Prédication du 13 octobre, Des soifs à étancher

 

Jésus et la Samaritaine 1/2

« Des soifs à étancher »

 

Vous vous souvenez de Jean-Claude Dusse, personnage interprété par Michel Blanc dans « Les bronzés font du ski » ?

Il a cette réplique devenue culte :

 

«Écoute Bernard, j’crois que toi et moi, on a un peu le même problème. C’est-à-dire qu’on peut pas vraiment tout miser sur notre physique, surtout toi. Alors si je peux me permettre de te donner un conseil, c’est oublie que t’as aucune chance, vas-y, fonce! On sait jamais, sur un malentendu, ça peut marcher!»

 

« On sait jamais, sur un malentendu, ça peut marcher!» Voilà qui pourrait résumer la rencontre entre Jésus et la Samaritaine.

 

Jésus n’était certes pas sur un « plan drague ». Et il ne demandait pas non plus les conseils d’un quelconque Dom Juan, fût-ce le regretté Michel Blanc.

 

Mais c’est tout de même amusant de se souvenir qu’à son époque, et depuis longtemps déjà, le puits était le lieu par excellence des rencontres les plus improbables ; mais c’était là aussi que la plupart des mariages se préparaient dans la plus grande des traditions.

 

Donc, à l’époque de Jésus, quand on était appuyé sur la margelle d’un puits, on était symboliquement adossé à la tradition qui nous avait vu naître et simultanément prêt à la plus improbable des rencontres.

 

Et c’est bien ce qui s’est passé ce jour-là.

Une rencontre à tel point improbable, que nul n’aurait pu la prédire. Pour toutes sortes de raisons.

 

Les Samaritains et les Juifs ne peuvent pas s’encaisser. Et ça remonte à loin.

 

Probablement au moment où Israël se divise entre un royaume du nord et un royaume du sud au 10ème siècle avant notre ère.

Mais le facteur déterminant a lieu au 6ème siècle avant notre ère, lorsque les Samaritains construisent un temple sur le mont Garizim…

… Ça sonne comme un désaveu, comme une concurrence inadmissible, pour le temple de Jérusalem.

Les uns et les autres se vouent désormais une solide haine mutuelle.

 

Et puis, à l’époque de Jésus toujours, une femme n’a pas le droit -c’est dans la loi- elle n’a pas le droit de parler seule, en tête à tête, avec un rabbi.

 

Quant à la probabilité pour que l’une et l’autre se retrouvent, en plein midi, à crier leur soif respective autour d’un puits, elle était quasi nulle. Personne ne va chercher de l’eau lorsque le soleil est au plus haut et tape si fort.

 

Avec toutes ces improbabilités, on ne s’étonnera peut-être qu’à moitié que le dialogue débute, en plus, sur un malentendu. Un quiproquo à propos de l’eau.

 

Mais en même temps, le quiproquo, c’est le grand drame de Dieu. On le prend si souvent pour un autre… Jésus en sait quelque chose !

 

Ce que je retiens, à ce stade, c’est qu’il n’a fallu qu’une seule condition pour que la rencontre ait lieu : l’une, la Samaritaine, et l’autre, Jésus, ont fait ce qui ne se faisait pas.

 

La transgression est au cœur de cette rencontre.

C’est bon de s’en souvenir, même si dans l’Église, on n’aime pas la transgression. En l’occurrence, elle s’avère, elle seule, tisseuse de lien. Porteuse de vie.

 

Vous le savez, on ne fait jamais le tour d’un texte sacré. C’est pour cela qu’il est vivant. Parce qu’il n’a jamais fini de livrer sa signification. Il ne cesse de nous étonner et de nous mettre en route. Jour après jour. Génération après génération. J’ai malgré tout parfois l’impression qu’on a quand même bientôt tout dit sur cette rencontre.

 

Alors ce matin, j’aimerais simplement, par petites touches, vous inviter à entrer dans cette histoire, à faire vôtre cette rencontre, pour prendre la mesure dont chacune de vos vies pourrait en être abreuvée.

 

Au début du récit, nous apprenons que Jésus quitte la Judée pour regagner la Galilée.

Ça en fait une trotte. À pied, c’est long.

 

Mais ça, ce n’est pas ce qui effraie Jésus. Il était comme ça.

Là où on aurait eu crainte, là où on aurait anticipé pour se ménager, lui il fonce sans se poser de questions.

Inconscience ou confiance inaltérable en Dieu et en la vie, je ne saurais dire. 

 

Quoi qu’il en soit, pour aller de son point de départ à son point d’arrivée, Jésus, doit traverser la Samarie s’il veut faire au plus court. Ce qui revient à passer en terre ennemie.

 

Mais ça non plus, ça n’est pas ce qui effraie Jésus. Tant il s’attelle, encore et toujours, à ébriquer les murs que les traditions, les cultures, les religions veulent dresser entre les uns et les autres.

 

Jésus a la curiosité de l’autre chevillée au corps. On ne le refait pas.

La Samarie est sur son chemin ? Il s’y engage.

 

N’empêche.

