Prédication du 10 mars, Faire son deuil 4/5, Mon fils est possédé ou le deuil de la "normalité".

 

Mon fils est possédé ou le deuil de la “normalité“ 

 

Il y a peu de récits, dans les évangiles, qui mettent en scène un père ou une mère venant demander à Jésus de guérir leur enfant.

 

Il doit y en avoir deux ou trois.

 

  • Celui que nous venons d’entendre.

  • La fille de Jaïrus, ça dépend des évangélistes ; elle est soit morte, soit mourante.

  • Et celui d’une femme présentée comme païenne, Cananéenne ou Syro-Phénicienne, dont la fille est elle aussi possédée par un esprit.

 

Mais de cette histoire-là, on se souvient rarement du mal dont souffre la fille et même de sa guérison parce que nous restons intrigués, englués, dans l’étrange dialogue entre Jésus et la Syro-Phénicienne qui tourne autour de petits chiens et de miettes qui tombent de la table.

 

Cela dit, ces deux récits, mis à part le fait qu’ils mettent en scène un enfant possédé dont un des parents interpelle Jésus, ont un autre point commun qui est saisissant.

 

Lorsqu’elle apostrophe Jésus, la Syro-Phénicienne lui dit : « Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David ! Ma fille est cruellement tourmentée par un démon. »

 

Lorsque le père s’adresse à Jésus, il lui dit : « Mon fils souffre depuis son enfance. Souvent l’esprit l’a jeté dans le feu ou dans l’eau pour le faire périr. Mais si tu peux quelque chose, viens à notre secours, par pitié pour nous. »

 

Vous avez entendu ?

Vous avez remarqué ?

 

Alors que c’est sa fille qui souffre, la Syro-Phénicienne demande à Jésus qu’il ait pitié d’elle-même.

 

Alors que c’est son fils qui souffre, l’homme s’adresse à Jésus en lui disant : viens à « notre » secours.

 

Dans les deux cas, c’est comme si le parent ne faisait qu’un avec son enfant.

Comme si son identité de père ou de mère était entièrement contenue, entièrement circonscrite, dans l’identité de l’enfant malade.

 

C’est bien sûr toujours difficile de laisser un enfant aller son propre chemin.

De le voir grandir, évoluer, essayer, réussir, se planter, partir, revenir…

 

Et sans doute, cette difficulté est-elle exacerbée lorsque son enfant est malade, qu’il est fragile, qu’il n’est « pas comme les autres » et que sa différence est source d’exclusion, de raillerie, de moquerie.

 

Quand la chair de notre chair est touchée, c’est tout notre être qui souffre. On a alors d’autant plus envie de le protéger, cet enfant. De lui éviter une confrontation trop douloureuse avec le monde. De faire les choses à sa place.

 

C’est bien compréhensible.

 

Ceux d’entre vous qui me connaissent depuis longtemps savent que j’ai vécu, que je vis encore un peu cela, avec un neveu qui est en situation de handicap. Enfant, il ne s’est pas développé comme ses petits copains. Deuil du filleul parfait. Mais douleur, surtout, de voir tout ce par quoi il a passé pour d’acquérir une part d’autonomie. Et émerveillement pour chaque avancée significative ou toute petite.

 

Difficile donc de mettre à distance son petit ; son petit blessé.

 

Pour autant, bien-portant malade ou différent, un enfant n’est pas la miniature de ses parents. Quand bien même la tentation d’en faire une petite réplique de soi est souvent tapie à l’ombre de nos projections.

 

L’identité d’un enfant ne se résorbe pas dans celles de ses parents.

 

« Vos enfants ne sont pas vos enfants » écrivait Khalil Gibran. « Bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. Vous pouvez leur donner votre amour mais non pas vos pensées car ils ont leurs propres pensées. Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes. Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves. Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux, mais ne tentez pas de les faire comme vous. Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier.»

 

Le père de l’enfant possédé ne parvient pas à faire cette part-là des choses. À discerner ce qui, dans sa vie, est propre à lui-même, et quelle part de la vie de son fils lui échappe.

 

Une fois encore, c’est compréhensible.

 

Pour autant, il est bon de nous souvenir que nos identités ne se confondent pas.

 

Jésus, d’ailleurs, ne s’y trompe pas.

 

Avant de faire quoi que ce soit pour l’enfant possédé, il commence par s’adresser au père lui posant des questions auxquelles il peut répondre objectivement. Depuis quand son fils est malade ? Quelles en sont les manifestations ?

 

En agissant ainsi, Jésus aide cet homme à se détacher d’un « nous » de souffrance pour l’ouvrir à un « je » de résilience.

 

Du coup, ayant commencé à prendre un peu de distance, le père peut passer du « Aie pitié de nous » à « Je crois, viens au secours de mon manque de foi. »

 

Cette parole en « je » est le premier pas qui lui permettra de considérer son fils comme un être à part entière. Dont l’identité ne se résume ni « dans le fait d’être le fils de » ni « dans celui d’être possédé ».

 

Dissocier la souffrance de l’un, de celle de l’autre est un exercice difficile. Mais nécessaire.

 

D’autant plus lorsque culturellement, et c’est le cas à l’époque de Jésus, la maladie, le handicap ou la différence sont marqués par la recherche systématique de la causalité.

