Les récits bibliques et les contes n’ont pas besoin de dire la réalité pour exprimer une vérité.
D'après Deutéronome 6: 4 à 9 et 2 Timothée 2: 8 à 13
Il était une fois…
.. Aujourd’hui encore, le simple fait d’entendre cette phrase me renvoie instantanément à mon enfance et à la magie que ces 4 petits mots suscitaient lorsque l’un ou l’autre de mes aînés les prononçaient.
Il me suffisait de les entendre pour savoir que le vieux canapé brun sur lequel j’étais assise n’allait pas me retenir longtemps et que le récit m’emmènerait vers des horizons que j’avais hâte de découvrir.
Il était une fois un homme, un pays lointain, une fée, David et Goliath, le petit chaperon rouge, Zohio, Jésus, Arnold de Melchtal, Walter Fürst et Werner Stauffacher.
Il était une fois…
Quels que soient les récits qui débutent ainsi, leur point commun, c’est qu’ils commencent par nous plonger dans le passé. Mais on n’y reste pas longtemps dans le passé. Car le propre de ces récits, c’est qu’ils nous donnent de quoi nourrir notre quotidien et nous ouvrir à l’avenir.
C’est ce que révèle cette incongruité du français qui, dans les contes et légendes utilise l’imparfait du verbe “être“ là où on serait en droit d’attendre un passé simple. Vous l’avez comme moi appris à l’école, quand on parle du passé en utilisant l’imparfait, on sous-entend que l’action décrite a une certaine régularité : quand j’étais petite, j’adorais me promener en forêt avec mon grand-père… si je le dis ainsi, c’est que j’y suis allée souvent, dans la forêt, avec mon grand-père.
Il était une fois… c’est une bizarrerie du français. Dit de manière plus noble, un procédé littéraire que l’on retrouve dans la Bible. Parce que les récit bibliques, comme les contes, ont tendance à évoquer le passé pour mieux nous révéler notre présent voire notre avenir.
En fait, quand on dit, “il était une fois » cela signifie “il était une fois“, “il est une fois ; et il sera encore de nombreuses fois“.
Ce rapport étrange au temps, on en trouve trace dès le récit de la création.
La racine hébraïque du verbe “se souvenir“ traduit également la notion de « mâle, masculin ». Tandis que le mot hébreu pour “féminin“ signifie aussi “ouverture vers l’avenir“.
Au tout début, Dieu créa l’humain à son image et à sa ressemblance ; homme et femme, il les créa...
… Et c’est ainsi que dans un même mouvement, l’humain est celui qui se souvient en regardant le passé et celle qui ouvre les perspectives d’avenir.
Évoquer simultanément les contes et la bible, cela étonne certains qui pensent que les contes ne disent pas la vérité, contrairement aux histoires de la Bible. Je ne suis pas sûre que leur différence réside en cela.
Si je reprends le texte du Deutéronome, on y lit l’importance, pour le peuple d’Israël, de faire mémoire et de raconter. Faire mémoire des paroles et des commandements donnés dans le désert, le don de la loi, ce moment de leur histoire qui marque définitivement la fin de la période d’escalvage en Égypte. Les Hébreux devenant alors le peuple d’Israël.
Dans les faits, on ne sait ni quand ni comment les Hébreux sont sortis d’Égypte. Et il y a plusieurs sources pour évoquer le don des commandements qui désormais structurent leur vie.
Mais ce qui est sûr, c’est que les récits bibliques qui évoquent la sortie d’Égypte et la constitution du peuple d’Israël n’ont pas besoin de dire la réalité pour exprimer une vérité.
Indépendamment des faits historiques, quelque chose de la libération d’Égypte dit la vérité de nos eclavages, quels qu’ils soient. Et quelque chose du don de la loi évoque notre libération à tous et notre construction tant communautaire qu’individuelle.
Où est mon Égypte ? Qu’est-ce qui fait de moi, qu’est-ce qui fait de nous, des esclaves ? Quel est le nom, la forme de mon Pharaon ? Quelles sont les balises qui m’ouvrent un avenir différent ?
Ces questions nous concernent, avec des mots aujourd’hui peut-être différents. Mais ces questions nous concernent et n’ont pas fini de nous tarauder… Il était une fois, il est, et il sera encore de nombreuses fois.
Paul le dit aussi à sa manière.
« Souviens-toi de Jésus-Christ ressuscité d’entre les morts, issu de la race de David. »
« Souviens-toi de Jésus-Christ ».Ce qui frappe dans cette exhortation au souvenir, c’est que Paul situe Jésus par rapport à la mort, même si c’est pour dire qu’il l’a vaincue, et comme issu de la race de David.
C’est donc d’abord d’un homme dont nous avons à faire mémoire dans la foi.
Un homme avec une généalogie.
Un homme dont l’existence a été constellée d’événements nous le rendant proche…
… Il a été élevé dans une famille probablement avec des frères et des sœurs. Il a grandi et travaillé ; il a eu des amis, des joies, des douleurs. Il aimait les repas, les fêtes. Il n’aimait pas les vies bâclées et redressait volontiers ceux qui ployaient sous le fardeau.
C’est de lui dont nous avons à faire mémoire dans la foi. Pas d’un Dieu lointain et par trop différent de nous. Pas d’un surhomme.
Un être humain, un semblable, un frère, un ami.
Un ami que le Père a reconnu comme son fils bien-aimé. Et désormais, nous aussi accédons à Dieu de manière nouvelle, directe comme des enfants avec leurs parents.
Il était une fois, il est, et il sera encore de nombreuses fois.
Quant à la prairie du Grütli, dans le fond, elle n’est qu’à un pas ou presque de la cathédrale. De Jésus à Arnold de Melchtal, Walter Fürst et Werner Stauffacher, il n’y a qu’un pas aussi, ou presque.
Se souvenir d’eux, faire mémoire de leur épopée aujourd’hui, ne sert à rien si c’est pour s’enferrer dans le passé. Tout change si nous pouvons y lire des signes pour vivre aujourd’hui.
Par exemple en manifestant que leur volonté de se montrer plus attentifs à ce qui unit qu’à ce qui oppose est notre volonté.
En faisant de leur refus de croire que chacun est identique à l’autre et interchangeable, notre refus.
En prolongeant leur conviction que la différence enrichit plus qu’elle n’oppose.
Et si cela est vrai, « Il était une fois »… et cette fois n’a pas fini d’éclore et d’éclore encore pour nous tracer un chemin vers demain.
Amen