Prédication du 1er septembre, "Et Jésus soupira".

Et Jésus soupira…

 

Vous le savez sûrement déjà, quand on tient une Bible dans la main, et celle-là, je te la donnerai tout à l’heure, Simon.

 

Quand on tient une bible dans la main, on tient bien plus qu’un livre.

 

Tout d’abord, à cause du statut particulier que certains lui accordent. Un livre pas comme les autres puisque Dieu lui-même s’y livre.

 

Mais aussi parce que c’est l’ouvrage le plus traduit dans le monde. Quelque 700 langues et dialectes connaitraient une traduction intégrale de la bible.

 

Et puis, la Bible, c’est bien plus qu’un livre parce que c’est une véritable petite bibliothèque. 66 livres, des dizaines d’auteurs, une rédaction qui s’étale en gros sur 1000 ans.

 

Quand on l’ouvre cette petite bibliothèque, on y trouve des mythes, des sagas, des proverbes, des paroles de sagesse, des témoignages, des paraboles, des miracles. Il y a des récits d’amour, d’autres de haine. Il y a des récits historiques, des évidences et des contradictions.

 

Aujourd’hui, beaucoup la considèrent comme un best-seller. On en trouve dans toutes les librairies. Il y a 500 ans, la Bible était un bien précieux et rare. Qui n’était, de loin pas, glissée entre toutes les mains.

 

Dans leurs élans, leurs convictions, leur volonté de donner au peuple le texte jusqu’alors confisqué par les prêtres, les Réformateurs ont développé plusieurs intuitions. Et j’aimerais revenir sur l’une d’entre elles avant de m’attaquer au récit que nous avons réentendu.

 

C’est cette intuition que les Écritures sont à interpréter, encore et toujours.

 

Dire la nécessité d’une interprétation sans cesse à remettre sur le métier, c’est dire qu’un texte ne livre jamais sa signification une fois pour toute.

 

Le sens des récits bibliques n’est pas clos. Ils n’ont pas fini de livrer leur vérité. Et c’est pour cela que nous disons de la Bible qu’elle n’est pas lettre morte mais qu’elle donne à entendre une Parole vivante. Et que ce qui lui donne vie, ce ne sont pas tant les dogmes ni une vérité qui en précéderait la lecture mais la capacité qu’a chaque génération d’en questionner les récits et d’y apporter des interprétations qui mettent en route son quotidien.

 

Pour le dire non seulement avec les mots des réformateurs, mais avec ceux de la rabbin Delphine Horvilleur puisqu’il y a des racines juives dans la famille de Simon « Le propre d’un texte sacré, c’est de pouvoir être révélé encore et encore… La lecture de nos pères nous inspire mais elle n’est pas la seule qui soit correcte. Croire que la vérité se trouve dans l’interprétation d’hier uniquement, c’est une idolâtrie du texte ; qui tue le texte. »

 

Alors, si j’ai pris le temps de rappeler cela, c’est peut-être pour apprendre quelque chose à Simon. C’est surtout pour nous rappeler cette vérité fondamentale.

 

Lorsque nous lisons la bible, même si elle a été écrite il y très longtemps, avec d’autres et pour d’autres que nous, c’est néanmoins toujours aussi pour nous qu’elle est écrite.

 

Ce qui veut dire que l’histoire de cette rencontre entre Jésus et un sourd qui parle difficilement, l’histoire de sa guérison, elle est pour nous. Elle est pour toi, Simon.

 

Alors, je sais que tu n'es pas sourd. Et que tu n’as pas la langue dans ta poche.

 

J’imagine aussi que si je te disais que Jésus, ou quelqu’un dans cette cathédrale s’inspirant de lui, allait venir vers toi, te mettre les doigts dans les oreilles, cracher et te toucher la langue avec sa salive, tu ne serais pas particulièrement heureux.

 

Rassure-toi, moi non plus.

 

Mais comme ce récit a aussi été écrit pour toi, pour moi, pour chacune et chacun, il nous faut l’interpréter pour déceler, au-delà des mots, comment il peut nous toucher.

 

Pour cela, je reviens sur 3 éléments.

 

Tout d’abord pour relever que le sourd a de la chance d’avoir des amis qui l’ont conduit vers Jésus et qui lui ont demandé de lui imposer les mains, c’est-à-dire de prier pour lui en vue d’une guérison. Sans la présence des amis, le récit n’existerait pas.

 

Et pourtant. Pourtant, la toute première chose que Jésus fait, après qu’on lui a amené le sourd, c’est de le prendre à l’écart, loin de la foule.

 

En agissant ainsi, je crois que Jésus nous rappelle que lui-même, comme Dieu, se préoccupe de chacun de nous individuellement.

 

Comme on l’a entendu dans la liturgie du baptême de Simon : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime. » Cette parole s’adressait initialement au peuple d’Israël. En l’interprétant, elle vaut aussi pour chacune et chacun de nous.

