Prédication du 20 octobre, Prier Dieu à ciel ouvert

Jésus et la Samaritaine 2/2

« Prier Dieu à ciel ouvert »

 

Chez les Valaisans, la question rituelle, c’est « T’as où, les vignes ? »

 

Quand les Juifs et les Samaritains se croisaient, la question, c’était : « T’as où, ton Dieu ? »

 

Et la réponse ne pouvait être que conflictuelle. 

 

Je le rappelais la semaine dernière. Juifs et Samaritains ne faisaient pas bon ménage. Et le facteur déterminant du conflit qui les opposait a eu lieu au 6ème siècle avant notre ère, lorsque les Samaritains construisent leur propre temple sur le mont Garizim… ce qui sonne tout à la fois comme un désaveu et une concurrence inadmissible, pour le temple de Jérusalem. Dès cet instant, les deux peuples se sont voué une haine réciproque.

 

« T’as où, ton Dieu ? »

Cette question, elle a traversé les siècles, toujours aussi clivante.

 

Elle résonne aujourd’hui encore. Source de conflits. Génératrice de tension au sein de toutes les traditions religieuses et entre les traditions religieuses.

 

Savoir où est Dieu.

Le localiser, une bonne fois pour toutes.

Déterminer avec précision où il se manifeste, où il se laisse rencontrer. A contrario là où il n’est pas.

C’est une terrible tentation humaine.                                                

 

Qu’on pourrait essayer de prendre en bonne part, prétextant qu’elle est le signe que nous avons à cœur de « bien prier Dieu », de « faire juste » entre guillemets.

 

Je crois qu’elle révèle surtout notre volonté de mettre la main sur Dieu. De le circonscrire. Géographiquement, dans nos mots, dans nos dogmes, dans nos représentations.

 

Tentation humaine de s’approprier Dieu. De le brandir comme un étendard face à celles et ceux qui ne croient pas comme soi. Vanité de penser détenir la vérité sur lui de manière unique et exclusive.

 

Si l’homme est supposé apprendre de ses erreurs, il semble qu’en matière de religion, l’histoire peine à nous enseigner qu’il y a des comportements et des a priori qui ne peuvent conduire qu’à des violences et des conflits. L’actualité en est un reflet terrifiant.

 

C’est dramatique.

 

C’est dramatique, d’autant que le dialogue entre Jésus et la Samaritaine est une véritable source d’inspiration

  • pour apprendre à dépasser nos préjugés.

  •  Pour oser aller au-delà des frontières qui nous paraissent infranchissables.

  •  Pour briser les codes quand ils se révèlent mortifères plutôt que porteurs de vie.

 

Cette rencontre, qui n’aurait jamais dû avoir lieu, est exemplaire dans la façon dont elle interroge notre manière de vivre la foi.

 

Alors que la Samaritaine s’ouvre à Jésus de son doute : « Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es un prophète. Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous affirmez qu'à Jérusalem se trouve le lieu où il faut adorer. »

 

La réponse de Jésus claque. Impliquant, ni plus ni moins, la fin de toute notion de lieux saints avec les querelles qui y sont liées :

 

« Crois-moi, femme, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père (…) L’heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. »

 

Avec cette réponse, Jésus affirme haut et fort que l’important n’est pas de savoir où Dieu se donne à rencontrer. Mais comment nous pouvons l’adorer.

 

On quitte donc le « où », Mont Garizim, u Jérusalem ou autre, pour le « comment ». En l’occurrence, adorer « Dieu en esprit et en vérité. »

 

Ce passage du « où » au « comment » est fondamental.

 

D’autant plus, si nous gardons en mémoire les mots de l’apôtre Paul, lorsqu’il affirme que nous sommes le temple de Dieu, chacune, chacun.

À la fois en tant qu’individu au creux duquel Dieu fait sa demeure. Mais aussi comme communauté. Comme membre d’un corps, comme partie d’un peuple.

 

Quand on réfléchit, en tant qu’individus, porteurs d’une étincelle divine, nous savons bien que nous portons en nous une part de Dieu mais qu’il ne se réduit pas à nos personnes.

 

Pareillement, il ne se laisse circonscrire ni dans nos traditions ni dans communautés, ni dans nos lieux de culte.

 

Si Dieu est en nous, comme le dit Paul, c’est la manière dont nous en témoignons qui compte et pas tant que nous soyons sanctifiés pour cela.

Il n’y a pas de lieux saints ou nous sommes toutes et tous le temple saint de Dieu, ça revient au même. Ce n’est pas le lieu géographique qui est saint mais les relations des personnes qui s’y retrouvent, relations entre elles et avec Dieu.

 

« Adorer Dieu en esprit et en vérité. » 

 

Dans la tradition biblique, l’esprit c’est d’abord ce souffle qui sort des narines de Dieu. Pour donner vie à la glaise et façonner l’humain.

 

La vérité, elle, s’adosse en hébreu avec des mots tels que fidélité, solidité, constance. Tout ce qui nous permet d’ancrer notre vie.

