"Le ciel comme patrie?", culte du 1er août

Évoquer la patrie, c’est en appeler à quelque chose de stable, de solide, de fédérateur.
Ce qu’il y a de paradoxal, pour la pasteure que je suis, c’est que nombre de récits bibliques questionnent cet imaginaire collectif qui teinte le mot de « patrie ».

 

 Le Ciel comme patrie ?

Patrie, nom féminin.

Nation, communauté politique à laquelle on appartient ou à laquelle on a le sentiment d’appartenir.

Pays habité par cette communauté.

 

Cette patrie, nombre de confédérés la chanteront ce soir. Aux notes d’un hymne, vous le connaissez, qui en célèbre les beautés, des beautés parlant à toute âme attendrie tandis qu’au ciel montent, joyeux, les accents d’un cœur pieux.

 

Au-delà des définitions piochées dans les dictionnaires et des mythes fondateurs visant à nous rassembler autour d’une identité commune, qu’est-ce qui se cache derrière ce mot ?

 

Dans sa double étymologie latine et grecque, la patrie, c’est littéralement le “pays du père“.

 

En ce sens, elle dit quelque chose de notre origine. De cette lignée d’aïeux qui nous ont précédés et sans lesquels nous ne serions pas.

 

Elle traduit aussi une forme de sédentarisation. La patrie, c’est là où j’habite voire là où je suis né ; mais ce ne sont pas les lieux par lesquels j’ai transité.

Évoquer la patrie, c’est donc en appeler à quelque chose de stable, de solide, de fédérateur.

 

Ce qu’il y a de paradoxal, pour la pasteure que je suis en tout cas, c’est que nombre de récits bibliques questionnent cet imaginaire collectif qui teinte le mot de « patrie ».

 

Dans le premier testament, il y a bien sûr l’installation en terre promise.

Mais elle est assortie, pour le peuple des Hébreux, à l’injonction de ne jamais oublier qu’il fut esclave en terre étrangère. Que durant toute une période, il n’avait pas de terre à lui. Et que, durant cette période, son identité se déclinait à partir de celle de l’oppresseur. Le peuple des Hébreux, c’était des hommes, des femmes, des enfants dont la principale caractéristique étaient d’être au service du Pharaon.

 

Ce qui est considéré comme la plus ancienne confession de foi dans la Bible « Mon père était un araméen errant » va dans le même sens.

 

Cette confession, elle était récitée au moment des récoltes. Chaque récolte était ponctuée par des offrandes à Dieu. Et c’est à ce moment-là, dans la liturgie des offrandes, que cette confession était prononcée.

 

C’est dire que dans cette terre promise, ruisselante de lait et de miel, une terre donc riche, le peuple, au moment-même des récoltes, fait mémoire de son esclavage en Égypte, de sa libération par Dieu, de son exode.

 

Ces deux éléments, intrinsèquement liés à l’installation du peuple des Hébreux en terre promise, nous rappellent le double danger de toute installation :

  • Le fait accompli : considérer comme un acquis ce qui demande sans cesse à être reconnu comme une grâce.

  •  La sclérose. C’est-à-dire un enracinement qui ne permet plus l’éclosion de la vie mais qui fige. Qui devient mortifère.

 

Or, quand Dieu promet d’accompagner, de guider, et même d’installer, il y a toujours l’idée qu’une part de la promesse se trouve devant soi et qu’elle appelle notre constante mise en route.

Suivre Dieu n’a rien de reposant.

 

Jésus nous le rappelle à sa manière quand il affirme que le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où poser sa tête.

Lui dont on dit par ailleurs qu’il est tantôt de Bethléhem, tantôt de Nazareth, c’est selon…

 

Quant à Paul, il évoque l’humain comme « un étranger et un voyageur » sur cette terre. Et dans le court extrait de l’épître aux Philippiens que nous avons réentendu, il parle de cette fameuse « citoyenneté des cieux ».

 

Pendant très longtemps, on l’a interprétée quasi exclusivement à l’aune d’une vie après la mort. Les chrétiens devenant citoyens des cieux, après leur mort, dans l’espérance de la résurrection en Christ.

