Lorsqu’un film essaie de catégoriser les gens, on sait d’avance que l’exercice a ses limites. Parce qu’il y aura toujours quelqu’un pour lever la main et dire, à juste titre, « Moi, je n’appartiens ni aux uns, ni aux autres ».
Cela dit, il y a des catégorisations plus réussies que d’autres.
Dans « Le bon, la brute et le truand », Clint Eastwod, Blondin, le bon, divise le monde en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent…
… dans son univers, c’est logique ; pour nous, je vous le concède, c’est un brin lapidaire.
Par contre, Sergio Leone voit juste avec son trio.
Un bon, une brute, un truand. Quand on entend ça, on se dit que le monde ne s’y résume pas. Que c’est simpliste. Voire réducteur…
… Ça ne l’est pas tant que ça. Ni en regard de la marche du monde aujourd’hui. Ni si on met l’intrigue du film en parallèle avec le récit de la rencontre entre Jésus et Zachée.
S’il fallait résumer les presque 3 heures du film en quelques secondes, on pourrait dire :
- Que le bon règle son compte au truand.
- Qu’il se sert ensuite de la brute pour récupérer le magot.
- Qu’une fois les dollars en sa possession, il fait passer un noeud coulant autour de la tête de la brute, mais sans le tuer. Il est quand même bon.
- Puis qu’il s’éloigne tranquillement sur son cheval s’en allant probablement couler des jours heureux.
Et bien, ces 3 types de personnages, on les retrouve dans le récit de l’évangile.
Avec, dans le rôle du bon, Jésus.
Dans celui de la brute, la foule.
Quant au truand, c’est Zachée.
Dans l’évangile, Jésus est le bon. Ce qui le différencie de Blondin, c’est que lorsqu’il agit pour le bien, il ne songe pas à son propre intérêt. Il n’a pas d’étoiles dans les yeux quand il pense à l’argent.
Jésus est réellement attaché au bien de ses contemporains. Il l’a été, nous le savons, au détriment des coutumes de l’époque et au péril de sa vie.
Durant son ministère, il n’a cessé d’arpenter les terres de son pays et d’aller à la rencontre des gens pour les relever, les soigner, les écouter ; pour les assurer de l’amour de Dieu et leur signifier qu’ils avaient une place dans la société.
En paroles, comme en actes, Jésus s’est engagé pour ce qu’il y a de bon, de bien, de juste.
La brute.
La foule est parfois bienveillante, encourageante et même porteuse de vie. On en a tous fait l’expérience. Par exemple, lorsqu’elle est rassemblée de manière non violente pour supporter un club, une idée, une cause, un projet. Pour assister à un concert les vendredis à la cathédrale. Ou pour puiser à l’essentiel et communier à la même table.
Mais la foule devient brute lorsqu’elle est narcissique. Lorsqu’elle se réunit non pour voir quelque chose ou quelqu’un mais pour se faire voir. Pour intimider. Contraindre. Pour forcer l’autre sans lui reconnaître sa liberté d’action ou d’opinion.
Une telle foule ne peut qu’en arriver à de la violence. Parce qu’elle s’autoglorifie au détriment des autres.
La foule qui sépare Zachée de Jésus est de ce type-là. Elle fait écran. Elle fait barrage.
Elle feint de s’intéresser au bon mais, dans les faits, elle s’intéresse surtout à elle-même. Elle ne se parle qu’à elle-même. Tous ceux qui la composent ont la même opinion.
Lorsqu’ils condamnent l’attitude de Jésus, les gens de la foule se disent entre eux « Cet homme est allé loger chez un pécheur ! » Et de le faire sur le mode critique. Ils ne manifestent aucune surprise. Et encore moins d’intérêt, de curiosité, pour ce qui est en train de se passer et qu’ils ne comprennent pas.
Cette foule se nourrit de la rumeur, de la haine de l’autre, de la diffamation. Elle propage le mal et bride la vie.
Fait significatif et rare dans les évangiles : Jésus n’a ni un regard, ni une parole pour la foule. Il se contente de la fendre pour se frayer un chemin jusqu’au truand.
Zachée est un truand parce que c’est un traître doublé d’une canaille.
Il est traître parce qu’il collabore avec l’occupant romain en collectant des fonds qui vont directement grossir les caisses de l’Empire.
Il est canaille parce qu’il est riche. Ça ne veut évidemment pas dire que tous les riches sont des canailles. Mais si le récit nous le précise d’emblée, c’est probablement pour insinuer que son honnêteté laisse à désirer. Qu’il profite de son job de collecteur d’impôts pour se graisser la patte au passage. Ce qu’il reconnaîtra lui-même en fin de récit : « … si j'ai pris trop d'argent à quelqu'un, je lui rendrai quatre fois autant. »
A priori, Zachée n’a rien pour lui. C’est pourtant chez lui que Jésus veut demeurer. Et, partant de là, tout va changer.
Alors, comment en arrive-t-on à un tel changement ? Je dirais que c’est grâce à la conjonction de deux attitudes : la curiosité de Zachée et la bienveillance de Jésus.
Ce qui est déterminant pour Zachée, c’est sa volonté de voir Jésus. Parce qu’il en a entendu parler et qu’il a envie de découvrir à quoi ressemble le bonhomme. Sachant que sa petitesse est un handicap, il y pallie en grimpant dans un arbre.
La suite de l’histoire me fait dire que la curiosité, dont manque totalement la foule, la curiosité est plutôt un joli défaut. Elle permet à Zachée de quitter ses habits de truand pour revêtir ceux d’un bon repenti. On parle souvent du péché originel. Je serais tentée de dire, ici, que suite à sa rencontre avec Jésus, Zachée est révélé dans sa bonté originelle.
À la curiosité de Zachée, répond la bienveillance de Jésus. Qui, une fois de plus, agit pour l’une de ces personnes qu’on avait déjà classée parmi les irrécupérables.
Jésus nous rappelle concrètement qu’il est venu sauver ceux qui étaient perdus. Zachée. Mais aussi chacun de nous quand on se sent empêtré dans une situation et qu’il n’y a que du brouillard à l’horizon.
En s’invitant chez Zachée, Jésus démontre qu’il n’y a rien, ni dans nos vies personnelles ni dans notre société, il n’y a rien qui ne puisse être restauré.
Que même dans une société clivée, où les narcissismes des uns se dressent contre ceux des autres, où les rumeurs servent d’influenceurs, où des dirigeants se comportent en dictateurs, il y a la possibilité de remettre en route ce qui a été figé et de réenchanter le monde.
Ces changements, vous l’aurez noté, ne s’effectuent pas sous la contrainte. Jésus ne menace pas Zachée. Il ne le contraint à rien. Il le gratifie de sa présence bienveillante. Et c’est cet amour absolu qui transforme Zachée.
Nous apprenons ainsi de ce petit homme vivant à Jéricho, la ville la plus basse en altitude du monde, -240 mètres ; nous apprenons, grâce à Zachée et à Jéricho, que sous le regard de Dieu nous sommes toutes et tous susceptibles de prendre de la hauteur.
Aujourd’hui comme à l’époque, je crois que le Christ peut sauver ce qui est perdu.
Je crois qu’il peut arracher les truands à l’univers de la brutalité en leur adressant un regard d’amour qui trouve son origine en Dieu et qui donne la confiance nécessaire pour se lancer dans une vie marquée par la joie d’être au monde.
Amen
Merci à mon collègue James Woody dont je me suis largement inspirée