Stabant Matres.
Choisir de devenir mère aujourd’hui !
Une performance féminine transdisciplinaire
interrogeant l’héritage chrétien de la maternité.
Rien que ça.
Dans la sacristie autour de la table pour en parler, il
y avait Line, Zoéline, Sophie, Célia.
Et moi, pour le coup !
Le seul homme, le seul mâle, blanc cisgenre, ajusté au sexe reconnu à ma naissance et cette impression d’être un peu comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.
Que voulez-vous que je vous dise d’intelligent sur l’héritage chrétien de la maternité ?
Et y a-t-il seulement un héritage chrétien de la maternité ?
Dans la sacristie, je cherchais ma place, comme dans la salle d’accouchement où mon épouse était en travail et où malgré la bienveillance du personnel infirmier, je ne savais pas où me mettre, pour ne pas déranger.
Je me souviens avoir répété consciencieusement ce que nous avions appris au cours de préparation à l’accouchement !
C’était de la sophrologie, une manière de faire diversion, aussi j’emmenais mentalement ma femme au bord d’une plage de sable devant une mer turquoise.
Je sais, un cliché … mais dans ces moments-là on fait ce que l’on peut avec ce qu’on a.
À la sacristie – autour de la table – lorsqu’il s’est agi d’énoncer des pistes de prédications en lien avec la maternité, un étrange souvenir m’est revenu à l’esprit.
Je me suis revu quelques années plus tôt, lorsque j’étais pasteur de catéchisme.
J’avais remarqué que des catéchumènes, des ados –avaient souligné dans leur Bible - un verset que je n’avais pourtant jamais abordé avec eux : Genèse 3,16.
La référence sonnait comme un code.
« Je ferai qu’enceinte, tu sois dans de
grandes souffrances ; c’est péniblement
que tu enfanteras des fils. Ton désir te
poussera vers ton homme et lui te
dominera. »
Je soupçonne que le succès dudit verset auprès des catéchumènes valait plus pour l’assignation de la femme à la domination masculine que pour les tourments de l’accouchement.
Qu’importe, c’est ce verset qui m’est venu à l’esprit dans
la sacristie.
J’en ai fait ce motto :
Mettre au monde sans douleur ! vraiment ?
C’est étrange, dans la bible, on ne parle guerre des douleurs, ni de celles des rages de dents, ni de celles des migraines, ni de celles des coliques, des calculs, de la gravelle, des lombalgies et des rhumatismes, ni même des crises de foie.
On ne parle pas non plus des douleurs des supplices raffinés de la torture, de la lapidation, ni des douleurs de l’agonie.
Que sait-on des douleurs d’Abel mourant sous les coups de son frère ? Que sait-on des douleurs du méchant Goliath touché à la tête ?
Et que sait-on même des douleurs et des souffrances de l’agonie de Jésus ? Douleurs que l’on a par ailleurs si souvent exaltées en théologie chrétienne.
Ce n’est pas que la douleur n’existe pas, dans les écritures, on la pressent, entre les lignes.
La douleur fait partie de la vie, de la maladie, de la mort, et puisque l’on ne peut rien n’y faire, alors on n’en parle pas.
C’est toujours très difficile de parler de sa douleur !
Ça n’a pas changé, sauf qu’aujourd’hui on a des échelles de 1à10 pour quantifier la souffrance et pallier l’absence des mots pour la dire.
Autre surprise. Les occurrences bibliques du terme « douleur » sont presque toutes exclusivement rapportées à l’accouchement.
S’il y a donc un héritage chrétien, ou plutôt biblique, judéo-chrétien, c’est peut-être celui-là. Cette association systématique entre l’accouchement et la douleur. Association perçue comme une expiation, une malédiction.
Il n’y a pas que les catéchumènes adolescents qui soulignaient ce verset dans leur bible. Nombre d’articles, de podcasts de gynécologies, de sociologie d’obstétrique y font référence.
Les gynécologues soviétiques découvreurs de la méthode dite de l’accouchement sans douleur prétendaient que ces mots de la Genèse avaient fini par produire un réflexe pavlovien – dans l’inconscient collectif des
femmes. Autrement dit que les douleurs de la parturiente en travail étaient pour une part de nature culturelle. La méthode consistait ainsi à reconditionner l’inconscient de la femme enceinte.
En fait, en « parlant de mettre au monde sans douleur », je ne voulais pas parler d’accouchement.
Mais, voilà c’est fait !
