En se risquant à faire confiance à ce Jésus qui réveille constamment la vie, voici que chacun est incité à voir ce qu'il ne discernait pas auparavant.
D'après Jean 9
Combien d’entre vous ne se sont-ils pas dit un jour si j’avais vu Jésus de mes propres yeux, si j’avais assisté à l’un de ses miracles, je croirais ou je douterais moins. Mais est-ce si sûr ? D’emblée je m’interroge. Car si l’évangile mentionne souvent des foules entourant Jésus, jamais ces dernières ne semblent faire le choix de le suivre et ce sont peut-être les mêmes foules qui un jour l’accaparent et quelques temps plus tard crient à mort, qu’on le crucifie !
Aussi j’en viens à une question qui à sa manière traverse l’évangile : faut-il voir pour croire ou croire pour voir ? Et je me pose d’autant plus cette question après avoir entendu le récit de la guérison d’un aveugle.
Vous l'avez entendu, Jésus n'y va pas par quatre chemins : Je suis venu en ce monde pour un jugement, c’est-à-dire pour une remise en question radicale, afin que ceux qui ne voyaient voient et que ceux qui voyaient deviennent aveugles.
Comment comprendre et surtout com-ment recevoir une telle parole, si dure, aussi tranchante que la lame d’un cou-teau, une parole si exclusive ? Plus encore, comment discerner ? Suis-je aveugle ? Êtes-vous voyants ? Et si je suis attentif au fait que la controverse se situe juste après la guérison d'un aveugle-né, n'est-ce pas pour souligner que tout tourne autour de la question du rapport entre la foi et la vue. En clair la question est la suivante : faut-il voir quelque signe de Dieu pour croire en lui où faut-il croire en Dieu pour voir quelque signe de lui ?
Songez à quelqu’un qui compte beau-coup pour vous. Devez-vous voir des signes probants de votre ami·e pour que l'amitié se renforce ou devez-vous partager l'amitié pour en discerner les signes ? Et sur le plan de l’amour, on dit souvent que l'amour est aveugle, mais franchement j’en doute, car celui qui aime véritablement ne voit-il pas, ne discerne-t-il pas ce que les autres sont précisément incapables de voir ? Et n’est-il pas là aussi question de voir et de croire ou de croire et de voir ? Faut-il voir l’amour pour croire qu'il existe bel et bien ou bien faut-il croire qu'il existe pour en discerner le moindre signe ?
Je reviens à Jésus. Ce que ses contem-porains ont vu, c'est le fils de Marie et de Joseph, un charpentier de Nazareth. Ils ont passé du temps avec lui, partagé nombre de repas, dormi et souvent arpenté ensemble les routes de Pales-tine. Cette longue intimité les a convain-cus qu'il était bien un homme parmi les hommes et non une idée céleste ou une illusion de leur esprit.
Toutefois cette perception de Jésus n'a pas suffi à générer la foi en eux. Elle ne suffit même jamais à produire la foi. Et même les théologiens de l’époque se fondent sur cette vision et les témoigna-ges qui s’y rapportent pour précisément ne pas croire. Seuls au contraire une poignée d’hommes et de femmes vont aller de la vue à la foi. Ainsi les disciples, comme nombre de ceux qui le suivent se posent des questions. Ces gens-là s'interrogent, tout comme l'aveugle à peine guéri auquel Jésus demande Crois-tu au fils de Dieu ? et qui réplique – Qui est-il Seigneur pour que je croie en lui ? Alors, une fois encore, je vous le demande : faut-il voir pour croire ? Je pourrais le penser si j'oubliais que les scribes et des pharisiens ont eu Jésus sous les yeux, si je puis dire, mais que cette proximité visuelle n’a généré aucune foi, bien au contraire. C'est pourquoi Jésus leur dit Vous avez vu et pourtant vous ne croyez pas.
Alors en définitive, qui voit ? Êtes-vous aveugles et donc appelés à voir par la grâce de Dieu ? Suis-je voyant et vais-je désormais ne plus voir ? Pour distin-guer la vue de la cécité, permettez-moi de rappeler une histoire juive que j'af-fectionne. Un maître de sagesse deman-de un jour à ses disciples quand, à leur avis, la nuit est passée et le jour sur le point de revenir, à quel moment naît l’aube. L'un d'eux propose : Peut-être, lorsqu'on peut reconnaître à distance un animal et distinguer si c'est un mouton ou un chien. Un autre se lance. Peut-être lorsqu'on peut reconnaître à distan-ce un arbre. Et distinguer si c'est un figuier ou un pêcher. Non, répond le maître de sagesse. Alors quand ? – Lorsque tu regardes le visage de tout être humain et le reconnaît comme ton frère. Aussi longtemps que tu ne réussis pas cela, la nuit n'est pas finie. L'heure n'y joue aucun rôle.
Cette histoire ne limite donc pas la question du voir ou de ne pas voir à la faculté de vos yeux, permettant de déterminer à quelle heure l’aube se lève. Le maître de sagesse évoque un rapport à l'autre qui garde le même vi-sage et qui pourtant n’est plus regardé de la même façon. Son visage devient celui d'un être d'une étonnante proximi-té. Puisqu'il s'agit de celui du frère ou de la sœur.
Je reprends à mon compte un tel cri-tère. Et ici et maintenant, je n'éprouve pas de doute quant à ma cécité. Oui, je l’avoue, je suis aveugle. Et vous ?
