commencer à faiblir. Je voudrais demain matin pouvoir me présenter devant le Comité exécutif avec le sourire. »

Et à peine cette prière prononcée, King entend une voix lui dire : « Martin Luther, lève-toi ! Lève-toi pour le droit, lève-toi pour la justice, lève-toi pour la vérité ! Et je serai avec toi. Même jusqu’à la fin du monde. »

Que penser de ce témoignage ? La fatigue du jeune pasteur de Montgomery, précipité 2 mois auparavant porte-parole d’1 boycott de bus, l’a-t-elle conduit à délirer ? Faut-il estimer, avec Sylvie Laurent, biographe française, qu’il s’agit d’une « légende, une précieuse fiction destinée à illustrer la force du sentiment religieux qui l’habite ? » Ou peut-on interpréter le récit même de King comme celui d’un prophète biblique ? Analogue par exemple à celui d’un Jérémie, qui, lorsque Dieu l’appelle à être prophète, répond « Ah ! Seigneur DIEU, je ne saurais parler, je suis trop jeune. » Ce que n’admet pas le Dieu qui l’appelle :

« Ne dis pas : Je suis trop jeune. Partout où je t’envoie, tu y vas ; tout ce que je te commande, tu le dis ; n’aie peur de personne : je suis avec toi pour te libérer.

Ce qui frappe d’emblée dans les 2 récits, de Jérémie et de King, c’est que ces hommes reçoivent mission avec une parole adressée à eux personnellement. Et je note que l’illumination 1ère et dernière de toute vocation n’est pas un sentiment, c’est une expérience ou plutôt un témoignage intérieur, celui du St Esprit qui place dans le rapport à Dieu comme connu avant que de connaître.

Cette expérience, King tente de la décrire : « Oui, je vous le dis, j’ai vu l’éclair. J’ai entendu le grondement du tonnerre. J’ai entendu les forces du mal se jeter sur moi, essayant de s’emparer de mon âme. Mais j’ai entendu la voix de Jésus me disant de poursuivre le combat. Il a promis de ne jamais m’abandonner, de ne jamais me laisser seul. Non, jamais seul. Jamais seul. Il a promis de ne jamais m’abandonner, de ne jamais me laisser seul. »

Les mots qu’il emploie – je ne sais pas si ça vous a frappé –, parlent d’éclair et de tonnerre. Habituellement, on réserve les coups de foudre au sentiment amoureux. Et la plupart du temps, on sourit en se disant que l’aveuglement aura vite passé. C’est sûr qu’en relations amoureuses, s’il ne s’agit que d’aveuglement et de feu d’artifice passager, rien ne sera changé en profondeur. On aura confondu plaisir, voire jouissance et inscription durable de l’amour. Mais il n’en va pas toujours ainsi. Parce que le coup de foudre inaugure un véritable amour où la relation va brûler maille à maille le magique tapis de l’isolement. Mais comment distinguer le véritable coup de foudre de l’aveuglement passager ? Quel critère pour déterminer si un être est véritablement porte-parole, c’est le sens même du mot prophète, du Dieu vivant ?

Un élément décisif m’apparaît, c’est celui d’un avant et d’un après. Quoi qu’il se soit réellement passé, la personne n’est plus la même. Danss le cas de l’amour, la voici détournée d’elle-même, focalisée désormais sur un·e autre. Dans le cas du prophète, le voici libéré de ne considérer que ses propres forces et surtout ses propres faiblesses. Le voici conduit à recevoir de façon nouvelle les promesses de Dieu. Bien sûr qu’il les connaissait comme ttou chrétien, mais de là à y risquer un engagement rempli d’incertitudes et fort éloigné de ses projets professionnels.

S’il y a un avant et un après, demain ne ressemblera donc pas à hier. Si aucune réussite n’est promise, si aucun succès n’est garanti, seul un accompagnement est assuré : Je suis/je serai avec toi, entendent Jérémie et MLK. Aucune toute-puissance ne va donc de pair avec l’engagement. Seule promesse, une assurance, celle de ne pas être seul à marcher sur un chemin qui, certainement, sera difficile, c’est peu dire. Faut-il rappeler que ni Jérémie, ni MLK ne sont morts dans leur lit, entourés des leurs ? Le 1er finit ses jours en Égypte après la prise de Jérusalem en 587 av J-C, le second est abattu à Memphis le 4 avril 1968, à 39 ans, lui qui qqes semaines auparavant disait « C’est très bien de parler des rues où coulent le lait et le miel, mais Dieu m’a ordonné de nous occuper des taudis d’ci bas et de ses enfants qui ne peuvent pas faire 3 repas par jour. »

