Lorsque la joie se décline comme un choix de vie.
D'après 2 Samuel 6 et Luc 1: 26 à 31
C’est toujours un peu compliqué quand on est parachuté dans une histoire que l’on connaît mais que l’on n’a pas relue récemment. Parce qu’on pense se souvenir de l’essentiel. Et voilà que tout à coup, on réalise qu’on n’est plus sûr de bien savoir où on en est. Plus sûr de bien savoir ce qui s’est déjà passé et ce qui est encore à venir.
Je dois vous avouer qu’en relisant cet épisode de 2 Samuel, j’ai eu un peu la même impression avec David.
Aussi, même si vous avez meilleure mémoire que moi, je me propose de rembobiner son histoire pour clarifier là où nous en sommes.
David, on le connaît d’abord comme le petit dernier d’une grande famille, la souche de Jessé, comme on le chante durant ce temps de l’Avent. Il est berger et poète à son heure.
C’est grâce à Samuel qu’il fait la connaissance de Saül, le premier roi des Hébreux. Et qu’il est embauché pour travailler à sa cour. Son boulot est simple : quand un mauvais esprit tourmente Saül, qu’il n’a pas le moral ou qu’il est angoissé, David chante en s’accompagnant d’une lyre. Et cela a pour effet de calmer le roi.
David, on s’en souvient tous, est celui qui va combattre Goliath, le géant, offrant ainsi la victoire à son peuple contre les Philistins.
Et puis, plus personnellement, il se prend d’amitié pour Jonathan, le fils de Saül. Avant d’épouser Mikal, la plus jeune fille du roi.
Au début de leur relation, Saül aime bien David. Mais il se découvre aussi terriblement jaloux. Jaloux de sa réussite et de l’engouement qu’il génère autour de lui. Si bien qu’à plusieurs reprises, il lui tend des pièges en espérant le voir mourir tout en gardant les mains propres.
À la mort de Saül, David devient roi de Juda, puis de tout Israël. À ce moment-là, il fait de Jérusalem sa capitale. Et c’est là qu’on le retrouve.
Pour asseoir son autorité, mais aussi pour rendre grâce à Dieu, David s’en va chercher l’arche de l’alliance pour la rapatrier dans sa capitale.
Sur le chemin du retour, il a le cœur et le corps en liesse. Il sautille, il danse. La foule qui est avec lui pousse des cris de joie. C’est donc un cortège très joyeux qui fait route.
En arrivant à Jérusalem, tout en continuant de manifester sa joie, David s’acquitte de ses fonctions cérémonielles : il installe l’arche, il fait des offrandes et des sacrifices, il bénit le peuple et distribue à chacun des mets succulents.
Je trouve que c’est beau de voir la joie de ce berger devenu roi. C’est beau, aussi, de le voir partager ce qu’il a.
Au milieu de cette fête, il y a pourtant un point sombre, c’est Mikal.
Mikal qui n’a pas fait le déplacement avec son époux pour aller chercher l’arche. À Jérusalem, elle est là, elle l’attend. Mais elle se tient à distance manifestant son désir ou son besoin d’être séparée du peuple. Du coup, c’est de sa fenêtre, en spectatrice critique, qu’elle regarde le cortège arriver et cette débauche de joie. Voyant David danser, elle va jusqu’à manifester du mépris jugeant son comportement indigne de son rang.
Mikal, David, 2 attitudes radicalement opposées. Ils ont pourtant fait face ensemble à de nombreuses adversités. Notamment leur deuil commun à la mort de Saül et de Jonathan.
Ici, plus rien ne les unit. L’un est acteur, l’autre spectatrice. L’un exulte, l’autre se renferme. Comme c’est le lot de nombreux couples, ils donnent l’impression de vivre dans deux mondes qui ne peuvent plus se rencontrer.
En refusant d’entrer dans la danse, Mikal, non seulement s’exclut de la fête mais elle s’exclut aussi de l’alliance entre Dieu et son peuple.
