Quelle royauté en ce monde ?
« Ma royauté n'est pas de ce monde. Si ma royauté était de ce monde, les miens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux mains des autorités juives. »
Un roi de ce monde, un dirigeant de ce monde, un puissant de ce monde ne se laisse pas livrer sans se défendre. Ou alors c’est un « puissant » qui est chrétien, ce qui est possible… Ce qui est souhaitable.
« De ce monde » ne désigne pas tout ce ce qui passe dans le monde où nous vivons, ni en quelque sorte une vie qui n’est pas explicitement religieuse. La logique décrite comme « de ce monde » implique de se mettre soi-même au centre et d’utiliser le reste pour notre profit et notre plaisir égoïste. L’amour « de ce monde » consiste à aimer son prochain comme on aime le chocolat : on le prend pour soi, on le détruit au passage, ou on le jette.
Est-ce que nous nous aimons les uns les autres comme nous aimons le chocolat ? Est-ce que je regarde l’autre comme un don au service de moi-même, de mon bien-être et de mon plaisir ? Est-ce que l’autre est quelque chose que je prends et jette ? Ou est-ce que je me mets dans la même attitude que Jésus et le bon Samaritain, avec une autre question : que puis-je faire pour cette personne ? Comment contribuer à son bonheur, à sa consolation ? Comment puis-je être un don pour son bonheur ?
Jésus se donne pour nous. Il ne nous prend pas. Il nous unit à lui pour notre bonheur. Est-il irréaliste, naïf, de penser un monde comme fondé sur la priorité de l’autre et de son bonheur ? C’est un idéal humain, et je pense au projet de « Bonheur National Brut » au Bouthan. Jésus, en se donnant pour nous, rejoint aussi notre désir profond. Mais on peut dénoncer cet idéal comme une utopie. Je reste marqué par le président américain Jimmy Carter. Il voulait mettre sa foi chrétienne au centre de son action, et il n’a pas été réélu. On lui a reproché des échecs (en Iran), on ne lui a pas rendu tellement hommage pour ses efforts de paix entre Israël et l’Égypte, mais mon souvenir personnel porte un accent précis : on lui a reproché, parce qu’il voulait s’inspirer de Jésus dans son action politique, d’être gentil mais irréaliste.
Si le Royaume de Jésus n’est pas de ce monde, les royaumes de ce monde doivent-ils se faire sans Jésus ?
Questionnement : L’Évangile est-il une utopie ? Doit-on construire le monde sans un Évangile qui n’inspire que nos vies individuelles ?
La mauvaise foi
Que de mauvaise foi, dans ce récit de la Passion.
Que d’hommes, mais probablement de femmes aussi, plus attentifs au paraître qu’à l’être. Sous prétexte qu’il y a des apparences à sauver, fût-ce au détriment d’autrui.
Combien de personnes, tellement obnubilées par leur propre nombril, qu’elles en perdent de vue la réalité, la conscience du monde qui les entoure. Devenant prêtes aux pires compromis ; aux arrangements les plus vils avec la justice.
Écoutez, une fois encore, ces quelques mots :
On avait emmené Jésus de chez Caïphe à la résidence du gouverneur. C'était le point du jour. Ceux qui l'avaient amené n'entrèrent pas dans la résidence pour ne pas se souiller et pouvoir manger la Pâque.
Pilate leur dit : « Prenez-le et jugez-le vous-mêmes suivant votre loi. »
Les autorités juives lui dirent : « Il ne nous est pas permis de mettre quelqu'un à mort ! »
Sans mauvais jeu de mots, la messe était dite bien avant que Pilate ne se contorsionne en espérant trouver une échappatoire qui soulagerait sa conscience.
Le verdict était rendu bien avant toute plaidoirie.
Probablement la messe fut-elle dite dès le moment où les gardes sont entrés dans le jardin. La justice, un bien grand mot pour ce procès, la justice serait expéditive… elle aurait lieu de nuit. Contrairement à toutes les règles en vigueur.
Mais…, c’est la veille de la Pâque.
Qui sait, l’agneau pascal est peut-être déjà apprêté. En tous cas, les préparatifs de la fête sont en cours. Et il ne faudrait surtout pas la gâcher.
Que de fourberie. D’hypocrisie. D’imbécilité, d’injustice, d’arbitraire, de violence dans l’attitude de cette foule…
…J’ai été élevée dans l’idée que l’on doit apprendre de l’histoire. Tirer les leçons du passé pour ne pas perpétuer le cercle vicieux de l’horreur. « Jamais plus ça ! »
20 siècles après la Passion de Jésus, je désespère.
Vendredi-Saint se répète encore et toujours, telle une litanie. Et se décline, tel un cercle vicieux, révélant le pire dont les humains sont capables.
Pas un jour sans que l’actualité ne déverse son lot de morts du fait de la barbarie des uns ou des autres.
