« C’est moi le SEIGNEUR, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte…Tu n’auras pas d’autres dieux face à moi. Tu ne te feras pas d’idole, ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel … sur terre ou dans les eaux. »
Cet interdit, il est tellement intégré dans notre tradition, dans notre système de croyance, qu’on ne le questionne plus. C’est un acquis.
Et pourtant, ce culte exclusif que réclame le Dieu d’Israël, cumulé avec l’interdiction de le représenter, c’est une nouveauté absolue parmi toutes les religions connues dans le Proche-Orient antique où le recours à plusieurs dieux dûment représentés était une évidence.
Comment comprendre ce double interdit si original ? De plusieurs manières, sans doute. J’en évoque deux.
Tout d’abord, il traduit, une certaine jalousie de la part de Dieu. Une jalousie qui est régulièrement explicitée dans la Bible lorsqu’il est question d’idoles et d’idolâtrie. Autrement dit, lorsqu’il est question d’un culte qui est rendu à une image de Dieu comme si cette image était Dieu lui-même.
Dieu voit donc un risque à se laisser enfermer dans une image. C’est le risque que la relation, qu’il veut vivante avec chacune et chacun, soit sclérosée par des images, des stéréotypes figés.
Et puis, deuxième point qui explique l’interdit de l’image. Si la tradition biblique l’a si bien intégré cette interdiction de représenter Dieu, c’est probablement aussi parce que les humains, parce que nous avons une forte propension à nous fabriquer des dieux à notre image.
Nous cédons régulièrement à la tentation de nous construire un dieu sur mesure, qui nous ressemble, qui réponde à nos besoins. Un dieu à notre botte, en quelque sorte.
Or, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Le Dieu de Moïse. Le Dieu de Jésus-Christ est non seulement un Dieu qui cherche à tisser une relation vivante, donc mouvante, émouvante, avec nous. Il est aussi le Dieu Tout-Autre.
Il ne se laisse pas enfermer dans nos représentations.
Il ne se lasse pas de nous surprendre.
Jusqu’à dévoiler un chemin là où il n’y en a pas, pour paraphraser Martin Luther King.
Jusqu’à susciter la vie au creux même de la mort.
Vu sous cet angle, il faut être sot pour vouloir le contenir dans nos représentations. Il peut tellement plus…
Cela dit, la situation du peuple des Hébreux est complexe. Et je ne me risquerais pas à affirmer que j’aurais agi différemment.
Après la libération du joug égyptien, le peuple connaît l’errance. L’errance est sans doute propre à toute apprentissage de la liberté, ça ne veut pas encore dire que c’est aisé.
Le peuple découvre aussi la difficulté du chemin, dans le désert.
Et voilà, qu’en plus, Moïse s’est absenté sur la montagne pour parlementer avec Dieu. Et qu’il tarde à redescendre. Cela fait déjà quarante jours et quarante nuits.
40, un chiffre que l’on retrouve de nombreuses fois dans la Bible et, de ce fait, il nous emmène au-delà d’une compréhension au 1er degré.
Parce que toujours dans la Bible, quand un chiffre se répète, c’est qu’il n’est pas là pour nous renseigner sur une durée temporelle précise mais qu’il est à comprendre symboliquement et qu’il nous invite à réfléchir à ce qui est en train de se passer durant un laps de temps qui, au final, compte peu.
Il y a bien sûr les 40 ans dans le désert avec à l’intérieur de ces 40 ans, les 40 jours de Moïse sur la montagne pour recevoir de Dieu les dix Paroles. Symbole d’un nouveau mode de relation à Dieu et aux autres.
Mais pensez aussi aux 40 jours du déluge pour Noé. Qui débouchent sur la nouvelle alliance.
Pensez encore aux 40 jours de marche d’Élie lorsqu’il est totalement désespéré, prêt à mourir. Elie qui est patiemment remis en marche, avant de rencontrer Dieu sur l’Horeb et de trouver dans sa présence sensible, la force de continuer à vivre.
Pensez enfin aux 40 jours que Jésus passe dans le désert à lutter contre des tentations.
Dans les faits, chacun de ces épisodes, chacune de ces durées, révèle un processus de transformation, un changement de paradigme. Les acteurs en jeu se découvrent une sorte de nouvelle identité qui débouche, à la fin, sur un nouveau type de relation à Dieu et aux autres.
Et nous sommes au cœur de cela, avec l’épisode du veau d’or. Au cœur de la question de l’alliance entre Dieu et son peuple et de leur relation nouvelle qui, je le répète, est tout à fait inédite dans le contexte de l’époque.
En cédant à la tentation du veau d’or, au moment de la construction de cette nouvelle relation, le peuple met Dieu dans une colère terrible.
À tel point que Dieu agit désormais comme si ce n’était plus son peuple. Comme si ce n’était pas lui qui l’avait fait sortir d’Égypte. Il veut même le supprimer. Je relis ce qu’il dit à Moïse : « Descends, car ton peuple s’est corrompu, ce peuple que tu as fait monter du pays d’Égypte… ils se sont fait une statue de veau, ils se sont prosternés devant elle… je vais les supprimer… »
Moïse calme Dieu. Qui se ravise. Il ne supprimera pas son peuple.
Personne n’est là pour calmer Moïse lorsque, de ses yeux, il voit le veau d’or et le peuple se prosterner devant lui.
D’un geste de colère, il détruit les tables de la loi qui symbolisaient la promesse d’une nouvelle relation à Dieu. La promesse d’un vivre-ensemble harmonieux.
Alors, qu’est-ce qui se joue dans ce veau d’or pour que cela suscite des réactions si violentes et de la part Dieu et de la part de Moïse ?
Rien moins que l’asservissement des humains. Et l’illusion que l’argent fait le bonheur.
Pour la réalisation du veau d’or, chacun s’est défait de ses bijoux. Qui ont été fondus, tous ensemble, pour en faire un simulacre de Dieu, une idole.
Et le peuple de danser, de fêter et de clamer que c’est lui, le véritable libérateur.
Autrement dit, dans cette exaltation manifeste du peuple, le véritable libérateur n’est rien d’autre que ses propres biens, ses richesses. Que les hommes ont ramassées, concentrées. Qu’ils ont façonnées. Et que désormais, ils vénèrent !...
… Toute ressemblance avec quelque situation que ce soit, au loin ou au près, est évidemment fortuite et involontaire…
Le peuple, aveuglé, danse.
Dieu, lui, sait que cette concentration de richesses en forme de tête de veau n’offrira aucune liberté au peuple. Au contraire, elle générera des inégalités, des fractures sociales, du mercantilisme, la chasse au “toujours plus“ et j’en passe.
Alors que les tables de la charte, les tables de la loi, sont le socle pour un vivre ensemble harmonieux, pour un partage équitable des biens de la terre et une juste répartition des richesses.
Tout un programme en ce week-end du Jeûne où nous sommes invités à repenser l’essentiel et à le distinguer du superflu.
Amen