Quand on parle d'amour, 1 + 1, ça fait combien pour vous?
D'après les propos d'Aristophane dans "Le Banquet" de Platon et la lettre de Paul aux Colossiens, chapitre 3, versets 12 à 15
Quand j’entends Aristophane discourir sur l’amour et sur ce que fut le monde, un jour lointain peut-être, je ne sais pas s’il me faut être nostalgique ou paniquée.
Nostalgique, parce que l’harmonie décrite fait envie. Tout semble couler de source dans ce monde parfait ; tout semble rouler sans anicroche.
- Pas de jugement sur les orientations amoureuses.
- Chacun connaît sa douce moitié, sans doute possible.
- Pas de jalousie, pas de concurrence, aucune envie qui ne soit satisfaite.
Ce monde d’avant, c’est un peu le bonheur à l’état pur ; le bonheur garanti, en plus dans la durée, y a de quoi rêver. Même si, réalistement, ce monde n’a pas résisté aux aléas humains et divins.
Cela dit, ce monde pré-existant a aussi quelque chose d’effrayant. En tout cas pour moi qui ai une peur bleue de tous les discours exaltant la perfection, l’autosuffisance, la complétude.
Dans l’histoire, de tels discours ont légitimé le pire. Ils ont conduit à des massacres ignobles sous prétexte de sauvegarde de la perfection, de préservation de la pureté…
… Et ne nous y trompons pas, les replis identitaires d’aujourd’hui avec les discours qui les accompagnent, notamment sur les frontières de tous types, sont de la même veine !
Personnellement, je ne crois pas en une humanité lisse et étanche au sein de laquelle on pourrait clairement distinguer les purs des autres, les bons des autres, les méritants des autres. La réalité est toujours bien plus complexe.
Alors qu’Aristophane laisse entendre à regret qu’un monde pur et harmonieux a pré-existé ; la tradition biblique, elle, dit tout l’inverse.
Pour elle, l’incomplétude, la non perfection si vous préférez, est présentée positivement. Elle est même originelle. Elle est constitutive de l’être humain.
Loin d’être un manque à combler elle est promesse de rencontres. Des rencontres qui viennent donner sens à notre existence. Des rencontres qui viennent lui donner consistance et saveur…
Dans la tradition biblique, l’être humain est fondamentalement un être en relations. Partant de là, le fait qu’il ne se suffise pas à lui-même n’est pas une malédiction qui l’obligerait à chercher inlassablement voire désespérément sa moitié perdue. C’est une bénédiction qui l’encourage à s’aventurer en terres inconnues.
Et puis, autre fait déterminant dans la tradition biblique : la vie de couple ne saurait être dissociée de la vie sociale.
Presque toujours dans la Bible, ce qui régit la vie en société est applicable à la vie de couple.
Les valeurs, les principes qui sont admis par tous doivent connaître un écho dans l’intimité de nos familles. Parce qu’on est du monde et qu’on évolue au sein de ce monde.
Ce qui fait que même si la Bible n’évoque quasiment pas le mariage, nombre de ces textes accompagnent des couples qui font le choix de se marier. C’est typique du texte que nous avons entendu.
Dans sa lettre aux Colossiens, Paul ne s’adresse évidemment pas à un couple. C’est à une communauté naissante qu’il parle. Une communauté qui cherche à se construire, selon les principes puisés dans l’exemple vivant de Jésus, et qui se trouve en opposition avec d’autres formes de philosophie, d’autres formes de croyances. Et dans ce contexte, ce que Paul dit du groupe vaut pour le couple…
… Revêtez des sentiments de compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience.
Autrement dit, soyez à l’écoute les uns des autres. Acceptez de vous écouter l’un, l’autre, et ne cherchez pas seulement à convaincre. Car l’enjeu de la vie ne se résume pas dans le fait d’avoir raison… ou tort ; il se dit bien plus dans le fait de partager ce qui nous arrive.
Soyez capables de pardon dit encore Paul. Le pardon, vous le savez, nécessite d’avoir au préalable reconnu le mal commis et/ou le mal subi ; premier pas indispensable pour aller au-delà de la blessure. Pour partager encore. Pour donner encore. Car par-donner, c’est aller au-delà de soi… c’est continuer à donner par-delà ce qui pourrait empêcher ou casser la relation.
Par-dessus tout, nous dit enfin Paul, revêtez l’amour, ce lien parfait.
Ce que j’aime dans cette expression, ce n’est pas l’adjectif « parfait », c’est la force agissante du lien qui cherche à tenir l’un et l’autre en présence quoi qu’il arrive. Ce qui me ramène à l’amour que je qualifiais de force motrice au tout début de cette célébration. Force motrice et force mobilisatrice.
Avec ce programme magnifiquement déroulé, Paul n’invente pas la poudre. L’exemple premier lui est donné, il nous est donné par Dieu lui-même dans sa quête de relation avec les humains.
Ce Dieu des chrétiens qui n’est pas resté très haut, très loin, très distant. Commandant et imposant à distance.
Mais ce Dieu qui s’est fait tout petit, qui s’est donné dans les mains d’une mère et d’un père avant d’être livré à la violence de ses pairs (p a i r s).
Si on devait convertir cette question de nos relations, de la complétude ou de l’incomplétude de l’être humain dans un registre mathématique, il s’agirait de se demander
si 1+1 = 1 (vision d’Aristophane)
si 1+1 = 2 (image d’un couple qui, en tant que tel, vit une certaine forme de complétude)
si 1+1 = 3 (vision proche de la bible lorsqu’un couple reconnaît l’action bénissante de Dieu dans sa relation)
si 1+1 = encore un tout autre résultat ???
Alors, je vous le demande ; dans votre histoire de couple, 1 + 1, ça fait combien ?
… Je vous laisse y songer… pour y apporter votre réponse.
… De même, -au son des voix d’or qui vont retentir- je vous laisse repenser aux promesses par lesquelles vous vous êtes peut-être un jour engagés vis-à-vis de votre conjoint, votre partenaire, votre compagne, votre mari…
De ces promesses, de ces vœux d’un jour, qu’en gardez-vous aujourd’hui ?
Comment aimeriez-vous les faire évoluer ?...
…Après ce temps musical pour y penser personnellement, vous aurez tout le reste de la soirée pour échanger en couple.