De "L'étoile mystérieuse" de Hergé à " Don't look up", en passant par notre actualité marquée par la pandémie, Laurent Zumstein interroge le poids qu'il convient d'accorder aux différents discours.
D'après Deutéronome 18: 14 à 22 / 1 Corinthiens 14: 1 à 6 / Jean 1: 43 à 51
En ce début d’année et après ces mois de polémique autour des mesures à prendre pour combattre la pandémie, m’habite une question : quel poids donner à ma parole et à celles des autres ? Qui croire ? Qui écouter ?
Un film avec Léonardo Di Caprio et Meryl Streep fait le buzz, ces dernières semaines sur Netflix. Il pose bien le problème : alors que des scientifiques repèrent une comète prête à percuter la terre dans les six mois, leur voix peine à se faire entendre. Ou alors elle se fait récupérer et détourner par un groupe commercial de téléphonie, au nom des profits à se faire. Qui croire ? Qui écouter dans ce contexte de crise ? Les paroles raisonnablement les plus autorisées sont loin de faire le poids ! On les discrédite… Le titre français de ce film est révélateur de l’enjeu : le déni cosmique. Don’t look up !, en anglais, faisant référence au slogan électoral d’une présidente prête à toutes les compromissions…
Mais autre référence pour ceux qui n’ont pas Netflix et qui ont, comme le disait la publicité, entre « 7 et 77 ans », n’est-ce pas aussi ce que dénonçait Hergé dans sa BD, l’Etoile mystérieuse ? Et n’y voyait-on pas une sorte de prophète un peu fou annonçant la fin du monde mais que personne n’écoutait, sinon le jeune reporter, le sérieux et toujours moral Tintin. Certes, finalement, l’étoile au contact de la terre se désagrège et ne provoque aucun dégât mais qui s’en est inquiété ? Qui a écouté ? Le problème était réel.
Oui : qui croire ? Qui écouter ?
De manière caricaturale, on pourrait dire qu’aujourd’hui –et de tout temps ?-, on croit et on écoute celui ou celle qui croit comme nous. Tous les autres sont considérés comme des faux prophètes ou des charlatans, quels que soient leur parole et l’endroit à partir duquel ils l’expriment. Leurs argumentations nous intéressent peu et leurs compétences sont banalisées pour ne pas dire discréditées. D’ailleurs dans le film, au moment où les deux scientifiques sont dans le bureau ovale pour faire part de leur découverte, la première chose qui est faite, c’est de leur reprocher de ne pas venir d’une université prestigieuse. En effet, bien plus facile de commencer par dénigrer que d’écouter vraiment ! La fameuse présidente décide donc de ne rien décider…
Pas besoin donc de vous faire des dessins : les parallèles entre l’Etoile Mystérieuse ou le film Don’t look up ! et la situation que nous vivons aujourd’hui sont assez évidents Et la question posée à propos du poids de la parole claire : qui croire ? qui écouter ? Méfiance il y a aujourd’hui devant toute parole, toute parole….même envers celle des scientifiques qui, jusque-là, jouissaient dans notre société d’un fort crédit. Oh ! la parole des religieux avait déjà été remise en cause, au nom-même de celle des scientifiques. Mais cette pandémie n’aura-t-elle pas mis fin à la crédibilité de la parole même des scientifiques, aussi. Sans parler de celle des politiques…
Qui croire ? qui écouter ?
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C’est en tombant sur l’une des lectures bibliques proposées pour ce dimanche par un lectionnaire que ces questions sont venues plus clairement frapper à la porte de ma conscience et comme se cristalliser. N’est-ce pas, en effet, la thématique du chapitre 18 du livre du Deutéronome ? Vrais et faux prophètes ? Qui a une parole autorisée ? Et quelle place, dans une institution, donner à cette parole ? Dès lors, nous comme chrétiens, comment devons-nous vivre avec ce qui se dit parmi nous et autour de nous ?
Je vous propose donc un petit crochet par la bible pour réfléchir à ces questions. Un décentrement. Il se peut qu’elles nous reviennent, alors, un peu différemment.
Autre contexte que celui du Deutéronome et en particulier celui de la rédaction du chapitre 18 que nous avons lu : selon le résultat des dernières enquêtes littéraires et archéologiques, il est de la main d’un rédacteur qui a vécu à une époque où le roi en place a voulu restaurer l’institution religieuse en la centralisant et en la destinant au culte d’un seul Dieu : s’ouvrait l’aire du monothéisme. Et pour cette réforme, roi et théologiens en appelèrent à la grande figure de Moïse, celui qui, au seuil de la Terre promise, avait dicté ce qui devait faire loi pour le peuple, dans cette nouvelle vie où il allait se sédentariser et s’organiser. Retour donc –et recours !- à cet âge mythique où Dieu, par son premier prophète, aurait posé les fondements de la vie en commun et de la vie avec Lui.
Dans cette réforme de l’institution religieuse, bien des siècles après Moïse, quelle place donner donc à la parole prophétique ? En a-t-elle une ? Pourquoi ? Et par qui ? Telles sont les questions auxquelles répond notre texte du jour où est en jeu en fait l’actualité –ou l’actualisation- de la parole divine : Dieu parle-t-il encore ? A-t-il de nouveaux messages ou de nouvelles révélations pour son peuple ? Ou est-ce que, dans la loi notamment, a-t-il déjà tout dit ?
Et pour nous, aujourd’hui, vingt-cinq siècle plus tard ?
Du coup, est-ce utile d’ouvrir nos oreilles à ce qui se dit autour de nous ou bien rien d’autre nous est vraiment nécessaire ? Et dans ce temps où, par un biais ou par un autre, la fin du monde nous est régulièrement comme annoncée, peut-on s’attendre de la part de Dieu à une autre parole que celle déjà connue ?
