Ce n'était pas le temps des figues... Enracinés en Christ, toutes les saisons sont bonnes à porter du fruit. D'après Marc 11: 12 à 22
Tout commence parce que Jésus a faim… C’est le matin. Probablement n’a-t-il pas mangé grand-chose avant de se mettre en route. Alors, quand il aperçoit de loin un figuier couvert de feuilles, il ne résiste pas et s’en approche dans l’espoir ténu qu’un fruit, ne serait-ce qu’un fruit encore tout petit, calme un brin sa faim.
Si l’arbre est couvert de feuilles, c’est qu’il n’est pas mort, peut-être même pas stérile contrairement à ce que la plupart des traductions bibliques titrent.
Si le figuier est vert de feuilles, c’est que la sève circule. Il y a de la vie en lui ; donc de l’espoir. Mort de faim, Jésus aurait tort de ne pas tenter sa chance.
Cela dit, s’étant approché, il ne trouve pas de fruits…
… C’est que, nous précise alors l’évangéliste, ce n’était pas le temps des figues…
On aurait pu y penser nous-mêmes. Effectivement, nous sommes à l’époque de la Pâque juive puisque Jésus vient d’entrer triomphalement à Jérusalem. Nous sommes donc à fin mars – début avril ; or, les figues ne seront mûres qu’en août ou septembre. Jésus devait le savoir. On aurait dû y penser.
Vu la saison ce n’est donc pas l’absence de fruits, qui est étonnante, mais bien la réaction de Jésus. En tous les cas, sa réaction telle qu’elle est habituellement interprétée, à savoir : une malédiction. Tel un enfant un peu grincheux parce qu’il n’a pas eu ce qu’il voulait, Jésus maudirait le figuier… causant ainsi sa mort. Réalisant alors ce que d’aucuns appellent le seul miracle négatif de tous les évangiles ! Jésus provoquant une mort, celle du figuier.
Cette manière de comprendre l’épisode, d’interpréter l’attitude de Jésus, elle se base sur la réaction de Pierre qui, repassant devant le figuier le lendemain, constatera qu’il est mort. Et de s’écrier : « Rabbi, regarde, le figuier que tu as maudit est tout sec. »
Mais Jésus a-t-il vraiment maudit le figuier ? Je reprends le récit : « Le lendemain, à leur sortie de Béthanie, il (Jésus) eut faim. Voyant de loin un figuier qui avait des feuilles, il alla voir s’il n’y trouverait pas quelque chose. S’étant approché, il ne trouva que des feuilles, car ce n’était pas le temps des figues. S’adressant à lui, il dit : « Que jamais plus personne ne mange de tes fruits ! »
A bien relire, il n’y a pas de formule de malédiction telles qu’on en trouve dans la bible. Quand bien même la dernière parole de Jésus sonne sévèrement. Quand bien même il est difficile de savoir comment l’interpréter. Mais il n’y a pas de malédiction, du style : je vous maudis, malheur à vous, malheureux êtes-vous si…
Alors Si Jésus ne maudit pas le figuier, quel est l’enjeu de ce récit ? à quoi rime son attitude ? Je vous propose quelques éléments de réflexion…
Vous l’imaginez peut-être, dans la Bible, lorsque l’image du figuier est utilisée, c’est rarement pour nous offrir un petit traité de botanique. Le figuier représente toujours plus que lui-même. Il nous fait entrer dans le domaine du symbolique. Et j’aimerais rappeler ici deux significations usuelles quant au rôle du figuier.
Tout d’abord, dans le premier Testament, le figuier et son fruit sont souvent associés à la sécurité et à la paix que Dieu donne ou retire à son peuple. Pouvoir jouir des fruits de son figuier, c’est vivre dans la paix. Du coup, à l’inverse, les oracles qui évoquent la destruction d’un figuier mettent en évidence le côté illusoire ou pour le moins fragile de la sécurité dans laquelle le peuple d’Israël pense vivre.
Et puis, le figuier, c’est aussi un lieu privilégié pour méditer la parole de Dieu. Un lieu de proximité avec cette parole. On trouve une trace de cela dans la rencontre entre Philippe et Nathanaël qui est relatée dans l’évangile de Jean.
