« les noces de cana, ou sortir de l’ordinaire pour embrasser l’extraordinaire »
Ce récit de Cana, vous avez peut-être l’impression, comme moi, de le connaître par cœur. À tel point qu’il paraît difficile d’imaginer qu’il puisse, encore, nous réserver des surprises.
Et pourtant, en le retravaillant ces derniers jours, j’ai réalisé pour la première fois combien il fait écho à la fin de vie de Jésus.
Nous sommes ici au tout début de son ministère. Pas le tout début de sa vie. Mais le tout début de son activité publique.
Concrètement, Jean l’a désigné comme le Messie.
Lui, il a recruté ses disciples.
Il rechigne un brin à se mettre à l’ouvrage, estimant que son heure n’est pas venue.
Marie insiste pour le mettre en route.
Et, dès cet instant, dès l’intervention de sa mère pour le sortir de sa zone de confort, dirait-on aujourd’hui, pour le lancer dans son ministère, nombre de détails renvoient au cycle de la Passion.
Tout d’abord, les noces de Cana, premier miracle raconté dans l’évangile de Jean et raconté dans cet évangile uniquement, a lieu au 3ème jour. Probablement le 3ème jour depuis que Jean prophétise et annonce la proche venue du Messie.
Or, depuis Pâques, ce 3ème jour, donne une couleur toute particulière à nos vies. C’est dire que cette simple mention permet d’espérer un débordement de joie et de vie, ce jour-là, à Cana.
Et puis, Jésus s’adresse à Marie en lui disant « femme ». Exactement comme au pied de la croix lorsqu’il la confie au disciple bien-aimé : « femme, voici ton fils ».
Dans toutes nos traductions françaises, et dans notre esprit aussi, cette apostrophe a un petit relent de mépris. On préférerait qu’il lui dise « maman ». Ce qui n’arrive jamais dans les évangiles.
Alors, quand il lui dit : « Que me veux-tu, femme ? » littéralement, « quoi entre toi et moi, femme ? », on entend volontiers « mêle-toi de tes oignons, cesse de m’importuner ».
Je ne suis pas sûre qu’il faille entendre les choses de cette façon.
Avec d’autres, je pense en fait que Jésus est profondément troublé par les propos de sa mère et que c’est à cause de ce trouble qu’il finira par faire ce que Marie demande.
Si nous prenons sa question en bonne part, « Que me veux-tu, femme ? », nous pouvons y déceler le fruit d’un étonnement réel : « Qu’y a-t-il entre toi et moi pour que ta parole me bouleverse à ce point ? (Toutes les paroles de ma mère ne m’ont pas bouleversées). Que se passe-t-il pour que tes mots trouvent en moi un tel écho ? »
Par la grâce de Marie, Jésus est en train de vivre un profond bouleversement ; un changement intérieur ; une conversion.
Il était prêt à rester dans l’ordinaire d’une vie ordinaire.
Il pensait son heure ne pas être venue, contrairement à la croix où il sait que l’heure est venue.
Sa mère lui révèle à Cana que le kairos, le temps favorable, est là.
Elle lui fait comprendre qu’il est temps, pour lui, de sortir de l’ordinaire où le cours des choses va son train ; où l’habitude sclérose les élans ; où, avec le temps, la saveur perd inexorablement de son goût.
C’est grâce à Marie que Jésus va ce jour-là débuter son ministère. Acceptant de sortir de l’ordinaire pour embrasser le ministère extra-ordinaire qui l’attend et qu’on lui connaît.
Et ce miracle, cette conversion au 3ème jour, ce n’est pas un hasard, débouchera effectivement sur un débordement de joie.
Sans vin, le mariage touchait à sa fin. Probablement bien avant l’heure.
Ça peut nous paraître futile. Mais souvenons-nous que, dans la bible, le vin symbolise la joie.
Bien sûr, son éventuel manque ne menace pas la survie des invités, ni même leur soif puisqu’il y a de l’eau.
Par contre, il menace leur joie ; il menace la saveur de la fête.
Pensez au Qohélet : « Mange ton pain avec plaisir et bois ton vin d'un cœur joyeux, car Dieu a déjà approuvé tes actions. »
L’absence de vin menace l’euphorie permise ; l’euphorie offerte et même prescrite aux invités d’une noce villageoise.
Elle menace aussi la réputation d’un hôte qui n’a pas su prévoir le banquet avec suffisamment de générosité.
Quand on sait l’importance de l’hospitalité en Orient, l’affaire est sérieuse.
Jésus n’a pas grand-chose à disposition pour retourner la situation.
6 jarres.
6, le nombre de l’imperfection.
6 jarres remplies d’une eau destinée à la purification des personnes.
Ce n’était donc pas de l’eau à boire, mais de l’eau pour se laver.
