Prédication du 11 juin, "Sur les rives de l'indicible"

Difficile de savoir si ce récit du passage de la Mer relève du miracle ou du cauchemar.

 

La réussite des Israélites peut certes nous réjouir. Mais le massacre des Égyptiens vient questionner nos représentations de Dieu. Et impossible de s’en sortir en prétextant que c’est l’Ancien testament et que tout a changé avec Jésus.

 

Dieu reste Dieu. Le même Dieu. À travers les deux testaments.

 

Alors bien sûr, nous savons aujourd’hui que les 5 premiers livres de la Bible n’ont pas été écrits par le seul Moïse mais que plusieurs rédacteurs se sont succédés. Que cela s’est fait sur de nombreuses années. Que les rédacteurs n’étaient pas des journalistes observant une situation et la documentant avec soin.

 

N'empêche.

Que faire de ce récit ?

Qui plus est, aujourd’hui, où l’installation « Et vogue la galère » nous rappelle que la Méditerranée est devenue le plus grand cimetière de l’Europe ?

 

C’est précisément parce que la Bible est une succession de témoignages et non de reportages que des perspectives de compréhension s’ouvrent à nous.

 

Dans les faits, la plupart des récits de la Bible que l’on considère comme historiques sont des récits qui ont été écrits bien après les évènements qu’ils relatent. Souvent à un moment où le peuple doutait, connaissait des difficultés, manquait de cohésion. Il s’agissait alors de lui donner un nouvel élan en lui rappelant tout à la fois ce que Dieu avait déjà accompli et le fait que Dieu n’allait pas abandonner les siens.

 

Ces récits à composantes historiques sont donc des réécritures de l’histoire qui, généralement, ont un but précis.

 

C’est le cas de cette fameuse traversée de la Mer.

 

Si je vous demandais où a eu lieu cette traversée, les grands peplums cinématographiques étant passés par là, la majorité d’entre vous évoqueraient sans doute, la Mer Rouge. Avec tout plein d’images en tête.

 

La Mer Rouge, c’est la traduction qui prédomine depuis ce que l’on appelle la 70. La 70 c’est, sauf erreur, la première traduction de la Bible hébraïque en grec qui date du 3ème siècle avant Jésus-Christ.

Le texte original, lui, évoque la Mer des Roseaux ou la Mer des Joncs.

 

À cette même question de savoir où a eu lieu cette traversée, d’autres reliraient peut-être le feuillet de culte pour dire que l’épisode s’est déroulé près de Pi-Hahiroth, en face de Baal-Sefon. Je ne pourrais pas leur donner tort ; mais je ne pourrais pas non plus situer géographiquement ces lieux avec précision. Personne ne le peut. On ne sait pas où situer ces deux lieux.

 

Il y a donc du flou. Du flou qui me permet d’affirmer que ce récit ne raconte pas la réalité. Par contre, il dit quelque chose de l’ordre de la vérité. Je m’explique.

 

“Est-ce que ce récit est bien réel ?“ “Ça ne semble pas très réaliste.“ “Comment être sûrs de ce nous lisons ?“

Ce sont des questions qui sont avancées par celles et ceux qui peinent à prendre la Bible au sérieux ou à lire au premier degré ce qui y est raconté. Et ils ont raison d’objecter de la sorte. Il n’y a par exemple pas de preuve archéologique de la sortie d’Égypte. À cet égard, le livre de l’Exode n’est sans doute pas réaliste.

 

Par contre, il dit quelque chose de l’ordre de la vérité.

En l’occurrence, ce récit dit quelque chose de la nécessité de se mettre en route. Et de la conscience qu’il y a une possibilité individuelle voire collective d’opérer une libération, de sortir de l’aliénation.

 

Pour le dire autrement, avec des mots chers à la rabbin Delphine Horvilleur, ce récit n’est pas sacré sous prétexte que ce qu’il raconte a eu lieu. Il est sacré parce qu’il dit quelque chose de la condition humaine. Et que chaque nouveau lecteur, chaque nouvelle lectrice, peut l’enrichir de sa propre expérience de mise en route et de libération.

 

Partant de là, je voudrais revenir sur deux points du récit.

  • Tout d’abord, la crainte teintée de colère des Israélites qui reprochent à Moïse de les avoir conduits hors de l’Égypte.
  • Crainte à laquelle répond celle des Égyptiens lorsqu’ils réalisent que le Dieu des Israélites combat contre eux.

 

La crainte des Israélites s’exprime en ces termes : « N'y avait-il pas assez de tombeaux en Égypte ? Pourquoi nous as-tu emmenés mourir dans le désert ? Pourquoi nous as-tu fait quitter l'Égypte ? »

 

Après l’euphorie de la libération, les Israélites vivent l’épreuve du chemin vers la liberté.

 

Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il y a eu libération, parce qu’il y a eu sortie de l’Égypte, sortie de l’aliénation, que l’on foule d’emblée le sol d’un paradis terrestre.

 

Se libérer du pharaon, se libérer de notre pharaon, de notre Égypte à nous, parce qu’on en a tous, c’est un processus qui prend du temps. Un processus durant lequel nous passons par 1000 états d’âme, y compris celui où nous regrettons le temps de l’esclavage. Non pas parce que c’était le bon vieux temps, mais parce que l’on savait de quoi étaient faites nos journées et qu’une sorte de minimum vital était assuré.

 

Aller sur le chemin de la liberté, c’est aller, pour une part, vers l’inconnu. Il y a des pas qu’il n’est pas facile de franchir. Ça peut faire peur.

 

Abbas, Nabi et Moheb en parleront sans doute mieux que moi tout à l’heure.

 

À la crainte des Israélites, répond celle des Égyptiens. « Fuyons loin des Israélites, car le Seigneur combat avec eux contre nous ! »

 

C’est intéressant de noter que dans le fond, cette traversée de la mer, c’est l’exact inverse du jihad ou autres guerres saintes. Où des hommes sont prêts à tout pour défendre leur Dieu. À supposer qu’il en ait besoin.

 

Ici, c’est Dieu qui est prêt à tout pour les humains. Plus précisément, pour les plus petits des humains, les fragilisés, les esclaves, les sans patries, les exploités.

 

C’est un motif récurrent dans la Bible que Dieu jette son dévolu sur le plus petit, le faible, la veuve, l’orphelin. Pas tant pour manifester sa puissance, comme on peut le lire dans le récit de l’Exode, que pour manifester sa tendresse.

 

Quand le chemin vers la liberté se fait difficile, quand on se retrouve ballotés sur des esquifs, il est ce Dieu auquel on peut en appeler, que l’on peut prier. Dans l’espérance de reprendre pied.

 

En fonction de leur chemin de vie et de leur croyance, c’est ce que je souhaite à Abbas, Nabi et Moheb. Reprendre pied, avec notre aide.

 

C’est aussi ce que je nous souhaite à chacune et chacun quand le sol tangue sous nos pas. Forte de cette conviction que vous m’avez souvent entendue répéter : Dieu ne nous évite pas les coups tordus de la vie. Mais il les traverse avec nous.

 

Amen