Prédication du 18 août, "La saveur de la parole".

La saveur de la parole

 

Jésus est têtu.

Et son insistance à s’offrir comme nourriture, à se livrer en pâture, résonne étrangement.

 

Qu’est-ce qui le pousse à dire et redire avec tant d’obstination qu’il est le pain de vie qui descend du ciel et qu’il donne sa chair à manger ?

Y serait-il prédestiné sous prétexte qu'il est né à Béthléem, la maison du pain, et qu'à sa naissance il a été déposé dans une mangeoire?

 

Je ne le crois pas. Même si ces coïncidences, qui n’en sont sans doute pas, prêtent à sourire.

 

En fait, j’ai plutôt l’impression que son insistance à offrir sa chair comme pain plaide pour un choix libre, volontaire, assumé. Loin de toute contrainte ou prédestination.

 

Cela dit, dans un cas comme dans l’autre, choix ou destin, ses propos détonnent. Et ils étonnent. Car ils portent en eux quelque chose d’inconcevable : comparer sa propre chair à du pain. Et encourager autrui à manger de ce pain-là.

 

Ces propos ont heurté les auditeurs de l’époque au point qu’ils se disputaient violemment. « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »

 

Peut-être ses propos heurtent-ils aujourd’hui encore. Ou devraient-ils heurter. « Je suis le pain vivant qui descend du ciel… Et le pain que je donnerai, c’est ma chair. » Reconnaissons qu’un tel langage n’est pas facile à appréhender.

 

Si on le lit au premier degré, on a l’impression de flirter avec Bram Stoker, l’auteur de Dracula. Alors que d’un autre côté, plusieurs lectures éminemment symboliques vident les mots de leur contenu. Faisant d’une réalité concrète et tragique une poésie esthétique et paradoxalement désincarnée.

 

Or, entre premier degré et symbolisme pur, il y a un équilibre à trouver dans la lecture des paroles de Jésus et dans leur interprétation. D’autant que celui qui dit « Je suis le pain vivant qui descend du ciel. » est le même qui dira à ses disciples en partageant le pain : « Prenez et mangez, ceci est mon corps. »

 

Vous le savez peut-être, lors des repas de fête à l’époque de Jésus, il était coutumier de commencer en partageant le pain et de terminer en partageant une coupe de vin. C’étaient les 2 moments forts qui rythmaient la fête. Qui l’encadraient.

 

En parlant comme il le fait, Jésus s’inscrit donc dans une tradition. Dans un rite connu.

 

Mais il lui donne une signification nouvelle. Je dirais même qu’il le subvertit, ce rite, en affirmant que son corps est le pain ; comme plus tard il complètera en disant que son sang est le vin.

 

Je comprends que cela ait fait scandale à l’époque. Que ça ait provoqué des remous, des controverses. Il n’y a rien de simple, et encore moins de simpliste dans ces mots.

 

Quand on veut les rendre directement compréhensibles, on avance que Jésus annonce ainsi sa passion. C’est vrai. Et nous en faisons mémoire dans cette cathédrale chaque dimanche ou presque.

 

Mais je crois aussi qu’avec ces mots, Jésus dit encore autre chose. Qu’il aborde une autre réalité.

 

À la manière d’Ézéchiel.

 

Lorsque Dieu donne mission à Ézéchiel de s’adresser à son peuple, il lui dit : « Fils d’homme, nourris-toi et remplis tes entrailles de ce rouleau que je te donne. » Puis : « Fils d’homme, va ; rends-toi auprès de la maison d’Israël et parle-leur avec mes paroles. »

 

Pour transmettre les paroles de Dieu au peuple, Ézéchiel doit littéralement les manger. Et c’est un motif que l’on trouve à plusieurs reprises dans la bible. Avec d’autres que lui.

 

Les paroles de Dieu à transmettre, il faut les ingérer.

Les incorporer.

Les mâcher.

Les intérioriser.

En apprécier toute la saveur : elles sont parfois douces en bouche mais amères aux entrailles selon l’expression biblique.

Il faut les digérer.

Ensuite, les restituer.

 

Qu’est-ce que cela nous dit ?

 

Que la parole de Dieu ne saurait se seriner comme un refrain appris par cœur, répété comme une ritournelle, et dont on oublierait, au final, le sens.

 

La parole de Dieu se partage non par cœur, mais par corps et par tête. Dans un élan où sont convoquées conjointement les émotions et la raison. La tradition et sa nécessaire évolution pour rester parlante de génération en génération.

