Lecture de Genèse 1 : 26 à 27
Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il soumette les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre et toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre ! »
Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa.
Lecture de Galates 3 : 26 à 29
Tous vous êtes, par la foi, fils de Dieu, en Jésus Christ.
Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ.
Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ.
Et si vous appartenez au Christ, c’est donc que vous êtes la descendance d’Abraham ; selon la promesse, vous êtes héritiers.
Prédication : « Il n’y a plus l’homme et la femme, fake news ? »
Vous aimez la gymnastique ?
La question est un peu incongrue, amis je vous la pose la question, parce que ce matin, du côté de la Bible, c’est un peu le grand écart.
Avec d’un côté le récit de la Genèse qui célèbre la diversité créatrice. Un homme et une femme. Différents. L’un et l’autre, image de Dieu. Et vous vous en souvenez, quand on en arrive à cette partie-là du récit, il y a déjà eu toutes les autres séparations permettant l’émergence d’un monde vivable, d’un monde habitable : la séparation du jour et de la nuit, de la terre et du ciel, de la terre ferme et de l’eau... Ce long processus qui nous rappelle qu’on ne vit pas dans la confusion mais dans la distinction, dans le face-à-face, le vis-à-vis. Le petit d’homme l’apprend dès sa naissance, lui qui, pour exister, doit quitter le ventre de sa mère.
De l’autre côté, Paul avec ses mots, sans doute inaudibles, incompréhensibles, pour celles et ceux qui les ont entendus au premier siècle de notre ère :« Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ. »
Personne ne s’offusque d’entendre ces mots aujourd’hui dans une cathédrale. Pourtant, ils posent encore question, comme à l’époque, parce qu’ils ne disent pas la réalité que nous vivons.
- Les Juifs et les Grecs de Paul représentent plus largement des cultures différentes, une relation à Dieu qui ne se joue pas de la même manière. Or, les conflits à composantes culturelles et religieuses font notre actualité de manière dramatique. Il y a des Juifs et des Grecs, des Israéliens et des Palestiniens, des Russes et des Ukrainiens. Difficile de percevoir une quelconque unité entre eux, si ce n’est que tous sont des humains
- Des hommes libres qui en assiègent d’autres, restreignant leur liberté, méprisant leur dignité… On ne sait plus où regarder pour ne pas en voir.
- Des hommes, des femmes, des iels… nous nous croisons. Nous nous reconnaissons… différents.
Alors, si j’en reviens à Paul, dans les années 56-57 de notre ère, dans la Galatie, région de l’actuelle Turquie, où regardait-il pour s’exprimer ainsi ? Il n’était pas complètement stupide. Il savait. Il voyait. Il y avait bel et bien des Juifs et des Grecs, des esclaves et des hommes libres, des hommes et des femmes. Si j’exclus l’hypothèse que Paul ait été saisi d’un soudain excès de romantisme en s’exprimant ainsi. Voulant réconcilier tout le monde. Une sorte de bisounours avant l’heure. Si j’exclus cet excès de romantisme. Si j’exclus la stupidité parce que je ne crois pas qu’il était sot. Si j’exclus l’aveuglement de celui qui n’aurait pas vu ce qu’il avait sous les yeux, que me reste-t-il pour comprendre ces mots ?
Peut-être l’utopie d’un rêveur. L’utopie d’un rêveur éveillé dont le monde manque hélas cruellement. Regardez les journaux. Ceux qui existent encore. Ce n’est plus seulement sur leurs « unes » que ce manque de rêveur éveillé est criant, mais quasi à chaque page que l’on feuillette pour s’informer de la situation catastrophique de notre monde.
Oui. Il y a quelque chose en Paul du rêveur utopique, du rêveur éveillé. Qui peine à comprendre que la manière dont le Christ a transformé sa vie, ne transforme pas pareillement celle des autres.