Les scribes et les pharisiens campent sur leurs positions. Ils estiment savoir. A leurs yeux, l'aveugle-né était un homme pé-cheur. Ils savent que Dieu a parlé à Moïse, mais ils ignorent d'où parle Jésus et au nom de qui il s'exprime. Ce savoir les mure dans leurs certitudes, au point de ne plus porter attention à ce que dit l'autre, de se laisser interroger par au-trui. Ils ressemblent à ces théologiens qui savent tant de choses sur la Bible qu'ils scrutent professionnellement, au point d'être capable de vous citer avec exactitude moult passages et leurs variantes, mais qui pourtant passent à côté de la vie qui se dégage de ses textes médités et reçus. Ces spécialistes savent chercher le sens, dévoiler l’origi-ne d'un texte, en révéler les échos et les nuances d'avec d'autres textes anciens. Pourtant, ils ne découvrent pas que ces textes parlent aussi d’eux. Et que le mouvement qui s'y loge les concerne. Que les vieux mots qu'ils estiment usés sont tout aussi susceptibles de devenir paroles pour eux. Ils savent. Ils n'ont donc pas besoin d'écouter et de se laisser déplacés en profondeur par ces textes. Ils voient, et pourtant ils sont aveugles à l'essentiel. J'en veux pour signe qu'ils ne se mettent pas en route ? Alors ? Faut-il voir ou plus encore savoir pour croire ? Non, pas sûr. C’est donc que l’intelligence du cœur ne serait pas de celle qui se nourrit de savoirs et s’acquiert sur les bancs d’école.
L'aveugle-né, lui qui vient d'être guéri, n'a aucune certitude. Et comme lui, les disciples ne savent pas. Ils cherchent, posent des questions, s'interrogent. Ils prennent le risque de se tromper. Ils ne prétendent pas, comme les théologiens et parfois les pasteurs, maîtriser la véri-té, en un mot, savoir. Ils n'enferment pas toutes les choses et plus encore les gens dans leurs certitudes. Non, ils ne s'estiment pas voyants. Et encore moins clairvoyants. Du coup, ce sont eux qui vont apprendre à voir. À ouvrir les yeux à l'essentiel. Eux qui ne voyaient pas où ils étaient, et plus encore où ils en étaient, leurs yeux se mettent à s'ouvrir. Ils se décillent en présence de celui, qu'ils ont pris le risque d'écouter. Et de suivre.
Car ce prédicateur itinérant bouscule bien des idées reçues, faisant toujours passer l'humain avant la loi ou le dogme. Aussi, en se risquant à faire confiance à ce Jésus qui réveille constamment la vie, voici que chacun est incité à voir ce qu'il ne discernait pas auparavant. D'où je reviens à notre question initiale. Faut-il voir pour croire ? Ou croire pour voir ? Peut-être.
Arrivé là, j’ai communautairement l’im-pression que l’Eglise est bien souvent aveugle. Elle parle de Dieu, de la foi au Christ, mais elle reste aveugle devant la guerre et la violence subie par tant d’hommes, de femmes et d’enfants. Et le silence qu’elle fait entendre est as-sourdissant. Seigneur, aie pitié de nous !
Arrivé là, oui, j'ai personnellement l'im-pression que j'ai encore beaucoup de chemin à faire. Pour discerner que vous êtes véritablement mes sœurs et mes frères dans le Christ. Pour ne plus le savoir intellectuellement. Pour ne plus employer généreusement l'expression chers frères et sœurs, et en fait abuser de ces mots magnifiques, sans que cela me mette véritablement en route. Mais pour le découvrir dans la joie du parta-ge de l'essentiel. Lorsque les jugements n'ont plus cours. Oui, avec vous, mais aussi grâce à vous, je veux croire pour voir. Vous voir, vous, mes proches, par les liens que le Christ tisse entre nous, alors même qu’à quelques exceptions nous ne nous connaissons pas et n’avons rien partagé avant cette res-piration essentielle qu’est ce culte. Pour voir ce Dieu que j'ai le privilège d'appe-ler le tout proche, la Source, l'essentiel, notre Père…
Oui, je veux croire pour voir la vie qui m'est offerte. Mais ça, c'est mon choix. Personnel. Quant au vôtre, je ne sais. À vous de voir.
Amen
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Lecture de 1 Corinthiens 1 : 18 à 25
La parole de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d'être sauvés, pour nous, elle est puissance de Dieu. Car il est écrit : Je détruirai la sagesse des sages et j'anéantirai l'intelligence des intelligents.
Où est le sage ? Où est le docteur de la loi ? Où est le raisonneur de ce siècle ? Dieu n'a-t-il pas rendue folle la sagesse du monde ? En effet, puisque le monde, par le moyen de la sagesse, n'a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, c'est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient.
Les Juifs demandent des signes, et les Grecs recherchent la sagesse ; mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.
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Lecture du Jean 9 : passim
On conduisit chez les Pharisiens celui qui avait été aveugle. Or c'était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux…
… Une seconde fois, les Pharisiens appelèrent l'homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. » Il leur répondit : « Je ne sais si c'est un pécheur ; je ne sais qu'une chose : j'étais aveugle et maintenant je vois. »…
… Jésus apprit qu'ils l'avaient chassé. Il vint alors le trouver et lui dit : « Crois-tu, toi, au Fils de l'homme ? » Et lui de répondre : « Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? »
Jésus lui dit : « Eh bien ! Tu l'as vu, c'est celui qui te parle. » L'homme dit : « Je crois, Seigneur » et il se prosterna devant lui. Et Jésus dit alors : « C'est pour un jugement que je suis venu dans le monde, pour que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent aveugles. » Les Pharisiens qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Est-ce que, par hasard, nous serions des aveugles, nous aussi ? » Jésus leur répondit : « Si vous étiez des aveugles, vous n'auriez pas de péché. Mais à présent vous dites “nous voyons” : votre péché demeure.