 

Toujours Dieu, ou Jésus, fait cet effort de nous distinguer de la masse. Il nous écoute, il nous accorde son attention. Il agit pour nous, en fonction de nos besoins et de qui nous sommes. Il arrive même que Dieu change d’avis pour tenir compte du nôtre.

 

C’est la première bonne nouvelle de ce récit. Chaque relation avec Dieu est unique. Parce que nous sommes toutes et tous uniques. Et que Dieu nous prend véritablement en considération.

 

2ème bonne nouvelle, et je parie que vous n’auriez pas misé dessus : Jésus crache et touche la langue de l’homme avec sa salive.

 

Je sais. Ça ne donne pas franchement envie. Mais c’est un geste précieux qu’il fait là. Parce que, parfois, la réalité nous laisse sans mot.

 

Quand elle est trop moche. Trop dure. Quand elle nous met en rage. Ou nous rend triste. Quand on ne comprend pas. Ou même quand on est submergé de bonheur, il arrive qu’on ne sache pas quoi dire.

 

À ta façon, tu vis cela, Simon. Tu me le disais : « Je voudrais bien que Dieu apporte le bien sur la terre ; mais je ne suis pas sûr de pouvoir y croire ». Que dire ? Que croire ? Quand on voit ce qu’on voit…

 

Et bien, quand on n’arrive pas à trouver nos propres mots. Nous pouvons utiliser ceux des autres, ceux de la tradition. Nous pouvons prier le « Notre Père » avec Jésus et tant d’autres dans le monde. Nous pouvons reprendre les psaumes, les cris des prophètes, les mots d’amour qui font vibrer tout au long de la bible.

 

Quand nos bouches sont asséchées face à la réalité, Jésus nous prête sa salive pour que nous puissions nous rattacher à des mots (MOTS) et que nous ne soyons pas totalement envahis par nos maux (MAUX).

 

C’est ainsi que je vous propose, ce matin, d’entendre cette curieuse manière de faire.

 

Et puis, dernière bonne nouvelle.

Après le coup de la salive, Jésus leva son regard vers le ciel et il soupira.

 

Ça ne lui est pas arrivé très souvent de soupirer.

 

Le verbe grec, utilisé dans ce récit, est traduit ailleurs dans la bible par « se plaindre » ou « gémir ».

De fait, il y a quelque chose de l’ordre du gémissement quand on soupire.

 

Mais les musiciens le savent. Un soupir, c’est aussi un silence...

 

Et je crois qu’il y a un peu de ces deux significations-là dans le soupir de Jésus.

 

Face à l’homme qu’on lui amène, Jésus commence par faire silence. D’ailleurs, à ce stade du récit, vous l’aurez remarqué, il n’a pas encore parlé.

 

Faire silence, après avoir extirpé le sourd de la masse pour le considérer lui, et lui seul. Faire silence à ce moment-là, c’est une fois encore lui témoigner de la considération. C’est prendre la pleine mesure de qui il est.

 

Tant de fois nos paroles ne sont que des bavardages inutiles qui, face à une personne différente ou souffrante, masquent difficilement notre gêne.

 

Jésus commence par communier au destin de cet homme en silence. Parce qu’il n’y a rien à dire pour justifier ce qui lui arrive.

 

Dans un second temps, il soupire. Donc toujours pas de mots exprimés. Il soupire, dans un gémissement, pour en appeler à Dieu.

 

À ce moment, il communie non seulement au destin de cet homme mais, il se remet avec lui, à plus grand qu’eux. Sollicitant Dieu qui peut tout là où l’humain encore balbutie.

 

Ensuite seulement Jésus articulera « ephphata ». Ouvre-toi. Ouvre-toi à ce que tu n’attends plus mais qui pourrait bien advenir. À la grâce de Dieu.

 

Alors voilà. Puisque ce lointain récit a aussi été écrit pour chacune et chacun de nous, toutes les espérances qui s’y trouvent sont également pour chacune et chacun de nous.

 

Amen

 

  • Lecture de Marc 7 : 32 à 37

On amène à Jésus un sourd qui, de plus, parlait difficilement et on le supplie de lui imposer la main. Le prenant loin de la foule, à l'écart, Jésus lui mit les doigts dans les oreilles, cracha et lui toucha la langue. Puis, levant son regard vers le ciel, il soupira. Et il lui dit : « Ephphata », c'est-à-dire : « Ouvre-toi. » Aussitôt ses oreilles s'ouvrirent, sa langue se délia, et il parlait correctement. Jésus leur recommanda de n'en parler à personne : mais plus il le leur recommandait, plus ceux-ci le proclamaient. Ils étaient très impressionnés et ils disaient : « Il a bien fait toutes choses ; il fait entendre les sourds et parler les muets. »