On aurait pu imaginer que le passage par cette contrée le blinde d’une armure à toute épreuve contre toute rencontre.

 

On aurait pu imaginer qu’il y passe au galop. Évitant toute halte.

 

On aurait pu imaginer mille-et-un scenarii sauf celui où le maître, le héros, celui qui sait tant de choses, celui qui peut tant de choses s’arrête parce qu’il n’en peut plus.

 

Au point de laisser ses disciples aller chercher, seuls, de quoi les ravitailler pendant que lui se pose, se repose.

 

C’est un Jésus fatigué qui s’adosse à la margelle du puits. Déshydraté. À bout de souffle. En quête d’eau. En quête d’un miracle qui lui redonne vie, élan, énergie.

 

Cette femme qui arrive, c’est son aubaine. Sa planche de salut.

 

Il la regarde s’approcher. Il est tout en retenue. Tout en modestie.

 

Lui, le maître, ne commence pas par lui faire la morale.

Lui, le Juif, ne commence pas par régler les contentieux religieux.

 

Lui, un homme, commence par dire sa soif et son incapacité à se désaltérer. C‘est qu’il voyage léger. Il n’a ni cruche ni corde.

 

Il a besoin d’elle. C’est ce qu’il lui avoue humblement. Dans une supplique. « Donne-moi à boire. »

 

Elle ne s’y attendait probablement pas. Son esprit de répartie lui permet de répliquer « Comment ? Toi qui es Juif, tu : me demandes à boire, à moi, une femme, une Samaritaine ? »

 

Puis, quand il évoque l’eau vive, elle réplique au-delà de toute convenance. :

« Seigneur, tu n'as pas même un seau et le puits est profond ; d'où la tiens-tu donc, cette eau vive ?

 

C’est le monde à l’envers. Mais, peut-être, le monde à l’envers est-il le seul monde vivable. Le seul capable de charité.

 

Ce qui est sûr, c’est que Jésus a dit sa soif. Cela permet à la femme de dire la sienne ; d’un tout autre ordre.

 

Sa soif, à elle, c’est une soif de reconnaissance, de non-jugement, d’absence de critiques. La soif de celle qui voudrait se rendre au puits en même temps que toutes les autres, et participer aux discussions, sans craindre les ragots et les jugements à l’emporte-pièce.

 

Encouragée, légitimée par Jésus qui évoque sa vie en toute simplicité, alors que tant d’autres y voient le signe d’une vie dissolue, voilà la Samaritaine qui quitte le monde de ses seuls besoins pour s’ouvrir à celui de ses désirs.

 

Devant Jésus, elle n’est plus objet de jugement, mais sujet d’étonnement. C’est l’eau vive qui désormais coule en elle.

 

Alors, quand je la vois, elle.

Quand je le vois, lui.

 

Je me dis qu’effectivement, « sur un malentendu, ça peut marcher ».

 

Et je me plais à m’imaginer sur la margelle du puits.

 

Je me demande quels sont les territoires de ma vie qui, pour d’autres, sont des territoires ennemis.

 

Je me demande quelles sont mes soifs. Où je puise pour les abreuver.

 

Je me demande quelles sont les soifs de ceux que je rencontre. Et s’ils osent s’en ouvrir à moi.

 

Je me demande où trouver cette confiance inaltérable en Dieu qui me permet d’aller où il est juste que je me rende, sans crainte et sans peur ?

 

Je me demande comment rester attentive jour après jour à l’éclat divin dans le visage de celles et ceux que je croise.

 

Et quand je prends le temps de relire l’histoire de ma relation avec Dieu, je me dis que, de lui à moi, sur un malentendu, tant de miracles ont déjà eu lieu…

 

  • Lecture de Jean 4 : 1 à 15

Quand Jésus apprit que les Pharisiens avaient entendu dire qu'il faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean, – à vrai dire, Jésus lui-même ne baptisait pas, mais ses disciples – il quitta la Judée et regagna la Galilée. Or il lui fallait traverser la Samarie. C'est ainsi qu'il parvint dans une ville de Samarie appelée Sychar, non loin de la terre donnée par Jacob à son fils Joseph, là même où se trouve le puits de Jacob. Fatigué du chemin, Jésus était assis tout simplement au bord du puits. C'était environ la sixième heure. Arrive une femme de Samarie pour puiser de l'eau. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. » Ses disciples, en effet, étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger. Mais cette femme, cette Samaritaine, lui dit : « Comment ? Toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une femme, une Samaritaine ? » Les Juifs, en effet, ne veulent rien avoir de commun avec les Samaritains. Jésus lui répondit : « Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c'est toi qui aurais demandé et il t'aurait donné de l'eau vive. » La femme lui dit : « Seigneur, tu n'as pas même un seau et le puits est profond ; d'où la tiens-tu donc, cette eau vive ? Serais-tu plus grand, toi, que notre père Jacob qui nous a donné le puits et qui, lui-même, y a bu ainsi que ses fils et ses bêtes ? » Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau-ci aura encore soif ; mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif ; au contraire, l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissant en vie éternelle. » La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi cette eau pour que je n'aie plus soif et que je n'aie plus à venir puiser ici. »