 

Ça vient d’où ? Comment c’est possible ? À qui la faute ?

 

À qui la faute si l’enfant naît avec une maladie ou un handicap ? Le père qui n’a pas arrêté de fumer pendant la grossesse ? La mère qui buvait de temps à autre un verre ? Les gènes ? Mais de quel côté de la famille ?

 

Lorsque nous souffrons, nous cherchons souvent à dresser l’acte d’accusation du malheur, espérant en extraire une cause objective, permettant de condamner.

 

C’est un leurre. Une fausse bonne idée. Jésus nous le fait remarquer sans ménagement dans le récit de l’aveugle né.

 

En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance. 

Ses disciples lui posèrent cette question : « Rabbi, qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » 

Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents »…

 

Jésus affirme clairement que le mal échappe à toute causalité morale ou religieuse.

Et iI nous invite, face au mal, à la maladie, au handicap, à la souffrance, à ne pas tant regarder en arrière pour expliquer qu’à regarder devant soi pour trouver une issue.

 

La recherche d’une causalité génère de la culpabilité. Elle nous retient dans le passé. Elle donne à penser qu’il y a une normalité évidente et une a-normalité tout aussi évidente.

 

La reconnaissance d’une situation de souffrance, qui prend en compte distinctement et systémiquement chaque personne touchée, permet d’entrer dans un mode relationnel où chacun a quelque chose à apporter à l’autre. C’est bien plus riche ! Et ça me rappelle cette parole de Marguerite Annie Johnson, une des personnalités du mouvement américain des droits civiques, née en 1928 dans le Missouri :

 

« Si vous essayez toujours d’être normal, vous ne saurez jamais à quel point vous pouvez être incroyable. »

Amen

 

  • Lecture de Jean 9, extraits

En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance.

Ses disciples lui posèrent cette question : « Rabbi, qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » 

Ayant dit cela, Jésus cracha à terre, fit de la boue avec la salive et l’appliqua sur les yeux de l’aveugle ; et il lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » – ce qui signifie Envoyé. L’aveugle y alla, il se lava et, à son retour, il voyait.

Les gens du voisinage et ceux qui auparavant avaient l’habitude de le voir – car c’était un mendiant – disaient : « N’est-ce pas celui qui était assis à mendier ? » 

Les uns disaient : « C’est bien lui ! » D’autres disaient : « Mais non, c’est quelqu’un qui lui ressemble. » Mais l’aveugle affirmait : « C’est bien moi. »

 

Jésus s’approcha de la foule et demanda : « De quoi discutez-vous ? » 

Quelqu’un dans la foule lui répondit : « Maître, je t’ai amené mon fils : il a un esprit muet. L’esprit s’empare de lui n’importe où, il le jette à terre, et l’enfant écume, grince des dents et devient raide. J’ai dit à tes disciples de le chasser, et ils n’en ont pas eu la force. » 

Prenant la parole, Jésus leur dit : « Amenez-le-moi. » 

Ils le lui amenèrent. Dès qu’il vit Jésus, l’esprit se mit à agiter l’enfant de convulsions ; celui-ci, tombant par terre, se roulait en écumant. 

Jésus demanda au père : « Depuis combien de temps cela lui arrive-t-il ? » Il dit : « Depuis son enfance. Souvent l’esprit l’a jeté dans le feu ou dans l’eau pour le faire périr. Mais si tu peux quelque chose, viens à notre secours, par pitié pour nous. » 

Jésus lui dit : « Si tu peux !… Tout est possible à celui qui croit. » 

Aussitôt le père de l’enfant s’écria : « Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! » 

Jésus, voyant la foule s’attrouper, menaça l’esprit impur : « Esprit sourd et muet, je te l’ordonne, sors de cet enfant et n’y rentre plus !

 

  • Lecture de Marc 9 : 16 à 18 + 20 à 25

Jésus s’approcha de la foule et demanda : « De quoi discutez-vous ? » 

Quelqu’un dans la foule lui répondit : « Maître, je t’ai amené mon fils : il a un esprit muet. L’esprit s’empare de lui n’importe où, il le jette à terre, et l’enfant écume, grince des dents et devient raide. J’ai dit à tes disciples de le chasser, et ils n’en ont pas eu la force. » 

Prenant la parole, Jésus leur dit : « Amenez-le-moi. » 

Ils le lui amenèrent. Dès qu’il vit Jésus, l’esprit se mit à agiter l’enfant de convulsions ; celui-ci, tombant par terre, se roulait en écumant. 

Jésus demanda au père : « Depuis combien de temps cela lui arrive-t-il ? » Il dit : « Depuis son enfance. Souvent l’esprit l’a jeté dans le feu ou dans l’eau pour le faire périr. Mais si tu peux quelque chose, viens à notre secours, par pitié pour nous. » 

Jésus lui dit : « Si tu peux !… Tout est possible à celui qui croit. » 

Aussitôt le père de l’enfant s’écria : « Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! » 

Jésus, voyant la foule s’attrouper, menaça l’esprit impur : « Esprit sourd et muet, je te l’ordonne, sors de cet enfant et n’y rentre plus !