Jésus apporte la division, la séparation sur la terre, pour que chacun trouve sa juste place dans le monde et vis-à-vis de Dieu. D'après Luc 12, 49 à 53
« Pensez-vous que ce soit la paix que je suis venu mettre sur la terre ? »
Et bien pour être honnête, si j’avais été dans la foule lorsque Jésus a posé la question, j’aurais répondu « oui ».
Sans l’ombre d’une hésitation. Parce que, à l’époque, il y en a de plus en plus qui susurrent que ce Jésus pourrait être le Messie espéré. Or, du Messie, on attend des bouleversements éclatants dans la marche du monde. Alors oui, espérer la paix, en période d’occupation romaine ; en appeler à la miséricorde divine pour vivre une nouvelle libération en écho à celle d’Égypte, ça n’est ni étonnant ni naïf.
Et puis, sa renommée à Jésus, elle commence à être impressionnante. Les foules se déplacent à son passage pour le voir, l’entendre, le toucher, lui demander un conseil, une guérison… et ça marche !
Alors oui, j’attends de lui la paix ! Je l’aurais dit à l’époque.
Aujourd’hui, avec le recul, j’ajouterais que Jésus n’a jamais légitimé la violence et qu’il n’a eu que de très rares mouvements de colère.
L’essentiel de son ministère se décline sur fond de bonté, d’amour, de service, de générosité, d’attention au plus petit que soi. Alors, même si son attitude et sa liberté de pensée révolutionnaires pour l’époque en ont choqué plus d’un, la paix fait partie de ce qu’il a manifesté concrètement.
La paix, il l’a aussi prêchée. « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ». « Aimez vos ennemis ».« Heureux ceux qui font œuvre de paix, ils seront appelés fils de Dieu ».
D’une certaine manière, ou pourrait dire de Jésus qu’incarne la paix. Et pourtant… Pourtant, quand on met côte à côte les deux récits que nous venons de réentendre, on pourrait avoir l’impression que ce n’est pas le même Jésus qui parle.
Les mots relatés dans l’évangile de Luc sont tellement abrupts, tranchants, perturbants.
Ils sont néanmoins de Jésus qui, a priori, les a assumés, au même titre que toutes ses autres paroles.
C’est dire que, même s’il est dérangeant, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur ce bref passage. Reste à savoir ce que nous pouvons en retirer pour nous.
« Pensez-vous que ce soit la paix que je suis venu mettre sur la terre ? Non, je vous le dis, mais plutôt la division.
Car désormais, s’il y a cinq personnes dans une maison, elles seront divisées : trois contre deux et deux contre trois.
On se divisera père contre fils et fils contre père, mère contre fille et fille contre mère, belle-mère contre belle-fille et belle-fille contre belle-mère. »
Ces mots, ils résonnent un peu comme une double peine.
Non seulement Jésus affirme être venu sur terre pour apporter la division, ce qui n’est, petite parenthèse, pas sans rappeler la prophétie de Syméon « Il est là pour la chute ou le relèvement de beaucoup en Israël et pour être un signe contesté. » Fin de la parenthèse.
Mais en plus, il s’en prend à la famille qui est supposée nous être chère…
… Jésus prêcherait-il un évangile de la discorde ? Peut-être…
… Mais je doute qu’il ait fallu l’attendre pour que des fils s’élèvent contre leur père et des mères contre leurs filles.
C qu’il est intéressant de noter, c’est que les traductions de ces quelques mots ne sont pas unanimes. Et que là où Luc évoque la division, Matthieu parle de l’épée ou du glaive.
Parler de division en opposition à la paix, comme le fait Luc, donne l’impression que la division est le contraire de la paix. Et c’est, je crois, ce qui nous piège dans la compréhension du récit.
Cette notion de division ne saurait en aucun cas légitimer ce qui est contraire à la paix, par exemple une guerre fût-elle sainte, un quelconque djihad ou n’importe quelle autre croisade. Non.
Par contre, la division a en commun avec l’épée et le glaive le fait de marquer une séparation. Et ça, c’est déterminant.
Vous le savez peut-être, en hébreu biblique, on ne dit pas d’un mariage qu’il est scellé, mais qu’il est tranché. Se marier, c’est trancher une alliance avec quelqu’un.
Et symboliquement, l’alliance elle est coupée, elle est tranchée, par un couteau. Ce qui signifie, contre toute attente, qu’elle est solide, parce qu’il s’agit alors d’une union, d’une fusion sans confusion.
Une fusion qui appelle et permet l’autonomie, voire l’indépendance, de chacun des membres du couple parce que deux personnes qui s’unissent ont certes des points communs, des aspirations communes ; mais cela n’efface pas pour autant leur identité propre.
Il y a quelque chose de sain, voire même de vital, dans la séparation.
Les grands récits de la création du monde, évoquent toujours la création par séparations successives : la lumière d’avec les ténèbres, le firmament du sol, la terre de l’eau, etc…
Notre naissance, elle-même, résulte de la séparation d’avec le corps de notre mère et la coupure du cordon ombilical.
La séparation est vitale au sens premier du terme. Elle est bonne. Et je pense que c’est ainsi que Jésus nous appelle à entendre les mots si dérangeants qu’il a prononcés car je ne crois pas qu’il avait pour volonté de semer le petchi dans les familles.
Par contre, en insistant sur la séparation, sur la distinction du père et du fils, de la fille avec sa mère et même sa belle-mère, Jésus encourage ses contemporains, à oser être libres dans leur foi. À devenir des croyants adultes et responsables.
Bien avant tous les discours psys, Jésus plaide pour que nous osions nous débarrasser de ce qui nous formate ou nous paralyse, nous empêchant dans la foulée, d’avoir notre propre relation avec Dieu.
Courageux, de sa part. Surtout qu’à l’époque et sous son impulsion, une véritable révolution a lieu qui divise les générations et secoue les familles. Entre celles qui le confessent comme le Messie et celles qui demeurent fidèles à la loi de Moïse et aux prophètes.
En proposant la liberté d’esprit et l’affranchissement personnel dans la foi, Jésus secoue le judaïsme de son époque tout comme les réformateurs ont secoué le christianisme à la leur.
Par ses paroles tranchantes, Jésus nous invite à ne pas calquer notre foi par habitude ou facilité sur celle de nos parents. Il nous encourage à entrer dans cette relation unique que Dieu veut construire avec chacune et chacun ; une relation qui se tisse au travers de nos certitudes, de nos doutes, de nos interrogations, de l’expression de ce qui nous dérange ou nous choque.
En Jésus-Christ, Dieu devient notre Père. Comme tout “bon père“, il n’espère pas que nous soyons ses miniatures, ses copies conformes en plus petits. Mais des individus qui engagent avec lui une relation responsable et exigeante.
Des individus qui prennent sa parole suffisamment au sérieux pour ne jamais prétendre en avoir fait le tour et se laisser jour après jour surprendre par elle.
Jésus apporte la division, la séparation sur la terre, pour que chacun trouve sa juste place dans le monde et vis-à-vis de Dieu.
En dépit des apparences, voici assurément une bonne nouvelle !