 

Les lectures sont aujourd’hui plus nuancées.

Et je m’y rallie.

 

Je m’y rallie parce que je lis volontiers en parallèle « cette citoyenneté des cieux » et l’affirmation que « nous sommes des étrangers et des voyageurs sur terre. »

 

« Étrangers et voyageurs sur terre ».

 

Commençons par préciser que si tout croyant est étranger sur cette terre, cela n’implique pas qu’il soit apatride.

 

Abraham venait d’Harran.

Jésus de Galilée.

Paul de Tarse.

Nous avons chacune et chacun un passeport. À croix blanche, ou pas.

 

Pour reprendre l’impulsion de mon collègue Jean-François Ramelet, peut-être pourrions-nous, dans nos traductions françaises, remplacer le mot « étranger » par « hôte ».

 

Tout chrétien serait « un hôte et un voyageur » sur cette terre.

 

À ce titre d’hôtes, les chrétiennes et les chrétiens sont appelés à contribuer à ce monde. À prendre part aux débats, à agir dans ce monde, à l’aimer, ce monde.

 

Il est attendu que nous nous y intégrions sans retenue.

Mais sans nous y assimiler.

 

C’est-à-dire que nous y vivions, en ayant conscience que nous n’y sommes pas chez nous, mais chez Lui… Souvenez-vous de ce qui était attendu des Hébreux en terre promise…

 

C’est dans ce même sens que je comprends « la citoyenneté des cieux » évoquée par Paul.

 

Elle n’est pas tant, ou pas seulement, une promesse pour la fin des temps.

 

Elle résonne comme un encouragement à nous investir pleinement sur terre, sachant que nous y sommes chez Lui. Comme un jour, tout ailleurs, nous nous retrouverons encore chez lui.

 

Et ce qu’il y a d’assez génial quand on prend les choses sous cet angle-là, c’est que cela nous renvoie à la signification première du mot “paroisse“.

 

Aujourd’hui, le terme « paroisse », un peu comme celui de « patrie », évoque l’installation géographique, la stabilité, cette dimension centrale qui nous a fait parler durant longtemps de «l’église au milieu du village».

 

Et bien, cela n’a rien à voir avec les paroisses du 1er siècle qui traduisaient une double réalité de marginalité et de mobilité.[1]

 

Jusqu’à la fin du 1er siècle, les chrétiens sont qualifiés de paroikoi, qui donnera paroikos qu’on traduit par “paroisse“.

 

Les chrétiens sont qualifiés de paroikoi pour les distinguer des oikoi. Sachant que oikos, en grec, c’est la maison.

 

Les oikoi, ce sont ceux qui sont dans la maison, de la maison.

 

Les paroikoi, ce sont qui sont à côté de la maison.

 

Ils résident dans le pays, mais sont considérés comme des étrangers, des hôtes. Avec un statut que la loi reconnaît, mais ils ne sont pas naturalisés et ne jouissent pas de tous les droits du citoyen.

 

En ce sens, l’église locale n’est pas une « paroisse », telle que nous en avons l’image, mais un groupe d’« émigrés », une sorte de « communauté périphérique ».

 

Alors, en ce jour où la patrie est à l’honneur, je nous invite à garder à l’esprit qu’on peut avoir une patrie, tout en se considérant comme des « hôtes et des voyageurs sur cette terre dotés d’une citoyenneté dans les cieux. » Et en tirer les conséquences dans notre manière de vivre et d’être en relation.

 

Amen

 

Lecture de Philippiens 3 : 20 à 21

Quant à nous, nous sommes citoyens des cieux, d'où nous attendons que vienne notre sauveur, le Seigneur Jésus Christ. 

Il transformera notre misérable corps mortel pour le rendre semblable à son corps glorieux, grâce à la puissance qui lui permet de soumettre toutes choses à son autorité.

 

Lecture de Luc 9 : 57 à 58

Comme ils étaient en route, quelqu’un dit à Jésus en chemin : « Je te suivrai partout où tu iras. » Jésus lui dit : « Les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids ; le Fils de l’homme, lui, n’a pas où poser la tête. »

 

 

 

 

 


[1] Cf Gérard Delteil et Paul Keller.