Un encouragement à nous dessaisir de ce que nous avons, de ce que nous pensons savoir, de ce que nous croyons être. D'après Marc 10: 17 à 22
Ce jeune homme riche, je n’arrive pas à savoir s’il me gonfle ou si je l’admire. Sans doute un peu des deux. Peut-être bien qu’il commence par m’insupporter, puis que je me surprends à espérer lui ressembler. Pas parce qu’il est riche, non. Mais parce que, à la suite de cet étrange dialogue avec Jésus, il accepte de porter une question lourde de sens qui, par ricochet, nous est aussi adressée. Je le trouve courageux dans sa prise en compte des paroles de Jésus. Nous y reviendrons en fin de prédication.
Mais là, j’avoue que je goûte peu son entrée théâtrale. On le voit arriver galopant, essoufflé, se jetant à genou devant Jésus comme si sa vie en dépendait. Tout ça pour une question dont l’urgence vitale m’échappe la moindre puisqu’il s’inquiète, certes, de la vie, mais de la vie éternelle…
... En ce début de récit, au seuil de cette rencontre, il me fait penser aux premiers de classe que les profs doivent se coltiner et que les autres élèves ne peuvent pas voir en peinture.
Vous savez, ces gens prétentieux qui pensent avoir toujours raison (de fait, ils ont souvent raison).
Mais qui, en plus, s’arrangent pour le faire savoir : ils ont tout le temps la main levée ; une dernière petite question à la fin du cours ; et le lundi la remarque qui permet de comprendre qu’ils ont pris de l’avance sur le programme pendant le week-end et qu’ils vont nous écrabouiller au prochain test.
Dans le fond, ils ont besoin d’être vus, de se sentir valorisés. Ils pensent que si on apprécie ce qu’ils font, ce qu’ils savent, alors on va les apprécier, eux, dans tout ce qu’ils représentent. Ça marche rarement ainsi. Mais bon…
… Avouons que le besoin de reconnaissance, on connaît tous. À ce jeu-là, je ne parierais pas que les autres soient pire que nous.
Ce jour-là donc, Jésus s’est mis en route avec ses disciples. En direction de Jérusalem où il va vivre sa Passion. Sachant au-devant de quoi il va, l’heure a pour lui quelque chose de grave, de lourd. Du coup, l’arrivée tonitruante du jeune homme ne le ravit pas.
Il a à peine le temps de poser sa question, « que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle en partage ? » que Jésus le rabroue. Pas tant sur le fond que sur la forme : Pourquoi diable m’appelles-tu « bon maître », ne sais-tu pas que seul Dieu est bon ?
On perçoit ici l’agacement de Jésus dont on sait à quel point il déteste toute forme d’obséquiosité, lui qui n’a cesse de se considérer comme serviteur.
Dans son agacement, il renvoie le jeune homme à ce que tout Juif est supposé connaître : la loi. Et de se mettre à énumérer quelques commandements dont le choix peut étonner. Alors que le jeune homme évoque la vie éternelle, Jésus se contente, parmi les 613 commandements qui balisent la vie de tout Juif, Jésus se contente de citer 5 interdits : le meurtre, l’adultère, le vol, le faux témoignage, le fait de nuire à autrui et une obligation : celle d’honorer son père et sa mère.
Comme je vous en ai fait part tout à l’heure, on peut ne pas comprendre l’urgence de cette question sur la vie éternelle. Pourquoi elle taraude ce jeune homme riche au point qu’il débarque ventre à terre.
Mais on peut aussi interroger la réaction de Jésus. La manière dont il rabroue le jeune homme et la pseudo réponse qu’il lui fait.
Ça ne lui ressemble pas vraiment. Mais cela traduit une évidence : les deux hommes ne sont pas au même niveau.
Ça crève les yeux si on visualise la scène. Avec le jeune homme à genou devant un Jésus qu’on imagine bien droit sur ses jambes.
Mais ça crève aussi les oreilles quand on est attentifs à leur dialogue. Ils ne parlent pas de la même chose. Ils ne se comprennent pas.
