Sur le chemin de Jérusalem à Emmaüs, ils sont abattus.
Sur le chemin d'Emmaüs à Jérusalem, ils ont des ailes.
Les disciples ont été témoins; aujourd'hui, il nous passe le témoin.
D'après Luc 24
Durant le temps de la Passion, nous avons égrené une à une les paroles de Jésus sur la croix. La dernière étant dans l’évangile de Luc, « Père, entre tes mains, je remets mon esprit », il m’a paru évident, ce matin, de méditer avec vous la première parole du Christ ressuscité dans ce même évangile. C’est sur le chemin d’Emmaüs qu’elle est prononcée.
Nous sommes alors dans l’après-midi de ce 3ème jour, de ce dimanche où, à l’aube, les femmes s’étaient mises en route pour le tombeau. Nous l’avons réentendu, elles avaient tout préparé pour s’occuper du corps de leur Seigneur comme il convient. Et les voilà qui sont restées les bras ballants, les aromates dans les mains, le regard perdu dans le vide face à cette absence de corps.
Dans l’après-midi, ce sont deux hommes que nous retrouvons.
2 hommes qui sont sur la route entre Jérusalem et Emmaüs. Tout en marchant, ils se racontent ce qui tourne dans leur tête. Et il y en a des trucs qui agitent leurs pensées.
- Le pari fait sur Jésus, il y a quelques mois, quelques années, et la désillusion de ces derniers jours ;
- l’incompréhension à la vue des 3 croix dressées à Golgotha ;
- leur colère, leur tristesse, leur douleur ; leurs espoirs déçus, leur confiance trompée ; ils attendaient un Messie victorieux, pas un crucifié ;
Quelque part donc entre Jérusalem et Emmaüs, ces hommes font route. Ils sont en chemin parce que, après ce qui s’est passé dans la grande ville, il n’y a plus qu’une chose à faire : tourner le dos.
Tourner le dos au passé, comme on tournerait la dernière page d’un mauvais roman. Et partir.
Partir pour reprendre pied et former de nouveaux projets, ailleurs, là… où tout est encore possible.
Tout à leur conversation, ils n’ont pas remarqué que, soudain, quelqu’un est là qui fait route avec eux.
Ils ont à peine le temps de réaliser sa présence que déjà le voyageur les interroge : « Quels sont ces propos que vous échangez en marchant ? »
La question leur semble tellement incongrue que les deux hommes stoppent net leur conversation. Tout le monde ne parle que de ça, et il n’en sait rien ?
Imperturbable, le voyageur réitère sa question. « Quoi donc ? »
Et ce sont, dans l’évangile de Luc, les premières paroles prononcées par Jésus ressuscité. J’adore !
Rendez-vous compte ! Lorsque le Christ ressuscité prend la parole pour la première fois, ce n’est pas d’abord pour parler, pour enseigner, pour asséner… c’est pour écouter. Avec ses premiers mots, il donne la parole aux autres.
Et il les écoute qui tissent le récit de leur vie, le drame de ces derniers jours. Puis, quand ils ont dit tout ce qu’ils avaient à dire, avec aplomb mais délicatesse, il risque sa propre parole. Reprenant toutes les choses depuis le commencement, il leur explique ce qui le concerne.
Et alors, petit à petit, sur cette route, des liens se tissent entre les 3 hommes.
Il y a, de manière encore peu perceptible c’est vrai, mais il y a des connexions qui commencent à se faire entre la vie des uns et celle de l’autre. On avait pensé que tout était rompu, cassé, brisé… mais, il y a quelque chose qui revient. Le parfum de la vie est dans l’air…
On sent les 2 disciples qui commencent à changer sous l’impulsion du Christ.
Eux ne le savent pas encore car ils sont toujours dans le temps de la désillusion, de l’abattement, de l’aveuglement…Mais le dénouement est proche. Leur dénouement est proche.
Déjà, ils voient les premières maisons du village d’Emmaüs ; ils distinguent de-ci de-là quelques lueurs dans les maisons et ils se réjouissent de découvrir les gens d’ici et leur vie ; une vie qu’ils espèrent calme, paisible, facile, réconfortante.
Lorsqu’ils arrivent au centre du village, devant l’auberge, et que le voyageur semble vouloir continuer sa route les hommes le retiennent : « Reste avec nous ; le jour baisse déjà et la nuit approche. »
Ils entrent donc ensemble dans l’auberge et se mettent à table. À la fraction du pain, tout se trouve soudain transfiguré.
Les paroles échangées en chemin prennent leur véritable sens ; tout devient plus clair.
L’énigme de la destinée du Christ de la crèche à la croix se trouve éclairée, éclairante aussi. Les disciples perçoivent que la vie de Jésus mort et ressuscité dans son entier, tout ce qu’il a dit, fait et vécu, leur est donnée par Dieu pour interpréter et comprendre leur propre vie. Pour leur offrir un sens. Pour leur donner une direction.
Et tout à coup, ils ont des ailes. Plus trace en eux ni de découragement, ni d’abattement, ni d’aveuglement. Ils vivent une véritable conversion. Tous ceux qui ont un jour appris à skier se souviennent du sens premier de ce terme : faire demi-tour. Donc, radicalement, changer de point-de-vue et d’horizon.
Désormais, sur la route qui va d’Emmaüs à Jérusalem, 2 hommes font route, toujours en discutant. Mais ils ont le pas léger malgré la fatigue d’un premier trajet. Ils se sentent des ailes et ont hâte d’aller porter plus ce qu’ils viennent de vivre.
Préparés par la Parole et nourris par le sacrement, ils sont prêts à se glisser dans les mille et une conversation des vivants pour se faire l’écho de la Parole faite chair. Cette Parole qui dialogue avec nos paroles et qui fait de nos vies le lieu où s’affirme la force de Dieu même après la croix.
Sur la route qui va d’Emmaüs à Jérusalem, un jour 2 hommes s’en sont allés le cœur léger, la tête pleine de rêve et l’énergie de vaincre le monde.
Ils ont été témoins.
Aujourd’hui, ils nous passent le témoin.
Amen