Que de fourberie. D’hypocrisie. D’imbécilité, d’injustice, d’arbitraire, de violence autour de nous ; parfois aussi, en nous.
Questionnement : Face à cette réalité, comment oser une parole d’espérance crédible ?
Qui ne sente pas la naphtaline de nos sacristies ?
Qui ne donne pas l’impression d’être un emplâtre sur une jambe de bois.
Comment dire une espérance crédible ?
Qu’est-ce que ça change ?
Quand le Fils de Dieu se fait homme, pour nous, on aboutit à l’exemple parfait de la mise à mort d’un innocent. Il nous rejoint dans un des aspects les plus tragiques de notre humanité. Et, nous venons de le dire, la tragédie continue.
A-t-on remarqué Jésus ?
« Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu » (Jn 1,10)
On cache le complot contre Jésus sous un prétexte cynique : « Si cet individu n'avait pas fait le mal, te l'aurions-nous livré ? » Ce prétexte est répété sans cesse à travers l’histoire : on met en scène une fausse attaque qui permettra de commencer une guerre, on profite d’une invitation à la délation pour dénoncer son voisin, on attribue à un groupe la cause des problèmes du moment…
On n’apprend rien de l’histoire, mais a-t-on même remarqué le crime contre Jésus ? Il est connu par les Évangiles, certes. Mais le remarque-t-on vraiment ? On porte la croix comme un bijou, mais se souvient-on de ce qu’elle a signifié pour Jésus ? Les premiers chrétiens n’utilisaient pas comme symbole de leur foi ce qu’ils connaissaient comme objet de torture.
Et ce n’est pas seulement le crime qu’on a peu remarqué, ou un peu vite aseptisé, c’est aussi la réponse de Jésus à ses accusateurs. Quand il dit « Je n'ai perdu aucun de ceux que tu m'as donnés », est-ce que ceux qui complotent sa mort en font partie ?
Celui que l’on torture est aussi celui qui a dit : « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent. » (Mt 5,43-44) C’est aussi celui qui a dit : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23,34) Il pardonne, même là, à ceux qui ne savent pas ce qu’ils font. Et nous, savons-nous ce qu’on lui a fait ? Savons-nous à qui on l’a fait ?
Jésus a été victime d’une injustice. Le Vendredi-Saint est un jour de congé dont la plupart de nos concitoyens ignorent le lien avec Jésus, dans un monde où les injustices continuent de plus belle. Quand on aime Jésus, cette indifférence est douloureuse.
Questionnement : A-t-on pris conscience de Jésus et de sa mort ? Est-ce que ça change quelque chose, maintenant, pour le monde, pour nos contemporains et pour nous, que Jésus soit mort ?
Hier comme aujourd’hui, la croix reste un scandale.
L’attitude de Jésus dans sa vie et face à sa mort nous montre un chemin pour humaniser le monde, là où nous sommes.
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Lecture de Jean 18-19, extraits
Jésus s'en alla, avec ses disciples, au-delà du torrent du Cédron ; il y avait là un jardin où il entra avec eux. Or Judas, qui le livrait, connaissait l'endroit, car Jésus s'y était maintes fois réuni avec ses disciples. Il prit la tête de la cohorte et des gardes fournis par les grands prêtres et les Pharisiens, il gagna le jardin avec torches, lampes et armes. Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s'avança et leur dit : « Qui cherchez-vous ? » Ils lui répondirent : « Jésus le Nazôréen. » Il leur dit : « C'est moi. » Or, parmi eux, se tenait Judas qui le livrait. Dès que Jésus leur eut dit “c'est moi”, ils eurent un mouvement de recul et tombèrent. A nouveau, Jésus leur demanda : « Qui cherchez-vous ? » Ils répondirent : « Jésus le Nazôréen. » Jésus leur répondit : « Je vous l'ai dit, c'est moi. Si donc c'est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci. » C'est ainsi que devait s'accomplir la parole que Jésus avait dite : « Je n'ai perdu aucun de ceux que tu m'as donnés. »
…
On avait emmené Jésus de chez Caïphe à la résidence du gouverneur. C'était le point du jour. Ceux qui l'avaient amené n'entrèrent pas dans la résidence pour ne pas se souiller et pouvoir manger la Pâque. Pilate vint donc les trouver à l'extérieur et dit : « Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » Ils répondirent : « Si cet individu n'avait pas fait le mal, te l'aurions-nous livré ? » Pilate leur dit alors : « Prenez-le et jugez-le vous-mêmes suivant votre loi. » Les autorités juives lui dirent : « Il ne nous est pas permis de mettre quelqu'un à mort ! » C'est ainsi que devait s'accomplir la parole par laquelle Jésus avait signifié de quelle mort il devait mourir. Pilate rentra donc dans la résidence. Il appela Jésus et lui dit : « Est-ce toi le roi des Juifs ? » Jésus lui répondit : « Dis-tu cela de toi-même ou d'autres te l'ont-ils dit de moi ? » Pilate lui répondit : « Est-ce que je suis Juif, moi ? Ta propre nation, les grands prêtres t'ont livré à moi ! Qu'as-tu fait ? » Jésus répondit : « Ma royauté n'est pas de ce monde. Si ma royauté était de ce monde, les miens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux mains des autorités juives. Mais ma royauté, maintenant, n'est pas d'ici. »