Il y a quelque chose de difficilement compréhensible dans son comportement. Elle est la seule rescapée de sa famille de sang. Elle a de beaux jours devant elle. Un avenir avec David. Et là voilà qui reste enferrée dans des prérogatives paternelles et royales qui n’existent plus. Comme si elle préférait, ou n’avait pas d’autre choix que de se réfugier dans ce passé plutôt que d’apprécier le présent et de se projeter dans l’avenir ; le construire.
C’est étrange de la voir ainsi tournée vers hier. Et nous aurions vite fait de condamner son attitude.
Pour autant, gardons-nous d’un jugement trop rapide. N’agissons pas comme elle… ne la regardons pas à distance, de manière critique, du coin de notre fenêtre en pensant que nous aurions fait mieux.
Entrer dans la danse n’a rien d’évident. Surtout lorsque ce n’est pas nous qui donnons le tempo et le pas.
Dans nos existences, combien de moments où nous sommes tentés de nous couper des autres, de regarder le monde de manière critique, hautaine ou simplement désabusée ? Regarder le monde comme si nous n’en faisions pas vraiment partie ?
Dans nos communautés, combien de regrets face à ce qui n’est plus ; et si peu d’enthousiasme pour ce qui pourrait advenir.
Pourtant je le crois, comme David, nous sommes sous le signe de la bénédiction de Dieu et nous ne devrions jamais écarter de nos vies la joie et la fête offertes par sa présence.
Nos journées devraient être, tout entières, célébration de cette joie. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de tristesse Mais que, béni.e.s par Dieu, nous avons tout pour puiser à l’essentiel afin de ne jamais céder au désespoir.
Mikal n’est pas entrée dans la danse. Elle s’est recluse dans un passé moribond. Le récit se termine par la précision qu’elle est demeurée stérile jusqu’à sa mort. C’est la dernière fois qu’on entend parler d’elle. C’est dur !
Quelque 1000 ans plus tard, une autre femme se tient près de la fenêtre. Elle ne regarde pas le monde à distance. Elle est assise ; elle lit les Écritures.
Et voici que dans sa quiétude surgit un envoyé de Dieu qui lui annonce l’inconcevable : elle va enfanter un fils.
Et de précéder cette annonce d’une injonction : « Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu, le Seigneur est avec toi. »
La joie claque ici comme un ordre, alors qu’objectivement Marie a de quoi flipper ! Enceinte, sans être mariée, elle est passible de lapidation. Dans un élan du cœur, elle consent pourtant et à Dieu et à la joie.
Cette joie qui s’ordonne, ça m’interpelle. Parce que ça en fait plus qu’une simple émotion. Ça laisse entendre que la joie se décrète. Qu’elle se décline comme un choix de vie. Non pas de manière béate, mais de façon consciente. Faire de la joie un objectif.
Cela me fait penser l’histoire de ce vieil indien qui initiait son petit-fils au sujet de la vie en lui expliquant : « Il y a une lutte qui est en cours à l’intérieur de moi, c’est une lutte terrible entre deux loups.
L’un est plein d’envie, de colère, d’arrogance, de ressentiment, de supériorité, de fausse fierté.
L’autre est bon, il est paisible, heureux, serein, humble, généreux, vrai, rempli de compassion.
Cette lutte a aussi lieu en toi, mon enfant comme en chaque personne. »
Le petit garçon après avoir réfléchi un instant demand à son grand-père : "Lequel de ces deux loups va gagner ?"
Et le vieil indien de répondre : "Celui que tu nourris".
« Sois dans la joie ».
Autrement dit, tu, vous, nous pouvons être dans la joie, car Dieu nous aime et nous bénit.
Lui qui naît au monde sous les traits d’un enfant qui a tout à apprendre mais aussi tout à nous apprendre.
Lui qui, en fin de vie, nous laisse ce tombeau vide, promesse qu’il est possible d’échapper à tout ce qui nous enferme et nous enferre dans un passé stérile.
Il y a bien des obstacles dans nos vies personnelles, comme dans la vie de nos communautés, qui nous empêchent d’avancer et de produire du fruit.
Les deux récits de ce jour nous alertent. Ils nous invitent à l’audace, à la joie, à la fécondité.
Essayons !