Prédication de Vendredi-Saint: C'est l'histoire d'un homme

Heureusement que Pilate n’est pas un politicien de chez nous… Imaginez… qu’il arrive au fameux seuil des 100 jours et qu’il ait à présenter un bilan.

 

Il éviterait probablement les soucis de domiciliation fiscale, ceux liés à l’apprentissage des langues étrangères. Et on noterait avec satisfaction qu’il maîtrise toujours parfaitement les gestes barrières : distance d’avec le peuple et hygiène des mains.

 

Mais pour le reste, il n’a pas de quoi se vanter !

  • Il passe son temps à tergiverser comme s’il était incapable de prendre des décisions.

« Es-tu le roi des Juifs ? » … « Tu n’entends pas tous ces témoignages contre toi ? » …

« Qui voulez-vous que je vous relâche ? » … « Si je vous relâche Barrabas, que ferai-je donc de Jésus, qu’on appelle Messie ? »

Toutes ces hésitations pour, au final, s’en laver les mains… Geste non pas hygiénique, mais geste par lequel Pilate reconnaît qu’il n’a rien contre Jésus et qu’il se soumet au verdict populaire.

De la part, d’un gouverneur, on était en droit d’attendre mieux.

 

  • Et puis, Pilate n’a aucune conscience du moment où il devrait écouter ce qu’il ressent au

plus profond de lui-même. Alors, les cris de la foule ont le champ complètement libre pour se répercuter sans fin dans sa tête, réduisant à néant tout essai d’analyse.

  • Enfin, il est démagogue voire populiste. Et n’écoute même pas sa femme…

Force est donc de constater que le bilan de Pilate est médiocre et n’inspire pas le respect.

 

Alors, bien sûr, depuis cette cathédrale, un 7 avril 2023, c’est facile de critiquer Pilate. Et, vu son bilan, il n’y a pas de quoi s’en priver.

 

Mais… la question qui me taraude au fond du fond, c’est celle de savoir si je suis différente de lui ?

 

Je suis prête à vous jurer les grands dieux que oui. Et c’est probablement vrai. Mais je ne suis pas dupe.

 

Combien de fois est-ce que je détourne la tête pour ne pas regarder la misère d’un autre en face ?

Combien de haussements d’épaules parce que, ces conflits qui éclatent partout, ce n’est tout de même pas de ma faute et que je ne vais pas sauver le monde à moi toute seule ?

Combien d’élans abruptement freinés parce que je manque de temps pour être pleinement conséquente ? Même Arash, qui est venu deux fois témoigner dans cette cathédrale ces dernières semaines, que saurai-je faire pour le soutenir contre l’injuste justice de mon pays qui veut le renvoyer en Iran au péril de sa vie ?

 

Ce vendredi-là, à Jérusalem, Pilate a agi comme un pourri. Ça fait mal.

 

Admettre que je suis parfois, si ce n’est pourrie, pour le moins flétrie, ce qui me rapproche de Pilate, ça fait mal aussi.

Bienheureux êtes-vous si ce n’est pas votre cas.

 

Procla.

Procla, elle, n’est ici que subrepticement évoquée. Unique mention dans toute la bible. C’est “la femme de“, mais comme son existence est attestée par d’autres sources, et bien on connaît son prénom.

 

Procla a mal dormi. Elle est tourmentée. Dans un de ses rêves, elle a perçu que Jésus était juste. Qu’il était fidèle à son Dieu et qu’il valait peut-être mieux laisser les Juifs se débrouiller entre eux. Pour elle, c’est simple Caïphe n’a qu’à assumer plutôt que de déléguer la sale besogne à son mari.

 

Quand elle tente d’influencer Pilate, elle n’est pas entendue. Pourtant, c’est bien grâce à sa prise de parole, qu’elle est aujourd’hui vénérée comme sainte dans plusieurs traditions chrétiennes.

 

Alors, indépendamment de ce que l’on peut penser de la vénération posthume d’une femme élevée au rang de sainte, j’aime Procla parce qu’elle amène de l’humanité dans ce récit tragique.

 

Étant l’épouse de Pilate, elle nous rappelle qu’il a eu une vie d’homme et que notre jugement est peut-être trop rapide quand nous réduisons une personne à sa seule fonction.

 

Et puis, au coeur de la Passion, la mention de son rêve, nous redit que les interlocuteurs de Jésus sont des femmes et des hommes comme nous qui doutent, espèrent, craignent, souffrent, rêvent. Et que c’est l’intégralité de notre vie qui peut être habitée par le Christ. Non seulement notre raison, mais aussi nos émotions, et nos rêves. Continuons donc à rêver. Qui sait ? Nous pourrions aussi y dénicher des pépites.

 

Simon de Cyrène, est clairement celui qui, de tout le récit, a le sort le plus enviable.

 

Dans les faits, il ne prend pas beaucoup plus de place que Procla. Il est tout juste cité, nommément. Il n’a eu aucun choix, puisqu’il a été requis. Mais sa tâche donne à penser qu’elle est noble.

 

À la place qui est la sienne, Simon aurait pu être un deuxième Pilate. Il aurait pu essayer de passer tout droit en détournant le regard.

 

J’admire le fait qu’il n’avance pas dans la vie avec des œillères.

 

Grâce à sa présence, grâce à son obéissance aux soldats du gouverneur qui le réquisitionnent, nous avons, dans ce récit de Vendredi-Saint, les prémices de Pâques. Parce que, en portant la croix de Jésus, Simon lui a permis de se relever, pour marcher droit. Et c’est là le premier pas vers la résurrection. Puisqu’étymologiquement, je vous le rappelle, être ressuscité, c’est être remis debout.

 

Face à Pilate, dans les songes de Procla, aux côtés de Simon de Cyrène, Jésus.

 

Que se passe-t-il dans la tête d’un condamné à mort ? Comment trouve-t-il la force de mettre un pied devant l’autre sachant ce qui l’attend ?

 

Je n’en ai aucune idée. Et le récit ne nous aide pas. Jésus ne dit quasi rien.

 

On le voit s’acheminer sobrement vers une mort injuste, dans les pires conditions de souffrances physiques et morales.

 

Dans le récit de Matthieu, la vie de Jésus s’arrête sur cette douloureuse incompréhension : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » suivie d’un ultime cri.

 

L’évangile nous rappelle ainsi que Jésus a connu l’absence et le vide. Il a fait l’expérience du silence de Dieu.

 

Et c’est ce qui nous reste aujourd’hui : le silence. Le silence, pour rester humblement solidaires de celles et ceux qui pleurent et souffrent.

 

Car aucun mot ne saurait jamais justifier ni la violence, ni l’injustice, ni la souffrance.

Amen