…
Alors Pilate emmena Jésus et le fit fouetter. Les soldats, qui avaient tressé une couronne avec des épines, la lui mirent sur la tête et ils jetèrent sur lui un manteau de pourpre. Ils s'approchaient de lui et disaient : « Salut, le roi des Juifs ! » et ils se mirent à lui donner des coups. Pilate retourna à l'extérieur et dit aux autorités juives : « Voyez, je vais vous l'amener dehors : vous devez savoir que je ne trouve aucun chef d'accusation contre lui. » Jésus vint alors à l’extérieur ; il portait la couronne d’épines et le manteau de pourpre. Pilate leur dit ; « Voici l’homme ! ». Mais dès que les grands prêtres et leurs gens le virent, ils se mirent à crier : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » Pilate leur dit : « Prenez-le vous-mêmes et crucifiez-le ; quant à moi, je ne trouve pas de chef d'accusation contre lui. »
…
Ils se saisirent donc de Jésus. Portant lui-même sa croix, Jésus sortit et gagna le lieu dit du Crâne, qu’en hébreu on nomme Golgotha. C’est là qu'ils le crucifièrent ainsi que deux autres, un de chaque côté et, au milieu, Jésus.
…
Lorsque les soldats eurent achevé de crucifier Jésus, ils prirent ses vêtements et en firent quatre parts, une pour chacun. Restait la tunique : elle était sans couture, tissée d’une seule pièce depuis le haut. Les soldats se dirent entre eux : « Ne la déchirons pas, tirons plutôt au sort à qui elle ira », en sorte que soit accomplie l'Ecriture : Ils se sont partagé mes vêtements, et ma tunique, ils l'ont tirée au sort. Voilà donc ce que firent les soldats.
Près de la croix de Jésus se tenaient debout sa mère, la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas et Marie de Magdala. Voyant ainsi sa mère et près d'elle le disciple qu'il aimait, Jésus dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Il dit ensuite au disciple : « Voici ta mère. » Et depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui.
Après quoi, sachant que dès lors tout était achevé, pour que l'Ecriture soit accomplie jusqu'au bout, Jésus dit : « J'ai soif » ; il y avait là une cruche remplie de vinaigre, on fixa une éponge imbibée de ce vinaigre au bout d'une branche d'hysope et on l'approcha de sa bouche. Dès qu'il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « Tout est achevé » et, inclinant la tête, il remit l'esprit.
Prière pour le monde
Ô Père,
Toi qui n’abandonnes jamais tes enfants,
Regarde ceux qu’on rejette sous de futiles prétextes,
Ceux qui sont arrêtés parce qu’ils se lèvent pour défendre leur liberté et leurs droits,
Ceux qu’on emprisonne parce qu’ils refusent le fanatisme.
Ce sont tes enfants crucifiés de torture.
Donne-nous le courage d’aller vers eux et de lutter à leurs côtés pour soulager le poids de leur croix.
Ô Père,
Toi qui n’abandonnes jamais tes enfants,
Regarde ceux qui sont écrasés par la violence,
Ceux qui ne savent plus comment éviter les coups,
Ceux qui sont broyés par la guerre et terrifiés par des armes.
Ceux qui ne connaissent de leurs frères que le visage déformé de la haine.
Ce sont tes enfants crucifiés de violence.
Donne-nous le courage d’aller vers eux et de barrer la violence pour soulager le poids de leur croix.
Ô Père,
Toi qui n’abandonnes jamais tes enfants,
Regarde ceux qui sont en attente de tendresse,
Ceux qui ont été trahis dans le don d’eux-mêmes,
Ceux qui n’attendent plus rien ni de la vie ni des autres.
Ce sont tes enfants crucifiés de solitude.
Donne-nous le courage d’aller vers eux et, avec notre amitié, de les soulager de leur croix.
Ô Père,
Regarde ceux qui sont déchirés dans leur corps ou dans leur cœur,
Ceux qui n’en peuvent plus de souffrance,
Ceux dont le mal a tué l’espoir.
Ce sont tes enfants crucifiés de maladie.
Donne-nous le courage d’aller vers eux et que notre présence les aide à porter leur croix.
Ô Dieu, tu es le Père de tous,
Regarde aussi ceux qui excluent, qui fanatisent, qui manipulent, qui frappent et torturent.
Ce sont tes enfants, même s’ils l’ont oublié.
Ce sont nos frères même si nous voudrions ne pas le reconnaître.
Donne-nous le courage d’aller vers eux pour leur dire : Nous voici. Pour vous empêcher de crucifier vos frères.