Je ne voulais pas parler d’accouchement parce que je crois que le message chrétien, contrairement à tout ce que l’on en dit, à toutes les idées reçues, ne s’intéresse que très peu à la reproduction.
Ni à la sexualité d’ailleurs.
Ni à la maternité ni à la paternité.
Ni à la natalité ni à la fécondité, pour laquelle à l’époque on avait des déesses et des rites.
On le sait, Jésus a fréquenté, rencontré, accueilli, de nombreuses femmes.
C’était même là une des particularités de son ministère.
Et bien, à ces femmes, jamais Jésus ne leur dit « faites des enfants » !Devenez de bonnes épouses et de bonnes mères.
Au contraire, Jésus interrogera sans détour la maternité,
à commencer par celle de sa propre mère : Marie.
« Qui sont ma mère, et mes frères et mes sœurs ?» demandera-t-il à la cantonade, un jour où ses proches étaient venus pour le chercher, car il avait perdu la tête, pensaient-ils
(Mt 12,48 et Mc 3,33)
Jésus incarnera ce rapport ambigu à la maternité, à la paternité, lui qui n’a pas eu d’enfants.
C’est encore et toujours là, une véritable intrigue.
Si la reproduction, la fécondité, la natalité, le mariage sont des questions qui ont toujours préoccupé les sociétés humaines, ces préoccupations ne sont pas prioritaires dans la pensée chrétienne.
Si devenir mère, devenir père, surtout d’un fils, a toujours été un souci et même parfois une obsession, j’ose affirmer que ce ne sont pas là des sujets centraux de la foi chrétienne.
Attention, la pensée chrétienne ne disqualifie pas ces préoccupations, mais elle les resitue, elle les réoriente, elle les questionne.
Par exemple, de quel monde parle-t-on lorsque l’on parle de « mettre au monde ? »
Tout familier des écritures sait qu’il y a monde et monde.
Qu’il y a vie et vie.
Qu’il y a mort et mort.
Qu’il y a mère et mère.
De quel monde parle-t-on lorsque l’on parle de « mettre au monde ? »
Est-ce que l’on parle de ce monde physique, matériel, minéral et végétal, de ce monde biologique, de ce monde charnel, corporel !
Sans aucun doute ! … mais pas que.
L’évangéliste Jean thématisera cette question dans cette formule « être dans le monde sans être du monde ».
La pensée chrétienne questionne la maternité et la paternité qui ne résume pas - et de loin - à leur dimension biologique, génétique.
Nous ne sommes pas seulement « des fils et des filles de » ... mais nous sommes des fils et de filles de Dieu.
Une filiation à laquelle nous sommes appelés à consentir et qui subvertit les liens du sang. Consentir à être fils et fille de Dieu, c’est consentir à être dans le monde, dans ce monde pleinement, mais sans être du monde.
Pour dire cet écart, pour dire ce jeu, pour dire cette « non-coïncidence », des chrétiens reconnaitront être des « étrangers et voyageurs » sur la terre.
Ces questions ne sont pas des questions intellectuelles et hors sol.
Ce ne sont pas là des questions pour théologien et pasteur désœuvré.
Non, ce sont des questions, qui, suivant la manière d’y répondre ont des effets très concrets qui touchent à nos relations, à notre manière d’être au monde, d’être en lien avec le Vivant, le Cosmos, comme le laisse entendre Paul dans l’incroyable passage que nous avons entendu de la lettre aux Romains.
« la création attend avec impatience la
révélation des fils et des filles de Dieu
… elle ngémit maintenant encore dans les
douleurs de l’enfantement »
Quel est donc ce prétendu héritage chrétien de la maternité ?
Si ce n’est celui de la remise en question des évidences naturelles et sociales.
En perspective chrétienne, ma mère et mon père sont plus que mes seuls géniteurs.
Ce sont ceux et celles qui m’ont fait découvrir et consentir à ce lien filial qui m’unit à celui que l’on appelle Dieu.
Ceux et celles qui m’ont ouvert, qui m’ont sensibilisé, donné l’envie d’être pleinement « dans le monde sans être du monde ».
L’heureux événement que la création attend.
L’heureux événement que nous attendons, c’est que nous devenions enfin des fils et des filles de Dieu à la suite du Christ.
Je vous le concède, la gestation est longue et douloureuse.
Paul nous en avait avertis.
Et la délivrance n’est pas pour aujourd’hui.
La délivrance n’a même jamais paru aussi éloignée.
Et ne comptez pas sur Dieu pour la provoquer ... la délivrance.
Amen