L'Ascension, c'est Jésus qui part à reculons pour ne pas quitter des yeux celles et ceux qu'il aime.
ÉVANGILE DE LUC, CHAPITRE 24
Puis Jésus emmena ses disciples hors de la ville, près de Béthanie, et là, il leva les mains et les bénit.
Pendant qu'il les bénissait, il se sépara d'eux et fut enlevé au ciel.
Quant à eux, ils se prosternèrent devant lui et retournèrent à Jérusalem, remplis d'une grande joie.
Ils se tenaient continuellement dans le temple et louaient Dieu.
MÉDITATION
Il est très court, ce récit de l’Ascension. Mais en relisant ces quelques mots pour aujourd’hui, je me suis refait cette réflexion dont j’ai déjà parlé avec les uns ou les autres : c’est incroyable comme un récit, archi connu, peut continuer à nous surprendre.
C’est cette richesse des textes dits « sacrés » de ne jamais avoir révélé une fois pour toutes ce qu’ils ont à dire, de n’avoir jamais fini de livrer leur signification… et d’être ainsi parole vivante plutôt que lettres mortes !
Donc, je me suis laissée surprendre à nouveau. Et j’aimerais vous partager deux surprises.
Tout d’abord, j’ai réalisé qu’en ce jour de l’Ascension, Jésus parcourt le même chemin que le jour des Rameaux, il y a un peu plus de 6 semaines, mais à l’envers.
Souvenez-vous, Jésus arrivait de Béthanie, juché sur son ânon ; il avait longé la vallée du Cédron, passé le fleuve, traversé le jardin de Gethsémané, atteint le mont des Oliviers, puis il était redescendu du côté du temple.
Aujourd’hui, c’est juste l’inverse ; il part de la ville de Jérusalem et il emmène ses disciples jusque vers Béthanie passant successivement par le mont des Oliviers, Gethsémané, la vallée du Cédron.
C’est dire que le Christ ressuscité invite ses disciples à faire demi-tour… il les invite à quitter l’hostilité et la peur qui règnent à Jérusalem pour rejoindre un coin de pays riche en souvenirs heureux.
- Ce coin de pays où vivent Marthe, Marie et Lazare…
- Ce lieu où Jésus a affirmé “je suis la résurrection et la vie“
- Ce lieu où une femme a versé sur lui une bouteille de parfum de grand prix… comme si elle avait anticipé des rites funéraires qui n’allaient pas avoir lieu.
Dans cette perspective, ce n’est donc ni un échec, ni un oubli, ni la fatigue qui obligent à faire demi-tour. Mais c’est un impérieux appel à la vie…
… la vie plus forte que la mort, plus forte que le meurtre et que la violence, la vie plus forte aussi que la peur, l’insécurité, le doute, le sentiment d’abandon : toutes ces émotions qui ont saisi et traversé les disciples depuis quelques semaines.
Ce demi-tour, il m’interroge…
On entend beaucoup dire aujourd’hui, après cette crise de la pandémie, qu’il faut saisir l’occasion de ne plus rester emprisonné par le passé mais qu’il faut regarder résolument vers l’avant, créer du neuf. Inventer ce que l’on n’avait jamais osé imaginer. C’est en tout cas un message assez fort dans les milieux d’Église.
Peut-être bien…
Mais… ce demi-tour de Jésus à l’Ascension, dit autre chose. Autre chose que le fameux exemple de la femme de Loth qui devient statue de sel en se retournant.
Pour ma part, j’y lis le fait que regarder le passé, s’y réfugier pour un temps (pour un temps seulement parce que les disciples retourneront à Jérusalem, on est bien d’accord), mais retourner sur nos pas, ce peut être un vrai signe de vie, un signe de vraie vie.
Les replis, les demi-tours, sont autorisés ; ils sont parfois nécessaires et bons ; ils ne sont pas seulement des signes de faiblesse ou d’incompétence.
Retourner là d’où l’on vient, ce peut être revenir à l’essentiel.
La preuve, l’épisode se termine avec des disciples gonflés à bloc comme il y a un peu plus de 6 semaines aux Rameaux où ils avançaient triomphants.
Ils n’ont plus peur, ils ne se cachent plus dans la chambre haute fermée à double tour… ils exultent, ils témoignent, ils se risquent à nouveau dans le temple. Donc pour eux, ce départ de Jésus inauguré par un demi-tour… c’est une résurrection !
Mon deuxième étonnement, il est en lien avec le geste de bénédiction.
Jésus part, nous précise le récit, en bénissant ses amis.
Et ça, c’est tout à fait intéressant parce que ça veut dire qu’en s’éloignant Jésus regarde ses disciples. Puisqu’il les bénit.
Donc, il ne part pas, comme on le fait habituellement, en tournant le dos.
Et c’est peut-être la raison pour laquelle ce départ n’est pas dramatique.
Parce que le départ de Jésus, ne représente absolument pas un désintérêt du monde, de ses amis, de l’avenir.
Son départ, n’est pas conditionné par une tâche plus urgente ou incontournable qui nécessiterait, ne serait-ce qu’un temps, qu’il tourne le dos à ceux qu’il aime.
Jésus part ; mais il regarde et bénit les hommes. Il leur promet une force nouvelle venue d’en haut.
Il les envoie dans le monde parce que, c’est sur terre que tout va continuer à se jouer avec, pour acteurs principaux, les témoins du Christ.
Eux, à l’époque. Nous, aujourd’hui.
Alors voilà… un demi-tour pour célébrer la vie.
Un au-revoir dans la joie parce que le départ de Jésus-Christ se fait à reculons de sorte qu’il garde les yeux sur ses amis… c’est ce que je retiens, cette année, du récit de l’Ascension. Et c’est ce que je laisse à votre réflexion.