De manière codifiée, elle permettait à quiconque ayant été souillé de reprendre sa place dans la société, de pouvoir à nouveau être en relation avec les autres.
En fait, cette eau permettait de reprendre une vie ordinaire.
Et Jésus va l’utiliser pour injecter de l’extraordinaire dans la fête.
Cette eau, impropre à la consommation va être bue, et quiconque en boira, la trouvera bien meilleure que tout ce qui avait été servi précédemment.
L’eau s’est-elle vraiment transformée en vin ?
Peut-être que oui.
Peut-être que non.
L’important n’est pas dans la réalité de ce fait-là.
Le signe déterminant donné par Jésus, c’est que cette eau a changé d’usage. Elle a été sortie de son rôle ordinaire pour permettre un débordement de joie.
Et c’est là, dans cet extraordinaire débordement de joie du 3ème jour que cet épisode nous rejoint et nous questionne toutes et tous.
Dans le quotidien de nos vies.
Dans ce qu’elles ont d’ordinaire, de banal, de simple. Et il en faut, du banal.
Quel est le vin qui nous manque ? La saveur qui fait défaut ?
Quel est ce déclencheur d’une joie abondante, d’une joie évangélique, à laquelle nous aspirons ?
Un peu plus de vérité ? De justice ? De respect ?
Le pain et l’eau pour chacun ?
La confiance ? La simplicité ?
L’amour ? Le dialogue ?
Quel déclencheur pour libérer une joie authentique en nous et autour de nous ?
Telle est la première interrogation que ce récit nous envoie. Elle en amène immédiatement une seconde.
Si on prend les protagonistes du récit de Cana, auquel ai-je envie de m’identifier et que mettre en œuvre pour lui ressembler ?
Autant le dire d’emblée, le choix n’est pas énorme.
L’écrasante majorité des convives, tout comme le maître de maison, n’a absolument rien remarqué.
J’ai souvent l’impression de faire partie de l’écrasante majorité de celles et ceux qui ne voient pas grand-chose à la réalité ou ne veulent pas la voir.
Mais, à côté d’eux, il y a Marie, porteuse de grâce, d’élan ; qui encourage et stimule les personnes pour leur révéler leur véritable nature.
Jésus qui consent à être transformer, puis à agir et à transformer la réalité des autres.
Les serviteurs qui le secondent.
Les disciples qui se mettent à croire en lui.
À qui est-ce que je ressemble ?
À qui voudrais-je ressembler ?
Des fêtes, des vies qui menacent de passer de la joie à la tristesse, de l’exubérance au drame, de l’élan à la sidération, il y en a tant aujourd’hui.
Quel rôle endosser ?
Quel vin offrir ?
À chacune et chacun d’y penser et d’y répondre. Dans le simple but, simple mais essentiel, d’offrir un excès de joie qui, soyons fous, sortirait le monde de son ordinaire.
Amen
Lecture de Qohélet 9 : 7 à 10
Va, mange ton pain avec plaisir et bois ton vin d'un cœur joyeux, car Dieu a déjà approuvé tes actions. En toute circonstance, mets des vêtements de fête et n'oublie pas de parfumer ton visage. Jouis de la vie avec la femme que tu aimes, chaque jour de la fugitive existence que Dieu t'accorde sous le soleil. C'est là ce qui te revient dans la vie pour la peine que tu prends sous le soleil. Utilise ta force à réaliser tout ce qui se présente à toi. Car il n'y a ni action, ni réflexion, ni savoir ni sagesse là où sont les morts que tu vas rejoindre.
Lecture de Jean 2 : 1 à 11
Or, le troisième jour, il y eut une noce à Cana de Galilée et la mère de Jésus était là. Jésus lui aussi fut invité à la noce ainsi que ses disciples. Comme le vin manquait, la mère de Jésus lui dit : « Ils n'ont pas de vin. » Mais Jésus lui répondit : « Que me veux-tu, femme ? Mon heure n'est pas encore venue. » Sa mère dit aux serviteurs : « Quoi qu'il vous dise, faites-le. » Il y avait là six jarres de pierre destinées aux rites juifs de purification ; elles contenaient chacune de deux à trois mesures. Jésus dit aux serviteurs : « Remplissez d'eau ces jarres » ; et ils les emplirent jusqu'au bord. Jésus leur dit : « Maintenant puisez et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent, et il goûta l'eau devenue vin – il ne savait pas d'où il venait, à la différence des serviteurs qui avaient puisé l'eau –, aussi il s'adresse au marié et lui dit : « Tout le monde offre d'abord le bon vin et, lorsque les convives sont gris, le moins bon ; mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu'à maintenant ! » Tel fut, à Cana de Galilée, le commencement des signes de Jésus. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.