Souvenez-vous, Paul était un païen. Farouche combattant de celles et ceux qui se réclamaient de Jésus-Christ. Et un jour, sur le chemin de Damas, pour le coup un aveuglement ; puis une révélation. Une conversion. Tout ce qui l’habitait comme certitudes jusqu’alors vole en éclats. Il s’attache désormais à rendre grâce et à témoigner de Dieu. Et il le fait dans un esprit d’ouverture incroyable. Alors, quand il débarque dans des régions comme la Galatie du Nord où les gens se querellent parce que certains pensent qu’on ne peut pas être fidèle à Dieu sans être circoncis et que d’autres affirment que la fidélité à Dieu ne se résume pas à l’ablation de ce petit bout de peau, Paul se met à rêver.
Il se met à rêver du monde que sa foi, toute nouvelle, lui dicte de construire.
Un monde au sein duquel, il est possible de se regarder les unes, les uns, les autres en transcendant nos différences. C’est-à-dire en renonçant à faire de nos différences des séparations excluantes.
Sur ce coup-là, Paul se révèle être un véritable précurseur. Ses mots viennent nous toucher individuellement, socialement, communautairement. Et on en prend tous pour notre grade. Tant nous sommes prompts à faire de nos différences des barrières d’exclusion. À nous considérer comme concurrents plutôt que comme complémentaires. Les replis identitaires et le quant à soi grandissants n’en sont que la pointe de l’iceberg.
Paul est exemplaire dans sa manière de s’adresser aux Galates. Et j’aimerais le montrer en m’attachant plus particulièrement à la question homme-femme. Je le fais quelques jours seulement après la célébration d’adieu à Simone Chapuis-Bischof qui, dans notre canton, a été pionnière pour défendre une considération égale des femmes et des hommes.
Si Paul a osé des paroles si fortes « il n’y a plus l’homme et la femme », c’est parce qu’il a été complètement bouleversé par Jésus. Or Paul, tout comme Jésus, vivait dans un monde patriarcal. Leur monde était un monde masculin. Viril. Qui condamnait l’adultère de la femme alors que celui de l’homme était toléré. L’homme pouvait répudier sa femme, pas l’inverse. La femme était infréquentable lorsqu’elle avait ses règles, etc.
Dans ce monde très masculin, Jésus a accordé une attention inédite aux femmes. Les rencontrant, les écoutant, parlant avec elles. Mangeant avec elles, les guérissant. S’approchant sans crainte des plus méprisables. Ce faisant, il était complètement à contre-courant de son époque.
Alors que beaucoup taxent Paul de misogyne, il s’est en fait totalement laissé inspirer par l’attitude de Jésus. Jusque dans sa manière d’organiser les premières communautés chrétiennes. Qui, dès le début, son mixtes. Ce qui n’avait rien d’une évidence.
Dès le début, on baptisa les hommes, les femmes, les garçons et les filles. Dès le début aussi, hommes et femmes ont partagé le repas du Seigneur. Paul a encore autorisé des femmes à conduire les prières de la communauté. On sait que certaines furent diacres ; d’autres apôtres.
Et si on dénombre tant de femmes martyres ou de femmes canonisées dans les tout premiers siècles de l’Église, c’est parce que les communautés chrétiennes étaient de véritables espaces de libération et d’émancipation du patriarcat.
L’élan de Jésus, celui de Paul n’ont hélas pas résisté à l’institutionnalisation de l’Église ; les ecclésiastiques renouant bien vite avec les vieux démons du patriarcat.
Ce détour qui rend hommage à un Paul émancipateur de la cause féminine nous montre à quel point il s’est attaché à rêver un monde différent et à le construire.
Aujourd’hui, que ce soit sur les questions d’égalité, sur le respect mutuel qui devrait nous interdire de vouloir réduire les autres à notre botte, je fais le rêve que nous nous lèverons chacune et chacun afin d’apporter notre pierre à l’édifice. Quant à la paix, il semble que nous ne puissions guère compter sur les dirigeants du monde pour œuvrer à plus de justice et de paix.
Alors, je vous le dis. Même infime, chacune de nos paroles, chacun de nos gestes, chacune de nos prières compte.
À nous de construire le monde dont nous rêvons.
Amen