Et c’est au cœur de ce quiproquo, quand le jeune homme se rebiffe, que tout bascule. Il s’est certes agenouillé. Il ne conçoit pas, pour autant, être maintenu genou à terre par un homme qui le snoberait sans comprendre ou sans prendre en compte sa quête réelle. Alors, son cri jaillit de son cœur : « Maître, tout cela, je l’ai observé dès ma jeunesse. »
Autrement dit, la loi et les commandements, il les connaît. Il les respecte. Il les applique. Mais comme Jésus, comme d’autres, il fait l’expérience que cela ne lui suffit pas. Que sa relation à Dieu ne s’en satisfait pas. L’observance de la loi n’a calmé ni ses angoisses ni sa quête de sens. C’est ailleurs, au-delà des interdits et des commandements, que sa vie doit s’enraciner pour qu’il puisse se déployer et donner sens à ce qu’il vit.
Ce cri du coeur touche Jésus au plus profond. Lui qui, sur le chemin de Jérusalem, a déjà fait le pari douloureux de ne plus chercher à paraître auprès des hommes pour être auprès de Dieu. Lui qui déjà vit la loi à l’aune de l’amour et de la grâce de Dieu.
Alors, « Jésus le regarda et se prit à l’aimer ». Bouleversant regard. D’une profondeur intense. Loin de s’y perdre, le jeune homme riche y puise la force de se relever. Pour entendre, d’égal à égal, comme un véritable vis-à-vis ce que Jésus a à lui dire.
« Une seule chose te manque ; va, ce que tu as, vends-le, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens, suis-moi. »
Impossible de savoir ce à quoi s’attendait le jeune homme. Mais, pour lui, c’est la douche froide.
C’est qu’il ne peut pas encore faire le choix radical que Jésus a assumé : renoncer à paraître pour être.
Il n’est pas encore prêt non plus à renoncer à ses biens, à ne plus s’identifier à eux comme les premiers de classe qui s’identifient à leur science.
Quand Jésus lui dit « Va, donne », je crois qu’il dit trois choses.
Il dit tout d’abord, 1er degré : « Lâche tout. Lâche tout ce qui te permet de paraître aux yeux des autres parce que tu es riche et que tu possèdes beaucoup ».
Mais il dit aussi « Lâche tout. Lâche toute ta richesse spirituelle, tes convictions trop souvent statiques, tes bonnes œuvres qui tel un pharisien te permettront un jour de dire : je te remercie Seigneur de n’être pas comme eux, sous-entendu d’être mieux qu’eux. »
Jésus dit encore « Lâche tout. Lâche tout cela et viens à ma suite, car en venant avec moi, tu ne pourras plus te cacher derrière ce que tu fais, derrière ce que tu as, et tu devras apprendre à être… à être avec les autres, à être avec les petits, avec ceux de mauvaise vie, avec les pécheurs. Tu partageras tout de ma vie, et c’est de l’insécurité qui en découlera que tu comprendras que tout ce à quoi tu étais attaché ne valait rien… et tu comprendras alors aussi le regard que je te porte, un regard gratuit, un regard d’amour. »
Résumée en deux phrases, cette rencontre, est celle d’un jeune homme qui est arrivé devant Jésus en courant, porté par un élan inouï, galvanisé par sa quête ; et qui s’en est retourné le pas lent, le dos voûté, porteur d’un choix lourd que personne ne fera à sa place.
Et c’est là que je l’admire. Il aurait pu négocier, contester, parlementer, exiger une autre réponse de Jésus. Il encaisse ce que Jésus lui dit, et s’en retourne chez lui où, très probablement, il va méditer ces mots.
C’est pourquoi, je nous encourage à suivre l’exemple de ce jeune homme : nous tenir devant Jésus sans retenir nos questions. Puis, en l’écoutant, apprendre à nous dessaisir de ce que nous avons, de ce que nous pensons savoir, de ce que nous croyons être, afin de découvrir qui nous sommes dans la suivance du Christ. Et ce qu’implique le fait de vivre de l’amour et de la grâce de Dieu.
Amen