 

« Adorer Dieu en esprit et en vérité », c’est donc tout à la fois se reconnaître traversé par un élan de Vie qui nous excède. On est dans l’ordre du mouvement, de la dynamique, de l’audace.

Mais c’est aussi orienter son existence dans ce qui est solide, fiable, constant.

 

« Adorer Dieu en esprit et en vérité », en fait, c’est suivre l’exemple de Jésus dans sa rencontre avec la Samaritaine.

 

Lui qui, dynamique, mû par plus fort que lui, ne craint pas de traverser la Samarie, terre hostile ! Lui qui s’aventure au-devant d’une femme, en plein midi.

 

Mais lui qui sait aussi prendre assise sur le puits de Jacob. Une manière symbolique de signifier qu’il prend appui sur son passé, sur ses racines.

 

Assis sur la margelle de ce puits, Jésus est tout à la fois adossé à la tradition d’Israël dont il se réclame.

 

Dans le même temps, son attitude vis-à-vis de la Samaritaine et les paroles qu’il lui adresse sont parmi les plus transgressives que nous lui connaissons.

 

Merveilleux paradoxe d’une transgression qui ne jette pas le passé aux oubliettes mais lui offre un nouveau départ, une nouvelle compréhension…

 

Dans nos vies, dans nos familles, dans notre Église, je crois que nous sommes appelés, à la suite de Jésus s’aventurant en Samarie, nous sommes appelés à dire d’où nous venons, sans fermer ni la porte ni le dialogue avec ceux qui viennent d’ailleurs.

 

Nous sommes appelés à oser ancrer l’un de nos pieds dans la tradition et à laisser l’autre avancer dans l’innovation.

 

Oser reprendre les mots de la foi dont nous avons hérités. Nous préoccuper de celles et ceux qui ont besoin de voir leurs repères consolidés dans un monde où tout vacille.

 

Mais aussi réinterpréter la tradition à frais nouveaux pour apporter des éléments de réponses inédits à des questionnement inédits.

 

Un équilibre à trouver pour accompagner les mouvements de fond de la société et les futures réformes de notre Église, en énonçant une parole qui redessine l’horizon de la transcendance et renouvelle l’alliance de vie pour nos contemporains.

 

Je termine avec le dernier échange entre la Samaritaine et Jésus.

 

« Je sais qu'un Messie doit venir – celui qu'on appelle Christ. Lorsqu'il viendra, il nous annoncera toutes choses. » Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle. »

 

Jésus est cet Autre qui est déjà là.

 

Le temps de l’Autre est arrivé. Pas le nôtre. Celui de l’Autre. Et nous, nous pouvons en témoigner.

 

Comme le disait le réformateur Luther à l’époque : « nous sommes toutes et tous des petits christs ».

 

Témoignons-en dans l’ouverture et le respect d’autrui.

 

Amen

 

  • Lecture de 1 Corinthiens 3 : 5 à 9 + 16 à 17

Qu'est-ce donc qu'Apollos ? Qu'est-ce que Paul ? Des serviteurs par qui vous avez été amenés à la foi ; chacun d'eux a agi selon les dons que le Seigneur lui a accordés. Moi, j'ai planté, Apollos a arrosé, mais c'est Dieu qui faisait croître. Ainsi celui qui plante n'est rien, celui qui arrose n'est rien : Dieu seul compte, lui qui fait croître. Celui qui plante et celui qui arrose, c'est tout un, et chacun recevra son salaire à la mesure de son propre travail. Car nous travaillons ensemble à l'œuvre de Dieu, et vous êtes le champ de Dieu, la construction de Dieu.

Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? 1Si quelqu'un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira. Car le temple de Dieu est saint, et ce temple, c'est vous.

 

  • Lecture de Jean 4 : 16 à 29

Jésus lui dit : « Va, appelle ton mari et reviens ici. » La femme lui répondit : « Je n'ai pas de mari. » Jésus lui dit : « Tu dis bien : “Je n'ai pas de mari” ; tu en as eu cinq et l'homme que tu as maintenant n'est pas ton mari. En cela tu as dit vrai. »

« Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es un prophète. Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous affirmez qu'à Jérusalem se trouve le lieu où il faut adorer. » Jésus lui dit : « Crois-moi, femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l'heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; tels sont, en effet, les adorateurs que cherche le Père. Dieu est esprit et c'est pourquoi ceux qui l'adorent doivent adorer en esprit et en vérité. » La femme lui dit : « Je sais qu'un Messie doit venir – celui qu'on appelle Christ. Lorsqu'il viendra, il nous annoncera toutes choses. » Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle. »

Sur quoi les disciples arrivèrent. Ils s'étonnaient que Jésus parlât avec une femme ; cependant personne ne lui dit « Que cherches-tu ? » ou « Pourquoi lui parles-tu ? » La femme alors, abandonnant sa cruche, s'en fut à la ville et dit aux gens : « Venez donc voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait. Ne serait-il pas le Messie ? »