Sur le chemin de Damas, Saul découvre un autre visage de Dieu que ce qu’il avait pensé être juste. Ce qui lui saute aux yeux, alors, c’est la force de la faiblesse, la toute-puissance de l’amour, la sagesse de la croix. D'après Actes 9
Il y en a qui rêve d’un monde plein de bisounours voire de fées. Moi, je rêve d’un monde plein de petits Saul.
Oh, je sais, faut le dire vite, parce que ce n’était pas un saint, l’ami Saul.
Quand je pense au nombre de reproches qu’on peut lui adresser : violent, haineux, belliqueux, intransigeant, prétentieux, aveuglé par son ego, ambivalent dans sa reconnaissance du rôle des femmes et j’en passe…
… Après avoir dit tout ça, difficile de le présenter comme l’avenir de l’humanité.
Mais là, quand on le retrouve en route pour Damas, je ne peux m’empêcher de penser que, malgré tout, il nous montre le chemin. En tout cas, il nous montre un chemin. Et ce n’était pas gagné d’avance.
Il aurait pu nous laisser indifférent, cet homme tant l’épisode qu’on vient de réentendre est littéralement extra-ordinaire. Si extraordinaire qu’il est complètement éloigné de notre réalité.
Qui a cumulé toutes les violences qu’il a à son actif ? Qui a vécu une révélation comme lui ?
« Moi pas ! ». J’ai l’impression de n’avoir aucun point commun avec lui. Et pourtant, je me sens rejointe par lui. C’est pour ça que je vous propose de le suivre.
Saul se met donc en route pour Damas et le but de son voyage a de quoi faire frémir. Il s’en va dénicher ceux qu’il considère comme des impies, des blasphémateurs. Il s’en va les arrêter pour les ramener à Jérusalem où leur sort ne fait guère de doute…
Pour le dire avec des mots d’aujourd’hui, Saul est en train de conduire une ixième rafle. Et son combat tient de l’épuration théologique, ni plus ni moins. Ceux qui ne pensent pas comme lui, qui ne pratiquent pas comme lui, ont nécessairement tort. À mort.
Ce raisonnement, il n’est pas le seul à le tenir à l’époque. Ce raisonnement, hélas, n’est pas propre à son époque. Il suffit d’ouvrir les yeux sur le monde.
Mais défendre une telle attitude, une telle violence, fût-ce au nom de sa foi, c’est compter sans Dieu. Dieu qui, aujourd’hui comme hier, ne souffre pas que l’on persécute en son nom.
« Saul approchait de Damas quand, soudain, une lumière venue du ciel l’enveloppa de son éclat. Tombant à terre il entendit une voix qui lui disait : « Saoul, Saoul, pourquoi me persécuter ? »
Lui qui, jusque-là, était persuadé de voir juste ; le voilà aveuglé. Ce qui, paradoxalement, va lui permettre de voir clair. Bientôt. Mais pas tout-de-suite.
Pour l’heure, c’est l’aveuglement. Et quelle baffe !
Saul débordait d’activités, le voilà réduit à la passivité.
Il était bourré d’initiatives, il a désormais besoin d’être conduit par la main.
Privé de vue, de nourriture et même de boisson 3 jours durant, Saul est porté à ses limites.
Comme bouleversement, c’est radical !
Et dans cette nuit imposée, la question de l’avenir, qui ne saurait être la simple répétition du passé, la question de l’avenir prend tout son sens. Saul a symboliquement 3 jours et 3 nuits pour la laisser résonner. Sans pouvoir se réfugier derrère sa manière d’être habituelle.
Je crois que c’est là qu’il nous rejoint. Et que nous sommes avec lui replongés dans ces moments où la vie, peut-être Dieu, nous a imposé un arrêt brutal. A coupé court à nos élans. Nous a maintenus à terre.
Que faire de ces freins ? De nos échecs, nos impuissances, nos contrariétés ? Que faire lorsque l’on sait où on veut aller mais que l’on en est empêché ?
Si la vie est un aller-simple vers le visage de Dieu, à vues humaines, elle est faite de virages, de demi-tours, de bifurcations, de ronds-points. Et dans la « vraie vie », il n’y a pas nécessairement de GPS pour nous dire « Au prochain rond-point, prenez la 1ère sortie… »
Saul nous rejoint dans nos aveuglements, nos errances. Ses 3 jours et ses 3 nuits passés à Damas nous disent l’importance de ne pas rester enferrés, enfermés, dans ce que nous connaissons, même si on pense avoir raison et que le connu, c’est rassurant...
Cela dit, j’en reviens au récit, avant d’arriver à Damas où il sera rejoint par Ananias, … Saul se releva de terre, mais bien qu’il eût les yeux ouverts, il n’y voyait plus rien… »
Il y a, et je vais rester polie, une incongruité dans les traductions françaises.
Dans le texte grec, Saul ne se relève pas tout seul ; ce ne sont pas non plus ses amis qui lui tendent la main. Littéralement, il est relevé. ἠγέρθη passif de εγείρω , l’un des verbes utilisés pour parler de la résurrection.
Pourquoi donc les traducteurs sont-ils si prompts à trahir le texte ?
Peut-être parce qu’ils ne comprennent pas qu’une expérience de l’ordre de la résurrection débouche sur le fait de ne rien y voir.
Et c’est vrai qu’il y a là quelque chose de perturbant, de contre-intuitif. Tout au long de la Bible, de nombreuses pages disent que Dieu est lumière. Une lumière qui n’éblouit pas, n’aveugle pas mais permet d’y voir clair.
Or, c’est tout l’inverse qui se passe pour Saul.
Personnellement, j’y vois une pointe polémique du christianisme naissant. Qui reconnaît que Dieu est source de lumière, source d’illumination. Mais qui dit aussi que les dogmes, les systèmes, la transformation de la Bonne nouvelle en code moral trahissent déjà le fait que le plus grand danger des religions, c’est d’être source d’aveuglement. Saul en est l’illustration.
Saul-Paul était un excellent théologien. Qui connaissait la tradition et la philosophie. Qui avait une idée bien précise de Dieu, du salut, de ce qu’est une vie juste.
Ce jour-là, il vit une expérience mystique de l’ordre de la résurrection. Tous ses repères sont ébranlés.
Le maître en rhétorique cherche ses mots. Il balbutie pour témoigner de son incroyable rencontre avec une apparition vide, avec « ce rien », « cet invisible ».
Après cet épisode, après sa rencontre avec Ananias, Saul ne sera plus le même. Ou, plus précisément, il sera toujours bien Saul, avec son parcours de vie, son passé, ses origines, ses dons, son intelligence, ses faiblesses, ses mauvais traits. Mais il ne verra plus ni Dieu ni le monde comme avant.
Il va découvrir un autre visage de Dieu que ce qu’il avait pensé être juste. Et ce qui va lui sauter aux yeux, alors, c’est la force de la faiblesse, la toute-puissance de l’amour, la sagesse de la croix.
Il n’aura dès lors cesse de témoigner, avec toute sa force, de la grâce inconditionnelle de Dieu. Insufflant par là un incroyable vent de liberté au christianisme naissant. Bien loin de tous les dogmatismes qui ponctuent l’histoire.
Alors, vous ne me l’entendrez pas dire souvent, mais… ne serait-il pas temps de revenir aux origines, en tout cas à cette origine-là ? A ce souffle de liberté proposé par le christianisme naissant et trop souvent bafoué par les Églises ?
Amen