S’il y a un avant et un après, c’est que Jérémie et MLK se sont montré disponibles intérieurement. Mais à quoi, à qui ? A leur délire ? au Dieu Vivant comme je le crois ? Impossible de vous prouver quoi que ce soit. Certes, Jérémie est considéré comme un prophète biblique, mais si je ne le lis pas, assuré qu’il porte la parole d’un autre, de Dieu, pourquoi le lire aujourd’hui encore ? Qu’est-ce que cela change pour l’Église, et plus encore pour vous, pour moi ?  Certes, MLK semble avoir reçu une vocation analogue à Jérémie, mais si je ne le lis pas en étant assuré qu’il porte la parole d'un autre, de Dieu, qu’est-ce que cela change pour l’Église, et plus encore pour vous, pour moi ? Si je ne le lis pas les récits des évangiles parlant de Jésus en étant assuré qu’il porte la parole d’un autre, de Dieu, qu’est-ce que cela change pour l’Église, et plus encore pour vous, pour moi ? Rien ou si peu.

Jérémie a fait entendre en son temps la parole du Dieu vivant. Alors si je veux être attentif à son témoignage, comme en celui d’Esaïe ou d’Amos, comme en celui d’Ezéchiel, d’Osée, de Joel ou…  Si vous reconnaissez véritablement ces hommes comme des prophètes, il vous faut alors les prendre au sérieux. Non pas estimer qu’ils annoncent le futur en émettant des prédictions, mais vous devez accepter un décentrement radical, ce qui ne va pas de soi dans un monde où l’on invite tant au nombrilisme. Vous devez accepter de ne pas tout mesurer à l’aune de vos capacités. Je dois renoncer à tout miser sur moi. Vous et moi devons opter pour un autre critère : la faculté de servir.

Entendre véritablement une voix prophétique, ce n’est pas estimer que tel ou tel prédit l’avenir. Cette compréhension courante du prophète arrange bien, mais dérange peu. Or, il en va tout autrement d’une voix véritablement prophétique capable d’ébranler les assises de chacun·e. Par la bouche de ses porte-parole, avec un Amos hier ou un King il y quelques décennies, Dieu fait entendre qu’il n’en a rien à faire de nos belles prières et de nos chants qui montent vers lui, et cela tant que le droit ne jaillira pas comme les eaux et que la justice ne coulera pas comme un torrent intarissable. Dérangeante une telle parole, non ?

En un mot, se mettre à l’écoute des prophètes revient à accepter, d’être dérangé, bousculé, déplacé par Dieu. Autant dire que la voix d’un King eut des accents prophétiques non pas du tout parce que ce pasteur était un maître en rhétorique, capable de prendre la parole sur tous les sujets du moment, mais bien plus parce qu’il attesta qu’il était pris par une Parole, celle de Dieu, et qu’il était appelé à en répondre.

Alors était-il illuminé ? A-t-il confondu ses propres aspirations avec la voix du Dieu vivant ? Je vous en laisse juge. Je veux juste retenir que cet homme, qui partagea un 28 août la vision d’une humanité réconciliée ne cesse de m’interroger en m’incitant à abandonner tout confort pour témoigner au quotidien de mon existence qu’un Autre, celui-là même qui nous rassemble ce matin, donne envers et contre tout sens à nos parcours.

Écouter un prophète revient à confesser que, comme le répéta tant de fois MLK, « je ne pourrai jamais être ce que je suis appelé à être que lorsque toi, mon proche, tu seras ce que tu es appelé à être. Et toi, tu ne pourras jamais être ce que tu devrais être – et vous ne pourrez jamais être ce que vous devriez être – que lorsque je serai ce que je suis appelé à être.

Écouter un prophète est extrêmement exigeant, c’est vrai. C’est pourquoi, bien souvent, je préfère me dire que ses paroles sont celles d’un illuminé !

Mais alors pourquoi êtes-vous venus ce matin, si ce n’est pour être déplacé·e, bousculé·e par la parole d’un Autre qui veut pour nous cette humanité réconciliée ? Aussi, je désire ardemment, et vous aussi peut-être, prier encore et encore, moins de lèvres que du cœur de mon être : « Que ta volonté soit faite. Ta volonté et non la mienne. »s

Amen