« Ô Aton, source de vie ! Étincelant, tu te lèves sur le pays d’Égypte. Combien diverses sont tes œuvres et impénétrables tes desseins. Ô toi, soleil du jour, … le monde est dans ta main. »
Cette invocation que j’ai un brin raccourcie, Jacobs la place dans la bouche d’Abdel Razek dans Le secret de la Grande Pyramide. Nous renvoyant ainsi à la mythologie égyptienne…
…Ces mots ne sont pas sans rappeler plusieurs psaumes qui évoquent, eux, la grandeur du Dieu créateur.
Pour n’en citer qu’un, le psaume 8 : « SEIGNEUR, … que ton nom est magnifique par toute la terre ! …
Quand je vois tes cieux, œuvre de tes doigts, la lune et les étoiles que tu as fixées, qu’est donc l’homme pour que tu penses à lui ? »
Comme invocation, dans un registre plus sobre, il y a l’entame du pacte fédéral de 1291 : « Au nom du Seigneur, amen. » ou le préambule de la Constitution fédérale : « Au nom de Dieu Tout-Puissant ! »
Ce bref tour d’horizon n’est bien sûr pas exhaustif. Il révèle néanmoins qu’à travers les cultures, à travers les époques, l’invocation à un ou des dieux est un motif récurent dans la vie des humains.
Alors, pourquoi ?
Pourquoi les hommes en appellent-ils à Dieu ou à un dieu ?...
… Il y a plusieurs réponses possibles à cette question.
À commencer par la reconnaissance, la louange, de Celui à qui on doit la création et donc la vie. On le prie, on l’implore, en le regardant d’en bas, avec admiration, avec respect…
… Jouant de cela, certaines religions et institutions ont insisté sur la crainte à avoir face à ce Dieu très grand, très haut, qui sait tout, qui peut tout, qui voit tout… Une image de Dieu qui, je l’avoue, peut avoir quelque chose d’un brin inquiétant.
Et puis, on invoque aussi Dieu, respectivement tel ou tel dieu, parce que lui-même le demande en signe de fidélité de la part des humains. Parfois de manière exclusive par rapport à toute autre divinité. On l’a réentendu dans le livre de l’Exode.
Et c’est l’occasion de préciser ici que le monothéisme a mis du temps à s’imposer chez nos lointains ancêtres. À l’époque de la libération d’Égypte, tous les peuples autour des Hébreux reconnaissaient plusieurs divinités ; les Hébreux aussi. Et en Israël, on a longtemps prié non seulement Yahvé, mais Ashéra, son pendant féminin.
Les textes bibliques peuvent donner l’impression d’une évidence, mais le passage du polythéisme au monothéisme est un processus qui a pris du temps. Avec des habitudes dont il a fallu se défaire.
Et puis enfin, et c’est probablement le cas le plus fréquent, c’est le besoin de s’en assurer les bonnes grâces qui dicte l’invocation à une divinité…
… Ce que je ne suis pas sûre d’obtenir par moi-même, Dieu pourrait me le concéder.
Dans les religions polythéistes, à chaque dieu sa spécialité. Dans les monothéismes comme le christianisme, il n’y a plus qu’un seul destinataire.
Du coup, on le qualifie volontiers de fort, de puissant, de tout-puissant, parce que c’est ce que l’on attend de lui. Un acte de puissance pour infléchir le cours de notre vie lorsque nous n’arrivons pas seuls à la conduire là où on voudrait.
Espérer que Dieu vienne agir lorsque nous sommes devant une impasse, c’est un motif régulier de prière. En soi, pas problématique. C’est même plutôt faire preuve de sagesse que de demander de l’aide à plus grand que soi.
Pour autant, les récits que nous avons réentendus nous révèlent quelques écueils possibles et nous montrent en quoi l’invocation chrétienne a quelque chose de spécifique.
Pour vous l’expliquer, je reviens sur deux paroles. « Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur, ton Dieu. » Et : « Le Fils de l’Homme est venu non pour être servi mais pour servir. »
Pour la plupart des commentateurs, prononcer à tort le nom de Dieu, ne se résume pas à dire des jurons, c’est se servir de Dieu pour faire le mal. Utiliser son nom pour commettre des injustices, pour violenter, asservir, abuser, mépriser.
Et même plus. C’est non seulement usurper son nom, mais c’est usurper son identité. En se berçant soi-même d’illusions et en faisant croire aux autres que nous avons, sur eux, droit de vie et de mort.
C’est probablement-là le seul réel blasphème dans la foi chrétienne : se prendre pour Dieu.
Alors, je sais. L’histoire regorge de personnes qui ont pensé ainsi. Ce n’est pas parce qu’elles ont été, et sont encore, trop nombreuses, que leurs actes auraient quelque légitimité que ce soit.
Et sur ce sujet, Jésus vient en rajouter une couche lorsqu’il dit : « Le Fils de l’Homme est venu non pour être servi mais pour servir. »
Nous sommes confrontés avec cette parole à un total renversement des valeurs.
Si les dieux, les rois et les autres puissants nous font fantasmer, c’est bien parce qu’on les envie. Au moins un peu. Qui n’a jamais eu des rêves de grandeur ?
Or, dans une optique chrétienne, le chef, le roi, le puissant, le Fils de Dieu, le Fils de l’Homme n’est pas le “grand“ qui est servi, nous dit Jésus. C’est celui qui sert. Et d’insister : les chefs des nations tiennent les autres sous leur pouvoir. Il ne saurait en être de même parmi vous.
C’est un retournement complet de situation. C’est l’exact inverse de l’idée qu’on se fait habituellement d’une religion : à savoir que l’humain est au service de Dieu.
Non, dit Jésus. Le Dieu qu’il incarne n’est ni un super roi, ni un super président, ni un super héros, ni même un tout-puissant au sens où nous l’entendons généralement.
Le Dieu qu’il incarne est un humble serviteur.
Il ne cherche pas à exploiter l’humain.
Loin de l’humilier voire de l’aliéner, il veut son bonheur et l’encourage à accéder à la liberté.
On oublie souvent ce message fondamental des Évangiles. C’est bien dommage.
Ce qui est frappant, c’est qu’en 1291, ceux qui ont signé le pacte fédéral étaient, consciemment ou pas, hyper fidèles à cette image chrétienne d’un Dieu serviteur.
Au tout début du pacte, ils en ont appelé « au nom du Seigneur », sans autre qualificatif ; pas de “toute-puissance divine“. Et ils ont développé l’appel à un engagement humain de solidarité et de service.
Je cite : « Au nom du Seigneur, … les gens de la Vallée d’Uri, la landsgemeinde de la vallée de Schwytz et celle des gens de la vallée inférieure d’Unterwald se sont engagés … à se prêter les uns aux autres n’importe quel secours, appui et assistance, …
sans ménager ni leurs vies ni leurs biens, dans leurs vallées et au-dehors, contre celui et contre tous ceux qui, par n’importe quel acte hostile, attenteraient à leurs personnes ou à leurs biens (…).
Quoi qu’il arrive, chacune des communautés promet à l’autre d’accourir à son secours en cas de nécessité, à ses propres frais, et de l’aider autant qu’il le faudra pour résister à l’agression des méchants et imposer réparation du tort commis. »
Si des politiciens ou politiciennes devaient reprendre ces mots ce soir dans leur discours, je ne sais pas s’ils auront conscience d’être à ce point-là des reflets de l’image chrétienne de Dieu.
Quoi qu’il en soit, quant à nous, je nous y encourage, c’est chaque jour que nous avons à manifester notre solidarité et notre esprit de service. À l’image de Dieu lui-même.
Amen