 

N’est-ce pas ainsi que Jésus s’est attaché à vivre ? Respectant, pratiquant les rites de sa tradition, sans pour autant s’y limiter. Il aimait se retirer pour prier. Et quand il prenait la parole, dans une synagogue pour commenter les écritures, son interprétation donnait matière à discussion. C’est une manière polie de le dire.

 

À sa manière, il mangeait les paroles de Dieu. Il les savourait. Les digérait. Les repartageait en convoquant sa tête, son cœur, ses tripes.

 

Jésus était pleinement de son temps. Il était dans son temps, dans sa culture… tout en ouvrant, déjà, une ère nouvelle et une spiritualité revisitée.

 

Dieu a demandé à Ezéchiel de manger le rouleau de ses paroles avant de les transmettre au peuple. Pour qu’il en soit imprégné. Pour qu’il les savoure, les mâche, les digère avant de les asséner.

 

En s’offrant à nous comme un pain vivant, Jésus nous appelle sans doute à cette même démarche.

 

Alors, je nous y encourage. Recevons-le comme un cadeau en bouche.

 

Mangeons, mâchons, méditons, digérons, transmettons ses paroles. Et non seulement ses paroles, mais aussi sa vie, sa manière d’être, son courage, sa liberté, son amour, son attention constante aux autres.

 

Laissons-nous imprégner par sa personne, par son exemple.

 

Demeurons malléables, perméables, aux effets de sa parole et de sa vie en nous.

Car je ne peux pas croire qu’en le mangeant, rien ne change en nous. Tout comme je suis persuadée qu’il touche chacune et chacun de nous de manière tout à fait particulière et unique. Et que chacun peut en rendre compte de manière tout à fait particulière et unique.

 

Goûtons donc à ce pain vivant descendu du ciel. Prenons la mesure de ce qu’il transforme au plus profond de nous-mêmes. Témoignons de notre métamorphose.

 

« Je suis le pain vivant qui descend du ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité. Et le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. »

 

Avec ces mots, Jésus ne se contente pas d’annoncer sa passion. Il nous avertit de ce qui nous attend, de ce qu’il attend de nous, si nous goûtons à lui.

 

Une vie en plénitude. Pour l’éternité.

La construction d’un monde humain. Pour que le monde ait la vie.

 

Avec Jésus le Christ, pain vivant, c’est l’essentiel qui nous est proposé.

 

Retournons donc à l’essentiel.

 

Cessons de cacher, de gâcher, cet essentiel à coup de couches de beurre et de confiture de quelque sorte que ce soit.

 

Jésus, pain donné, nous constitue comme humain et comme peuple des croyants.

 

De même que la cène à laquelle nous participerons tout à l’heure ne satisfait pas la faim, mais ouvre l’appétit.

 

Que le Christ, pain de vie, nous stimule et nous mette en route.

 

Le monde a besoin d’amour, de justice, de liberté, d’espoir. Autant de valeurs pleinement incarnées en Jésus. Qui ne demandent qu’à être réincarnées en chacune et chacun.

 

Amen

 

  • Lecture d’ézéchiel 2 : 8 à 3 : 4

Dieu s’adresse à Ézéchiel et lui dit :

« Fils d’homme, écoute ce que je te dis : ne sois pas rebelle, comme cette engeance de rebelles ; ouvre bouche et mange ce que je vais te donner. »

Je regardai : une main était tendue vers moi, tenant un livre enroulé. Elle le déploya devant moi ; il était écrit des deux côtés ; on y avait écrit des plaintes, des gémissements, des cris.

Il me dit : « Fils d’homme, mange-le, mange ce rouleau ; ensuite, tu iras parler à la maison d’Israël. »

J’ouvris la bouche et il me fit manger ce rouleau.

Il me dit : « Fils d’homme, nourris-toi et remplis tes entrailles de ce rouleau que je te donne. »

Je le mangeai : il fut dans ma bouche d’une douceur de miel.

Il me dit : « Fils d’homme, va ; rends-toi auprès de la maison d’Israël et parle-leur avec mes paroles. »

 

  • Lecture de Jean 6 : 51 à 58

« Je suis le pain vivant qui descend du ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité. Et le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. »

Entendant cela, les Juifs se mirent à discuter violemment entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »

Jésus leur dit alors : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas en vous la vie. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraie nourriture, et mon sang vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. Et comme le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mangera vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il est bien différent que celui que vos pères ont mangé ; ils sont morts, eux, mais celui qui mangera du pain que voici vivra pour l’éternité. »