Peut-être vous ai-je déjà raconté l’histoire de Margaux. Elle avait 6 ans à l’époque. Un vendredi après-midi, alors qu’il y avait culte de l’enfance à Chailly, elle a soudain demandé : « Dieu, c’est où qu’il habite ? ». Et sans attendre quelque réponse que ce soit, elle s’est empressée d’ajouter : « Parce que s’il habite dans le temple, le bruit des travaux doit lui casser les oreilles ».
Effectivement, le travail de la pelleteuse battait son plein sur le chemin de Rovéréaz.
Elle est citée plus de 200 fois dans le Premier Testament. C’est dire son importance. Pourtant, elle n’a pas toujours été la même.
La première mention de l’Arche, dans le livre de l’Exode, évoque un coffre dans lequel Moïse dépose les tables de la loi qu’il a reçues. Et ce coffre va accompagner le peuple des Hébreux durant tout son périple dans le désert.
Le plus souvent dans l’histoire du peuple d’Israël, ce qu’on appelle l’Arche ou l’Arche de Yahwé, correspond, comme pour les religions alentours à l’époque, à un coffre avec une statue de Yahwé. C’est une sorte de sanctuaire mobile que l’on prend avec soi pour s’assurer de la présence du Dieu tutélaire à l’occasion de combats ou pour d’autres moments importants.
Et puis, sous le règne de Josias, l’Arche change d’aspect et de contenu. C’est un coffre, toujours, en bois, encore, mais du bois d’acacia qui contient 2 tables de pierre symbolisant la loi. Elle devient l’Arche de l’Alliance parce que Josias veut conclure une alliance entre Dieu et son peuple. Son peuple qu’il rêve pan-israélite, c’est-à-dire réunifié entre le Royaume d’Israël et le royaume de Juda. À partir de ce moment, l’Arche est sédentaire. Elle est localisée à Jérusalem, dans le temple. Jusqu’en 587 avant notre ère.
Dans tous les cas, avec l’Arche quelle qu’elle soit, il y a la croyance un brin magique que la présence de Dieu ainsi signifiée est gage de pouvoir, peut-être d’autorité, en tous les cas de puissance…
… Avoir Dieu sous la main, c’est le rêve de nombreuses personnes. Et pas seulement des dictateurs.
Que David, selon le récit de 2 Samuel, l’ait rapatriée de Oved-Edom au 10ème siècle avant notre ère semble improbable si on se réfère aux connaissances historiques et archéologiques que l’on a. Tout porte à croire que c’est sous Josias que cela s’est produit et que ce sont ses scribes qui ont réécrit ces quelques versets et qui les ont insérés dans le récit de 2 Samuel.
Mais peu importe. Historique ou non, ce récit demeure riche en enseignement pour nous.
Il nous apprend que c’est tout à la fois pour asseoir son autorité et pour rendre grâce à Dieu que David s’en va chercher l’Arche de l’Alliance et la rapatrie dans sa capitale.
Sur le chemin du retour, il a le cœur et le corps en liesse. Il sautille, il danse. La foule qui est avec lui pousse des cris exaltés. C’est donc un cortège très joyeux qui fait route. Nous donnant à penser que là où il y a de la joie, là est Dieu.
En arrivant à Jérusalem, tout en continuant de manifester sa joie, David s’acquitte de ses fonctions cérémonielles : il installe l’Arche, il fait des offrandes et des sacrifices, il bénit le peuple et distribue à chacun des mets succulents… Et c’est beau de voir la joie de ce berger devenu roi. C’est beau de le voir partager ainsi ce qu’il a.
Au milieu de cette fête, il y a pourtant un point sombre, c’est Mikal.
Mikal qui n’a pas fait le déplacement avec son époux pour aller chercher l’Arche.
À Jérusalem, elle est là, elle l’attend. Mais elle se tient à distance.
C’est de sa fenêtre, en spectatrice critique, qu’elle regarde le cortège arriver avec sa débauche de joie. Voyant David danser, elle va jusqu’à manifester du mépris jugeant son comportement indigne de son rang.
Mikal, David, 2 attitudes radicalement opposées. Pourtant, ils ont ensemble fait face à de nombreuses adversités. Notamment leur deuil commun à la mort de Saül et de Jonathan.
Ici, plus rien ne les unit. L’un est acteur, l’autre spectatrice. L’un exulte, l’autre se renferme. Comme c’est le lot de nombreux couples, ils donnent l’impression de vivre dans deux mondes qui ne se rencontrent plus.
Avec le recul qui est le nôtre, il y a quelque chose de difficilement compréhensible dans le comportement de Mikal. Elle est la seule rescapée de sa famille de sang. Elle a de beaux jours devant elle. Un avenir avec David. Et là voilà qui reste enferrée dans des prérogatives paternelles et royales qui ne sont plus. Comme si elle préférait, ou n’avait pas d’autre choix que de se réfugier dans son passé plutôt que d’apprécier le présent et de se projeter dans l’avenir en le construisant avec son aimé.
C’est étrange de la voir ainsi tournée vers le passé. Et nous aurions vite fait de condamner son attitude. Pour autant, gardons-nous d’un jugement trop rapide.
N’agissons pas comme elle… Ne la regardons pas à distance, de manière critique, du coin de notre fenêtre en pensant que nous aurions fait mieux.
Entrer dans la danse n’a rien d’évident. Surtout lorsque ce n’est pas nous qui donnons le tempo et le pas.
Dans nos existences, combien de moments où nous sommes tentés de nous couper des autres, de regarder le monde de manière critique, hautaine ou simplement désabusée ? Regarder le monde comme si nous n’en faisions pas vraiment partie ?
Dans nos communautés, combien de regrets face à ce qui n’est plus ; et si peu d’enthousiasme pour ce qui pourrait advenir.
Pourtant je le crois : comme David, nous sommes sous le signe de la bénédiction de Dieu et nous ne devrions jamais écarter de nos vies la joie et la fête offertes par sa présence.
Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de tristesse dans nos vies. Mais que, béni.e.s par Dieu, nous avons tout pour puiser à l’essentiel et ne pas céder au désespoir.
Mikal n’est pas entrée dans la danse. Elle s’est recluse dans un passé moribond. Le récit se termine par cette cruelle précision qu’elle est demeurée stérile jusqu’à sa mort. Et c’est là, la dernière fois qu’on entend parler d’elle de toute la bible.
Donc oui, je le maintiens : là où il y a de la joie, là se tient Dieu.
Amen