Paix… sécurité… proximité avec Dieu…
À l’époque de Jésus, quel est le lieu privilégié à la fois pour être dans la paix et pour être au plus près de la parole de Dieu ? C’est le temple de Jérusalem.
Et comme par hasard, dans l’évangile de Marc, on peine à suivre le récit de la parabole du figuier sans fruits parce qu’elle est rapportée en deux parties avec, au milieu, l’épisode où Jésus chasse les marchands du Temple.
Je parle de hasard. Ce n’en est évidemment pas un.
Cet épisode intercalé où les vendeurs sont chassés du Temple nous offre une clé de lecture tout à fait intéressante pour comprendre la parabole du figuier.
Entrant dans l’enceinte du Temple, Jésus commence par s’en prendre aux changeurs de monnaie et aux marchands de colombes. Ça peut paraître anecdotique. Mais, pour les Juifs, ces fonctions étaient essentielles.
Toute l’économie romaine était basée sur la circulation de pièces de monnaie où figurait l’effigie de César, et parfois aussi celles des divinités païennes.
Pour les Juifs, il était impossible d’utiliser de telles pièces dans l’enceinte du Temple parce que c’était considéré comme impur.
Dans ce sens, le travail des changeurs de monnaie était déterminant. Parce qu’il permettait aux Juifs d’éviter l’usage de pièces impures mais de pouvoir néanmoins monnayer pour des sacrifices.
Pareil pour les marchands de colombes qui permettaient aux pèlerins les plus humbles d’offrir un sacrifice. L’agneau n’étant pas dans les moyens de tout le monde.
La pratique du sacrifice étant religieusement prescrite à l’époque de Jésus. Le fait de dénoncer ceux-là mêmes qui la rendaient possible dans l’enceinte du Temple, signifie que Jésus s’en prend non seulement aux dérives potentielles d’un système (des marchands qui trichent la moindre pour se remplir les poches) mais qu’il attaque le système lui-même.
Il condamne purement et simplement la pratique du sacrifice. Très probablement parce que, à son époque, le désir de sainteté, compréhensible de la part des croyants, s’était transformé en désir de pureté. Avec pour conséquence l’exclusion de tous ceux qui n’étaient pas en règle avec la Loi.
Confondre sainteté et pureté, c’est entrer dans une logique d’exclusion. Et cette logique d’exclusion de certains, sous couvert de religiosité, n’est pas admissible pour Jésus.
Il propose donc de remplacer tout sacrifice par la foi en Dieu. Ce sont les derniers mots du récit lu tout à l’heure. Ayez foi en Dieu.
Jésus révolutionne ainsi l’entier du système de croyance en mettant au centre de la pratique religieuse non pas le marchandage d’une offrande sacrificielle exécutée selon les normes, mais la vie de foi, la relation à Dieu, la prière.
En s’en prenant aux changeurs de monnaie et aux marchands de colombes, Jésus dévoile que le culte sacrificiel est devenu un système fermé au Souffle du Vivant. Un système qui, comme le figuier feuillu, donne l’illusion d’une vie en abondance alors qu’il ne porte pas de fruits.
En disqualifiant le Temple et son commerce, Jésus disqualifie la religiosité qui, sous couvert de rites, empêche de se trouver véritablement face à Dieu.
Il nous invite donc :
- à nous recentrer sur l’essentiel : notre relation vivante à Dieu ;
- à plonger nos racines dans le terreau fertile de l’Évangile. ;
- à nous ouvrir à ce qui rend notre existence fructueuse.
De telle sorte que nous puissions individuellement et communautairement rassasier celles et ceux qui sont autour de nous, quelle que soit la saison, quelles que soient les circonstances.
Parce que si ce récit n’est pas celui de la malédiction d’un figuier, il contient une bonne nouvelle : lorsque nous sommes enracinés en Christ, lorsque nous sommes nourris à la sève de la Parole de Dieu, nous sommes capables de porter du fruit en tout temps parce que toutes les saisons sont bonnes pour ce fruit-là.
Amen