Clairement, notre texte laisse une vraie place à la parole prophétique : Dieu, est-il dit, va continuer « à susciter des prophètes, comme Moïse, du milieu de leurs frères ». En fait, l’expression est même au singulier « un prophète ». Les chrétiens se sont alors précipités sur cette formule et y ont vu l’annonce de la venue du Christ, comme le successeur de Moïse. Il semble que cela soit un peu réducteur quant au sens du texte pour l’époque, même si cette interprétation met bien en évidence un aspect très important de notre chapitre : « du milieu de leurs frères », précise-t-il : Dieu choisit de parler à son peuple à travers des gens du peuple lui-même. Ce qui fut bien le cas de Jésus, mais pas que…
Ainsi pas d’éclairs et de tonnerre quand Dieu parle : cela peut être juste la voix de mon frère, de ma sœur…
On comprend alors deux choses : pour notre texte, et la parole prophétique a sa place dans l’institution religieuse et cette parole peut sortir de la bouche d’un frère, d’une sœur, d’un même.
Nul doute que dans notre contexte d’aujourd’hui, cela ne peut que m’interpeler. Et à propos de ce que j’entends. Et à propos de ce que, moi-même, je dis.
Il est donc des prophètes parmi nous. Et je pourrais en être un !
Légitime est alors la question de la fin de notre texte : qu’est-ce qui permet de reconnaître la parole du vrai prophète et donc celle de Dieu, dans la cacophonie du monde ? « Les faits », répond-il assez sèchement : ce qui est annoncé se réalise-t-il ? Sinon, c’est du vent…
Mais le vent, cela peut aussi être dangereux et il s’agira d’en rendre compte à Dieu lui-même, semble-t-il.
Voilà pour Deutéronome mais pour faire un pas de plus, deux remarques dont la page lue de l’épitre aux Corinthiens nous donne l’occasion : en fait la question de la place de la parole prophétique s’est aussi posée six ou sept siècles plus tard, à l’heure où l’on a cherché à organiser –pour ne pas dire institutionnaliser- la nouvelle Eglise. Et les recherches récentes montrent que si, dans les premières communautés, le don de la prophétie était valorisé, assez vite, par Paul déjà, il a été cadré et, plus tard, même remis en cause, invitant chacun, chacune, à être plutôt des enseignants inspirés du message déjà reçu que des prophètes : en fait des interprètes de la tradition évangélique plutôt que des mages ou des « voyants » en quête de révélations nouvelles. Petit à petit en effet, les docteurs prendront la place des prophètes, dans la nouvelle Eglise qui s’organise.
Et ce fait, deuxième remarque, est éclairant pour nous aujourd’hui : comme dit plus haut, la parole dite prophétique peut être un vent dangereux, selon ce qu’elle sert vraiment. Et c’est ce à quoi l’auteur de la lettre aux Corinthiens rend attentif : ceux qui, à Corinthe, se disent porteurs d’une parole divine, servent-ils le bien commun ? l’édification du groupe ? Ou, seulement, eux-mêmes, leur égo ou leurs intérêts ? Déjà que la prière en langues, si elle n’est pas traduite, porte peu de fruits pour la communauté, le don de prophétie, lui, doit impérativement être au service de l’Eglise.
Ainsi, en écho, comme un questionnement nouveau à partir de ma préoccupation de départ, qui, dans et hors de l’Eglise, ma parole sert-elle ?, m’interroge indirectement ce texte. Qu’est-ce que je permets, en l’exprimant ? Qui est-ce que j’aide ?
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Alors on comprend, à travers ces lectures bibliques qui nous déplacent dans d’autres époques, qu’à la fois la parole humaine peut être « outil » de Dieu et qu’à la fois, elle peut être « outil » d’autres instances en moi, de mon égo en particulier ou de ma peur. Que Dieu choisit de s’y exprimer pour être proche de nous mais qu’il n’est pas le seul à vouloir parler à travers elle.
Et si cela explique le besoin qu’ont eu les institutions religieuses de cadrer cette parole en privilégiant le ministère de l’enseignant par rapport à celui du prophète et en insistant, pour nous réformés en tout cas, sur le « sola scriptura » qui dit bien la confrontation nécessaire de toute parole avec la bible, nul doute que cela peut –doit !- aussi nous inspirer, de manière plus générale, dans notre réflexion sur les prises de parole, dans la cacophonie actuelle, non ?
Dans ce que j’écoute ou lis, quelle parole est-ce que je choisis et selon quels critères ?
Et puis, dans la vraie vie, ou, alors, sur Twitter ou Facebook, quelle parole –la mienne ou celle d’un autre- est-ce que je partage ? et pourquoi le fais-je ? Pour qui ? Qui va-t-elle éclairer ? Edifier, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit ?
[…]
En guise de point d’orgue à notre réflexion de ce matin ou comme rappel de ce qui est définitivement à la fois une bonne nouvelle et un grain de sable, une courte allusion à cet épisode piquant entre Nathanaël et Jésus : « qu’est-ce qui peut venir de bon de Nazareth ? », interroge le disciple. Bel et bien la voix de Dieu s’habille d’humanité et parfois d’une humanité qui ne paie pas de mine ! Nous l’avons entendu : c’est son choix ! c’est son pari ! Nulle alternative.
Alors oui : qui croire ? Qui écouter ?
Que l’Esprit vienne à notre aide pour que nous sachions discerner et partager, dans la cacophonie actuelle, une parole de vie, une parole qui construise, une parole qui aide le monde.
Amen